Big Dada n'est plus. Désormais, il n'est rien de bien provocateur que de le penser, encore moins de l'affirmer haut et fort. Du moins si l'on parle du label franchement sorti de la cuisse féconde d'un Ninja Tune alors en pleine expansion au coeur des années 90 et de sa vague Trip Hop sur laquelle la structure anglaise a su surfer de la plus belle manière. En 1997, le journaliste anglais Will Ashon, auparavant collaborateur pour divers magasines tels The Source, Hip Hop Connection ou encore Trace, décide de se lancer dans l'aventure et de créer une division strictement hip-hop de Ninja Tune: Big Dada voit le jour il y a tout juste une décennie; une pèriode d'acitivté intense qui, aujourd'hui, appelle inévitablement un bilan et un retour dans les archives du label londonien.
Big Dada c'est avant tout un roster d'une qualité difficile à égaler aujourd'hui. Que l'on parle des Busdriver, cLOUDDEAD, King Geedorah (aka MF Doom), Mike Ladd (et ses deux projets "Infesticons" / "Majesticons"), N.M.S. (Bigg Jus & Orko), TTC, Roots Manuva, on se retrouve inévitablement face à des références incontournables pour beaucoup. Et d'autant d'albums, maxis et autres sorties jugées aujourd'hui comme des oeuvres majeures de leur époque. La grande qualité de l'équipe de Will Ashon fut cette capacité à dénicher des talents en dehors des frontières nationales, ne pas hésiter à aller piocher chez le voisin français pour en sortir des TTC et leur décalé ''Ceci N'est Pas Un Disque'', ne pas s'effrayer de la bizzarerie géniale d'un ''Woe to Thee O Land Whose King is a Child''; royaume étrange issu de l'imagination féconde d'un ex-Co Flow et d'un mc/producteur prolifique,... Les exemples ne manquent pas tant l'aventure musicale offerte par Big Dada rassemble dans une même structure tout ce qu'un label peut rechercher: réussite financière, critique et artistique.
Mais c'était il y a deux ans. Sans le savoir, la sortie européenne de ''Fear Of A Black Tangent'' gérée par Big Dada représentera alors le dernier gros coup musical pour le label de Will Ashon. En l'espace de deux ans, le gouffre créé par l'avant-garde du label a été rapidement comblé. Si l'on peut avancer l'explication d'un intérêt décroissant pour ce qui avait fait la renommée du label (la perte de vitesse du "rap underground" et tout ce que cette image peut véhiculer), ce serait aller bien vite en besogne que de n'expliquer la situation actuelle qu'au regard de ce simple paramètre. La prise en compte des choix artistiques récents est une donnée à ne certainement pas négliger. Pour autant sympathiques et attrayantes qu'elles puissent être, les sorties de Spank Rock, TY, New Flesh ou encore Wiley ne sont que de maigres consolations en comparaison du passé florissant du label. Et ça n'est pas l'arrivée récente de Cadence Weapon et de son "Breaking Kayfabe" qui changera la donne de manière significative. Le vent tournait, il fallait s'adapter. Big Dada comme les autres. "36 15 TTC" comme vibrant symbole de cette lente dérive.
Une situation que l'on retrouve transposée fidèlement sur cette double compilation. Comment faire cohabiter 'Dead Dogs Two' (mais pourquoi ce remix décevant de Boards Of Canada en lieu et place de la version originale bien plus accrocheuse?) de cLOUDDEAD et 'Wherever We Go' de New Flesh sans donner l'impression d'avoir à faire à une entité scyzophrène capable du meilleur comme du pire? Un amer constat qui appelle une seconde question: la musique mise en avant par Big Dada est-elle capable de se circonscrire de la sorte dans un espace clos? Pour autant aventureux qu'ils aient pû être, les cLOUDDEAD et autres King Geedorah semblent bien à l'étroit et esseulés au milieu de la masse musicale de TY ou Roots Manuva. Nous serions même poussés à penser à une erreur de casting si nous n'en étions pas les partisans les plus acharnés. Hérésie.
Pousser plus loin la réflexion finit par nous conduire à la conclusion que l'originalité du travail réalisé autour de ces artistes Big Dada s'avère à double tranchant. S'agissant de cultiver des personnalités aussi fortes que celles citées auparavant, il n'est rien de plus difficile que de tenter de les combiner afin d'offrir un mélange homogène ressemblant à tout sauf à une expèrience de chirurgie plastique aux conséquences désastreuses. Si sur le papier les sélections et mises en forme opérées semblent alléchantes, l'écoute est laborieuse tant il faut donner de l'oreille dans de nombreuses directions et ne pas rechigner à passer de la chèvre au chou morceau aprés morceau. D'autant que pour l'auditeur averti la sélection n'offre finalement de satisfaction qu'à de très rares moments. Il s'agit tour à tour de morceaux connus de bout en bout ('Unemployed Black Astronaut' de Busdriver, 'Super Pretzel' de N.M.S., 'Movements' de Roots Manuva, 'Physics Of A Bicycle' de cLOUDDEAD, 'Dans Le Club' de TTC,...) ou de ceux tout à fait dispensables n'offrant qu'un triste constat de la situation actuelle du label. Si l'on exclut le très bon inédit 'Now's The Time' de Diplo, les raisons de se réjouir sont minces.
Bien entendu, ce panorama pourrait se révéler riche et annonciateur de découvertes musicales intenses pour celui qui débarque fraichement dans l'arrière-cour londonienne ; là où sont entreposées avec soin les sorties exemplaires du label. Mais il ne devra jamais s'endormir sur cette introduction timide et mal agencée qui offre une vision globale peu fidèle à la qualité du catalogue du label. Pour les autres, il n'y a rien à dénicher autre que quelques très bons souvenirs d'une époque révolue pour celui qui avait, déjà à l'époque, l'oreille assez proche de Londres pour entendre ce qui en jaillissait alors. Peut-être aurait-il été salutaire pour Big Dada de méditer avec application et sèrieux l'enseignement qui veut que combiner les meilleurs ingrédients du monde ne produise pas toujours la meilleure des recettes.
Newton Octobre 2007