Membre d'Abnormal, proche collaborateur de la nébuleuse Shapeshifters ou de Josh Martinez depuis déjà quelques années et auteur de projets solo confidentiels mais hautement recommandables ("In Loving Memory of Deeskee", "The Components of a Perfect Suicide", etc.), Deeskee a logiquement titillé les oreilles des têtes pensantes de Vinyl Kingz qui se sont empressées de le faire signer sur le label allemand Subversiv* Records afin d'éditer et distribuer ce "Blacklight Sessions". Conçu comme une mise en bouche avant son "Audiobiograffiti" annoncé pour la fin de l'année et doté d'un casting qui donnera des frissons à tous les amateurs de west coast underground, ce court album se compose de 5 extraits de ce futur "Audiobiograffiti", d'extraits des futurs projets de Neila et The Imprakctical et surtout de 3 inédits réservés à cette sortie collector munie d'une pochette fortement attractive (le vinyle n'a en effet été pressé qu'à 500 exemplaires).
La liste des invités de ce projet montre que le carnet d'adresses de Deeskee est magnifiquement rempli. Le gratin du hip-hop souterrain californien est au rendez-vous avec ses phrasés épicés et ses personnalités bigarrés. On passe des flows en cascade de la Hobo Junction ('Suicide Bombers') au meilleur des Shapeshifters ('Eyeball', 'Deanna') en rencontrant Tommy V ou Of Mexican Descent et en commençant par un posse cut qui laisse rêveur ('aka Live In Moss Beach'). Les rimes sont affûtées, les affiliations sont plus prestigieuses les unes que les autres et personne n'a fait dans la demi-mesure. On a le droit à bien plus qu'à de simples egotrips posés en vitesse en studio. Sur la flûte planante et les claviers discrets de 'Deanna', l'inimitable poète imbibé Awol One fait ainsi dans la confession et nous livre en authentique b-boy que "tout ce dont il a besoin, c'est son ghetto blaster et sa dulcinée". Tommy V et Nonaim parlent de l'équilibre que leur apporte l'écriture sur 'Paper, Mic & Ink' tandis que la dream-team Xololanxinxo/Busdriver fait des étincelles en évoquant le matérialisme ambiant de manière très métaphorique sur une composition sujette aux superlatifs ('Borrowed Material'). Rassurez-vous donc quant à la qualité des prestations fournies.
Mais ce projet est vraiment celui de Deeskee. Si les emcees impressionnent tous, c'est bien Deeskee qui mène la barque et qui les met en valeur par des compositions qui frisent souvent le sublime. Dans la lignée d'un Omid, il affectionne les sonorités jazz ouatées quasi invariablement bâties autour de solides lignes de contrebasse et de batteries fournissant les pulsations idéales pour équilibrer les phrasés insatiables des emcees de passage. Sur ces bases maîtrisées, Deeskee dépose quelques notes de claviers caressantes et alternativement des boucles aériennes de flûte traversière, de piano ou de saxophone pour assembler un son jazzy chaud, riche, parfois hypnotisant, des fois mystique et toujours subtil. Utilisant des percussions de tous bords (et même un guiro sur 'Paper, Mic & Ink'!), il apporte en effet d'imperceptibles changements et ajouts à ses boucles pour éviter la monotonie... Dont le défilé de flows agiles auquel on est convié nous préserve déjà de toute façon. Le meilleur exemple du type d'atmosphère vaporeuse installée par Deeskee est probablement à trouver sur le titre-banquet d'ouverture mis à feu par un 2Mex royal.
Parfois, comme Deeskee l'a déjà montré par ailleurs, il aime néanmoins sortir de ces ambiances pour s'aventurer dans d'autres styles... avec réussite. Il le montre en particulier sur les 3 exclusivités de ces "Blacklight Sessions". 'Run Into The Sun' (avec le shapeshifter Die) tranche ainsi avec l'ambiance posée du LP en se montrant plus chaotique avec son break de batterie agressif, sa guitare électrique et son sample vocal torturé. S'ils restent plus proches des extraits d'"Audiograffiti", 'Electric City' avec sa ligne de contrebasse au charme étrange ornée de quelques touches électroniques et le très live 'Eyeball Kid' amènent des saveurs quelques peu différentes mais toutes aussi délicieuses dans la sauce de Deeskee. Les inédits fournis ne sont donc pas des fonds de tiroir et on en remerciera Subversiv*. Concluant l'album, 'Horror Movie' permet enfin à Deeskee de retrouver ses complices d'Abnormal et se démarque aussi par ses sonorités intrigantes (violons cinématographiques, guitare acoustique et voix angélique du refrain) en accord parfait avec les tableaux d'horreurs quotidiennes puis futuristes que Raj & Spaceranger dessinent en quelques rimes.
Au final, "Blacklight Sessions" se termine sans aucune réelle fausse note et on en redemande. Deeskee démontre son talent de compositeur et confirme qu'il a de quoi devenir un des producteurs les plus demandés de toute la Californie. "Audiobiograffiti" s'annonce grand et on se prend à rêver d'y retrouver un peu de la magie d'un "Beneath the Surface". Pour le moment, on ne se lasse pas des productions de Deeskee et de leur côté intemporel et on appréciera comme il se doit ce "Blacklight Sessions" lumineux.
Cobalt Août 2003