2005 est définitivement un grand cru pour les adeptes de plaisirs chocolatés. Alors que Tim Burton a fait découvrir à toute une nouvelle génération les possibilités infinies de la fève en adaptant le cultissime "Charlie et la Chocolaterie", voilà que les Chocaholics remettent le métier sur l'ouvrage en cette fin d'année. Cela fait déjà un bon bout de temps que nos services suivent de près les agissements des deux gaillards. En effet, férus de cacao, Yum et Pseudzero ont surtout l'intelligence de surveiller avec attention et discernement toute une branche du hip-hop qui nous tient particulièrement à cœur. Qu'il soit canadien, californien, anticonien ou bien new-yorkais, le meilleur de ce rap underground que beaucoup disent moribond (mais qui se porte à vrai dire plutôt bien, si vous nous demandez) était déjà au cœur des "Orchestrated B-Boy Screams" et autres "Planting Candytrees" mis sur pied par les têtes pensantes du label indépendant Vulgar. C'est donc avec attention qu'on se penche sur cette nouvelle livraison qui arrive juste à temps pour les fêtes de fin d'année et les dégustations Lindt.
Une fois n'est pas coutume, pour ce nouvel essai commun, le duo a vu les choses en grand. En double même, puisque ce sont deux mix-CD's qu'il nous propose. Sur la première face, c'est Pseud qui s'y colle en faisant la part belle aux raretés et aux titres en édition limitée, à base de vinyles triés sur le volet… tandis que Yum a fouillé dans ses dossiers pour y piocher ses mp3's favoris. Histoire de marquer le coup, les Chocaholics ont choisi de s'orienter vers un mix ambitieux et éclectique où le rap pointu qui est devenu leur marque de fabrique depuis "Brechtian Tactics" croise le fer avec une electronica aux éclats surnaturels, avec les sonorités post-industrielles tous azimuts d'Aphex Twin et des locataires du label Rephlex ou même, plus ponctuellement, avec l'effervescence créative du mouvement free jazz du début des années 70 (via la trompette avant-gardiste du père de la fratrie Cherry). Une glorieuse idée s'il en est… Et un bon moyen de construire une nouvelle grille de lecture de ces mouvements qui ont voulu (et veulent encore) aller à contre-courant.
Mais, pour que ceux qui auraient des réticences à ôter leurs œillères ne prennent pas peur à la lecture du tracklisting, les Chocaholics ont eu l'intelligence de laisser une part prépondérante au rap et de parsemer leur mix de visages familiers pour ceux qui les suivent depuis quelques temps (à commencer par Buck 65, Subtitle, Beans ou la clique Peanuts & Corn). Pour mieux tracer des diagonales entre l'électro et le rap, les plages instrumentales font des apparitions plus fréquentes qu'à l'accoutumée et Yum pousse aussi un peu plus loin les blends audacieux qui avaient fait leur apparition sur le dernier essai commun de l'hydre à deux têtes. Si les rendez-vous arrangés ne sont pas tous convaincants, l'alliance virtuelle entre le flow écorché de Cage et les programmations mouvantes de Telefon Tel Aviv s'avère extrêmement payante et permet de réaliser les rêves de grandeur de l'agent orange qui nous ont longtemps tenaillé (mais qui semblent bien lointains depuis son passage dans les mains de Mighty Mi).
En plus de ces mariages contre nature, les enchaînements (souvent bien sentis) et l'espace laissé à chacun des titres pour distiller sa sève confèrent au projet une vraie unité sonore malgré la multiplicité de ses sources et la confusion des genres… Une unité sonore où on évolue constamment au milieu d'ambiances intimistes nimbées d'un voile de mystère.
"You don't know what happens when I close the door". L'inquiétant duo entre Lumin et Noah 23, le chaos fondamental de Food For Animals et les expériences hypnotiques tout en nuances du millenium conductor d'Inoe One sont autant de traversées inquiétantes dans des passages souterrains mal éclairés. Autant de virées dans des paysages faits d'atmosphères froides et torturées, de beats tour à tour vaporeux ou violents, de décors fantomatiques ou apocalyptiques, de claviers graves, de bleeps incohérents, de nappes planantes, de rythmiques imprévisibles et de dérèglements des systèmes trop bien huilés.
Côté larynx, par contre, la diversité est le maître mot. Des arabesques prenantes du Dose One qu'on aime (celui qui passe plus de temps à rapper qu'à susurrer des poèmes creux) au emceeing mécanique de Subtee en passant par les outrances de Pip Skid, il y en a pour tous les (bons) goûts. Tout ce petit monde anime franchement les compositions nocturnes concoctées par des valeurs sûres comme Adlib, Alias et autres mcenroe. La présence de P.E.A.C.E., remonté comme une pile sur une des meilleures compositions de Diplo, constitue une bonne occasion de remarquer que l'auteur de "Southern Fry'd Chicken" s'impose avec le recul comme le plus constant des membres de la confrérie du freestyle. Voilà pour l'aparté.
Pour en revenir à nos moutons, si l'on omet quelques baisses de régime coupables dans la seconde moitié de "Hypodraulics" (contrecoup de la déferlante noisy symbolisée par 'Cut & Paste'), ce nouvel essai constitue donc une belle rupture dans la continuité. En ajoutant de nouveaux ingrédients épicés à une recette déjà bien rodée, Pseudzero et Yum parviennent à s'affranchir des canevas habituels et signent un mix qui trouve sans mal sa place parmi les meilleures sélections de l'année. Solides, denses, aventureux et souvent inattendus, "Top Fourty Suicide" et son faux jumeau constituent un parcours initiatique en deux volets qui réserve de belles surprises. Well done.
Cobalt Décembre 2005