Busdriver

Après avoir laissé Busdriver et Radioinactive s'exprimer sur The Weather, on ne pouvait pas ne pas s'attarder un peu sur les aventures solo des 2 Californiens les plus excitants de ce début de siècle. Alors que "Cosmic Cleavage" vient de sortir sur Big Dada et qu'un autre album s'annonce déjà pour la fin de l'année, l'actualité de "Busdriver" est particulièrement brûlante. Porté aux nues par toute une frange de la critique avec son "Temporary Forever", "Bus" a su garder la tête froide et continuer son chemin en changeant constamment de direction et en allant là où on ne l'attendait pas forcément. Des aventures électroniques de "The Weather" et "Live Airplane Flood" au jazz classieux de "Cosmic Cleavage" en passant par un disque live avec 2Mex, l'auteur de 'Imaginary Places' a porté le flambeau du Project Blowed comme peu ont su le faire. La marque des grands ? A vous de juger. Entretien sans langue de bois. English version



Hip-Hop Core: Ton nouvel album "Cosmic Cleavage" vient tout juste de sortir. Comment as-tu abordé ce nouvel opus sachant le très bon accueil critique qui avait été réservé à "Temporary Forever"?



Busdriver: Et bien, j'ai voulu que ce soit un projet personnel. En quelque sorte, c'était un disque thérapeutique. Le thème général est basé sur mes relations avec les femmes, etc. En fait, c'est Daddy Kev qui a été à l'origine de l'enregistrement de ce disque. Il m'a demandé si on pouvait faire très rapidement un disque ensemble et on l'a fait. Ca ne nous a pas pris très longtemps pour le faire. Cet album n'est pas vraiment censé être la suite de "Temporary Forever". C'est juste quelque chose qui s'est passé, qu'on a fait et on l'a sorti. Ca ne sort même pas aux USA. C'est uniquement sorti ici en Europe. Je voulais aussi me présenter au marché européen avec ce disque. C'est juste un petit disque amusant.



HHC: "Cosmic Cleavage" est aussi le troisième volet des expériences avec le jazz de Daddy Kev & D-Styles après le "Slanguage" d'Awol One et le "Sound Advice" de The Grouch…



B: Tu sais quoi? En fait, c'est plutôt ça. "Cosmic Cleavage" est plus un disque de Daddy Kev et D-Styles. Même s'il n'y a que mon nom sur la pochette. Ce disque trouve plus son origine dans le fait que Daddy Kev avait fait des disques sérieux comme "Slanguage" et "Sound Advice". Il a aussi fait un disque avec P.E.A.C.E. de Freestyle Fellowship qui n'est pas encore sorti. En fait, c'est juste Kev qui fait ses petites expériences.



HHC: L'album est beaucoup plus posé et moins "expérimental" que "Sound Advice" (ndlr: ce qui nous a un peu surpris, pour ne pas dire déçu). Comment penses-tu que "Cosmic Cleavage" se place dans cette série de disques de Kev?



B: Je ne pense pas qu'il soit fantastique. Je pense que le disque avec The Grouch était vraiment superbe et j'étais vraiment vénér quand je l'ai entendu, parce que Kev a passé beaucoup plus de temps sur le truc du Grouch que sur le mien… (rires) Je pense que mon disque et celui d'Awol sont satisfaisants mais Grouch a vraiment eu la majeure partie des meilleures prods de Kev. Ce que je peux comprendre. The Grouch est plus connu que nous donc c'est intelligent. Mais bon, Kev est un de mes bons amis donc… J'aime bien ce disque.



HHC: Qu'est ce qui t'a plu dans le projet de "Cosmic Cleavage"? Tu as régulièrement travaillé avec Kev depuis son EP "The Lost Angels" mais qu'est-ce qui t'a branché dans ce genre de collaboration un peu particulier?



B: Tu sais, Daddy Kev s'est occupé de toute la partie technique de "Temporary Forever" (mixage, enregistrement, etc) et il en avait produit la moitié donc ça fait déjà quelques années que je bosse avec lui. C'est juste que je fais beaucoup de choses avec Kev. Il est toujours là. Il fait partie des quelques artistes dont je suis très proche.



HHC: Depuis tes débuts, tu as l'air très à l'aise sur les titres à consonance jazz. On dirait que le jazz te permet vraiment de montrer toute l'étendue de tes capacités vocales. Comment ça se fait d'après toi?



B: Je ne sais pas. Je porte un peu le flambeau de toute cette scène Project Blowed / Good Life et en un sens on m'a inculqué très tôt cette notion d'incorporer beaucoup de be-bop, de jazz et de jazz vocal dans ma musique… Donc c'est toujours très naturel pour moi d'avancer dans cette direction. C'est quelque chose que j'ai l'habitude de faire, c'est une sorte de donnée et Kev le sait donc c'est pour ça qu'il a collé à ce type d'ambiances sur "Cosmic Cleavage". En fait, l'album a été inspiré par un titre que Xololanxinxo de Of Mexican Descent, Myka Nine de Freestyle Fellowship et moi avons fait. C'est un titre un peu freestyle. Je ne sais pas si ça sortira un jour. En tout cas, je l'avais fait écouté à Kev et il s'est mis à crier "Oh! Mon Dieu!" et il a fait toute une série de beats très rapidement et il me disait "Vas-y, fais un truc dans ce style, Driver!"… et moi je lui disais "ok" et je posais mes rimes… C'est un peu comme ça que ça s'est passé. Tout ce disque est l'idée de Kev.





HHC: Parfois, on a vraiment l'impression que tu utilises ton flow comme un instrument, en t'en servant pour créer des lignes mélodiques complexes qui viennent complémenter le beat au lieu de simplement le suivre. Comment es-tu devenu maître de ces prouesses techniques?



B: Quand j'étais ado, j'ai été exposé à tout plein de flows différents. Le crew dont je suis issu est composé de beaucoup de emcees qui sont plus vieux que moi et qui ont ce type d'approche. J'ai donc été inspiré par eux mais ils m'ont aussi fait découvrir le jazz vocal, John Hendricks et d'autres trucs. Tout vient de là, en gros. Je me fais juste plaisir avec mon jazz.



HHC: En même temps, est-ce que tu ne penses pas que parfois tu risques de fatiguer ou de perdre l'attention de certains de tes auditeurs en poussant trop loin tes expériences flowistiques?



B: Je ne pense pas qu'il soit toujours nécessaire d'écrire pour un public. Tu dois juste explorer les possibilités de ton art. J'essaie juste de faire un bon boulot. Je suis plus un rapper destiné aux rappers, si tu vois ce que je veux dire. Je ne suis pas quelqu'un qui cherche à plaire aux foules. Je n'ai jamais été un bon battle emcee. Je n'ai jamais été un puriste absolu du hip-hop. Je n'ai jamais vraiment été dans ce délire. Alors, certains peuvent avoir l'impression que je dévie de la route mais c'est parce que je suis fidèle à moi-même.



HHC: J'ai lu que tu avais été dans un groupe de bluegrass au début de ta carrière de rapper…



B: Ouais. J'avais un groupe au lycée qui s'appelait Pop Corn Goddess. On faisait pas mal de styles de musique différents: bluegrass, folk, blues, quelques vieilleries, du rock, du pseudo jazz… C'était un groupe acoustique: une guitare, une mandoline, un violon et des percussions quelquefois. Moi, j'étais le rapper. J'improvisais tout, je n'écrivais jamais rien. J'étais considéré comme un instrument. On jouait des reprises de bluegrass; j'apprenais les chansons et les autres me ménageaient un endroit dans le titre pour que je pose mes rimes. C'est aussi pour ça que j'ai l'habitude d'utiliser ma voix comme un instrument parfois.



HHC: Quelle a été l'importance de ton expérience au sein du Project Blowed et au Good Life Café dans ton évolution artistique?



B: Ca a vraiment été le tournant pour moi. Je n'étais pas vraiment parmi les artistes du Good Life. Je suis arrivé à la fin du Good Life et ils m'ont apprécié donc je suis devenu un membre à part entière du Project Blowed quand ça a commencé à la fin de 1994. Mais je ne suis allé au Good Life que vers 1993 et j'y retournais de temps en temps. Mais c'est clair que mon approche artistique découle vraiment de cette école de pensée. Ce sont les gars qui m'ont élevé dans le hip-hop et ce sont les gars avec qui je traîne, en plus de Radio et de quelques autres. C'est l'exemple même du collectif rap. Je crois qu'Aceyalone est à la barre du prochain album Project Blowed. Ca fait environ dix ans que le premier album est sorti donc on se prépare à en faire un nouveau. On a fait quelques chansons par-ci par-là. Je ne sais pas quelle sera la qualité du disque … Je prie pour qu'il soit bon.





HHC: J'espère aussi, parce que c'est vrai que le "Good Brothers" de l'an passé était vraiment très décevant…



B: Moi aussi, j'ai été déçu par cet album. J'aime bien le titre sur lequel j'étais mais je n'aime pas tout. Donc, j'espère qu'Acey essaie de bien garder à l'esprit la qualité de la première compilation Project Blowed (et ce qu'elle représente) pour ce prochain opus. Je suis sûr qu'il en est conscient. En tout cas, je suis très excité à l'idée de faire ce disque.



HHC: En parlant de collectif, comment es-tu devenu un membre du crew Afterlife?



B: Ce sont eux qui m'ont mis le pied à l'étrier dans le milieu du rap underground. Vers 1993 ou 1994, C.V.E. m'ont pris sous leur aile et je suis devenu membre d'Afterlife. Je suis avec eux depuis cette époque. On a sorti des disques ensemble mais rien ne s'est vraiment passé donc on y travaille encore. Je ne sais pas encore exactement ce que nous allons faire dans les mois qui viennent. En ce moment, Afterlife est vraiment dispersé. Beaucoup de membres font leurs trucs: Of Mexican Descent, 2Mex, Xinxo, Ellay Khule… Le prochain CVE va bientôt sortir sous une forme ou une autre. Certaines choses commencent lentement à se dessiner. Je pense que cette fois je jouerai un rôle plus important et que je vais administrer ce qui se passe parce qu'à vrai dire je ne fais pas confiance à mes collègues plus âgés pour faire bouger les choses (rires). Ils ne sont plus trop au courant de ce qui se passe. C'est un peu étrange parce qu'ils ont style 35 ans alors que, moi, je suis jeune et tout ça me tient à cœur et donc j'ai le sentiment que je dois faire avancer les choses. Mais je ne sais pas comment ça va se passer… on verra.



HHC: A ce sujet, quels souvenirs gardes-tu des disques comme "This Machine Kills Fascists" ou "Memoirs of the Elephant Man" que tu as sorti chez Afterlife?



B: "This Machine Kills Fascists" n'était pas vraiment un disque officiel. C'est un peu comme "Fo'Tractor" pour Radioinactive: des chansons faites sur 4 pistes qui n'auraient jamais dû voir le jour. D'ailleurs, je ne les ai sorties que récemment, vers 2001 ou quelque chose comme ça. Je l'ai principalement sorti pour subvenir à mes besoins et pour donner aux gens une idée de ce que je faisais quand j'étais un adolescent. Par contre, "Memoirs of the Elephant Man", c'et mon premier album officiel. Honnêtement il y a certaines parties que j'aime bien sur cet album. Ce disque a été fait à la fin d'une certaine ère de production de CVE (avant qu'ils ne partent dans un trip différent). C'était cool. Ca a été une bonne expérience pour moi. Ce n'est pas le meilleur disque du monde mais c'est du hip-hop underground assez standard.



HHC: Tu as vraiment souvent travaillé avec 2Mex que ce soit par le biais de titres communs, de concerts, etc. Qu'est ce qui rend votre collaboration si particulière?



B: Et bien, déjà, 2Mex est un membre d'Afterlife comme moi et c'est juste que c'est un de mes bons amis. On s'entend vraiment bien et on a envie d'une carrière un peu similaire. On veut faire notre petit business dans le milieu du hip-hop underground tout en ayant une certaine esthétique punk-rock. Je traîne beaucoup avec lui ainsi qu'avec Abstract Rude, Aceyalone, etc.





HHC: Qu'est-ce qui vous amené à sortir un album live en commun, 2Mex et toi?



B: En fait, c'est principalement pour des raisons financières. On avait pris l'avion et loué une caisse pour aller à un salon sur la musique, South By South West, à Austin dans le Texas. On avait autofinancé notre voyage parce qu'on voulait se faire des contacts dans ce salon. Hors, on a pu faire un concert retransmis à la radio dans le cadre de ce salon, avec plein d'autres artistes, alors que c'était totalement imprévu. On a réussi à obtenir une copie de l'enregistrement du concert et on a trouvé que ça rendait plutôt bien donc on s'est dit: "Hey! Sortons-en quelques exemplaires pour rembourser le coût de notre voyage". En gros voilà l'histoire.



HHC: Dans le même registre, pourquoi as-tu sorti l'album live "Live Airplane Flood" que tu avais fait avec Daedelus et son groupe, peu après la sortie de "The Weather"?



B: Il y a un ou deux ans, j'ai fait partie du groupe de Daedelus en fait. Il y avait un gars qui jouait de la trompette, des claviers et de l'harmonica, un autre mec jouait de la batterie et moi je rappais. On faisait donc toute une partie non-samplée qui venait compléter les compositions de Daedelus. C'est issu d'un des premiers shows qu'on ait fait ensemble. En fait, ce ne sont même pas les meilleurs shows qui sont sur le disque… pas du tout. C'est juste les concerts dont j'avais des enregistrements audio. A vrai dire, j'étais un peu énervé parce que je voulais mettre la main sur un meilleur concert… mais ça allait quand même. En résumé, voilà ce qu'il en est. Je voulais juste laisser une trace de cette expérience et montrer qu'elle avait eu lieu.



HHC: Je crois savoir que tu as été étudiant à l'Université Américaine de Paris à une époque. Quelles images de la France gardes-tu en mémoire?



B: Et bien, je suis venu ici il y a six ans pour vivre à Paris avec ma petite amie de l'époque, la mère de ma fille. Je n'ai pas souvent été en cours; c'était une très mauvaise école. Je n'ai rien appris en cours mais je crois que ça m'a permis de mieux cerner la culture des gosses de riches "internationaux" (comme il y a beaucoup d'enfants riches qui vont dans cette école). C'est en étant à Paris que j'ai conçu mon enfant ce qui est, bien entendu, le plus beau cadeau que je pouvais avoir. J'ai écrit beaucoup de chansons à Paris, dont 'Painkillers' qui est sur "Memoirs of the Elephant Man". Je suis resté presque un an. Je me souviens principalement de mes errances dans Paris, des métros aussi, parce qu'on n'a pas de métro à L.A. C'est cette image qui me reste dans l'esprit même si je ne vois pas bien pourquoi: le fait d'aller sous terre et de ressortir à un autre endroit. Pour je ne sais quelle raison, ç'est quelque chose qui m'intrigue et que je trouve très intéressant. Sinon, cette année m'a aussi permis de découvrir la vie dans une ville historique vraiment belle. J'en garde une trace en moi. J'apprécie ça. On n'a rien qui se rapproche de ça à Los Angeles…



HHC: Pour finir, revenons à des considérations plus musicales. Peux-tu nous dire quelques mots sur ton prochain album?



B: Je suis monté dans le train Mush. Mush sortira mon prochain disque cet automne, probablement à la fin du mois d'Octobre ou de Septembre ici. C'est Big Dada qui va le sortir en Europe. Ca s'appelle "Fear of a Black Tangent" et c'est assez marrant. Je travaille encore dessus. Ca sera terminé peu après mon retour aux USA. Ca tourne autour du milieu du hip-hop underground, ça traite aussi en diagonale de certains problèmes raciaux et d'autres choses. Daedelus en produira la moitié et Paris Zax fera l'autre moitié. Il y aura aussi quelques productions d'Omid et de Thavius Beck (aka Adlib). En dehors de ça, je travaille aussi un peu sur le prochain disque du Project Blowed. Sinon, j'essaie actuellement de décider quel sera la prochaine étape et de planifier le déroulement de l'année prochaine. Cette année a vraiment été intéressante parce que j'ai essayé de réellement m'occuper du marché européen et jusqu'ici ça se passe bien… Donc maintenant je dois incorporer ça dans ma façon d'aborder ma musique dans son ensemble.



Interview de Cobalt & MelloW
Mai 2004

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