Oxmo Puccino

Issu d'un âge d'or foisonnant dont on dépoussière encore à ce jour les petites merveilles, Oxmo Puccino et son actualité discographique se conjuguent au présent comme au passé avec la sortie d'un nouvel album ainsi qu'un inédit accompagné de classiques et de remixes sur la compile des productions DJ Sek. Malgré un temps d'entrevue limité (avant que l'équipe d'MTV ne vienne installer ses caméras dans les loges) Abdoulaye Diarra prend le temps avec nous de retracer sa trajectoire qui va des fresques murales de Stalingrad jusqu'à l'expérience du groupe live en passant par les influences américaines et la magie période Time Bomb.



Hip-Hop Core : Comment as-tu démarré le graffiti ? Quel a été le déclencheur ? Quels souvenirs gardes-tu de l'époque ? Est-ce le graffiti qui t'a amené au rap ?



Oxmo : J'ai commencé le graffiti vers l'âge de 12-13 ans, j'étais passionné de dessin. Quels souvenirs ça me laisse ? Ben, des odeurs de peintures, le métro, les heures que j'ai passées à voir peindre des artistes comme Meo, Ski, Jay One et puis plus tard Asko.



HHC : Il y avait aussi d'autres rappeurs à cette époque là, Dany Dan, Koma, qui étaient dans le graffiti.



Oxmo : Mais on se connaissait pas, parce qu'on était pas encore rappeurs [sourire]. J'ai commencé à rapper vers vingt ans, c'est une période qui se passait disons six ans avant, donc c'était uniquement le graff. J'étais fasciné, ça remonte à très très loin, vingt ans presque déjà... [ndlr: il prend son temps pour choisir ses mots] les murs, les échelles, les block letters parce que j'étais fan de Bando, du gris contour noir beaucoup moins précis, mais il y avait la taille de l'œuvre... les hôpitaux éphémères, les rendez-vous mercredi après-midi et samedi à Stalingrad au terrain vague, que j'ai fréquenté après, la période où ils organisaient des parties. J'ai connu l'époque où ça peignait les murs avant que ça soit une Poste aujourd'hui. Ça m'a sûrement amené au rap parce que lorsque j'ai commencé à écrire, j'avais une écriture imagée (étant passionné de cinéma et évoluant dans le dessin, dans l'image tout court), j'écrivais des images marquantes et c'est comme ça que je me suis différencié parce que pour moi tout est lié de toute façon.



HHC : Dans le morceau 'L'Encre de nos plumes', avec Chiens de Paille et Akhenaton, tu fais référence à Slick Rick et dans 'Premier Suicide' tu fais référence à Rakim : des rappeurs qui utilisaient déjà beaucoup d'images, qui aimaient raconter des histoires. Cette maturité du rap de la fin des années 80-début des années 90 t'a beaucoup influencé ?



Oxmo : Ceux que tu as cité font partie des pères fondateurs. Tous les rappeurs modernes qui ont excellé les ont pris comme modèle. D'ailleurs, c'est d'eux que tout est parti et c'est vrai que c'est un niveau d'excellence qui n'a jamais été atteint depuis cette époque-là. Les premiers qui ont été inspirés par ces artistes-là sont des gars comme Nas et Biggie, toute cette branche-là. Après la disparition de ces artistes l'héritage s'est arrêté là.



HHC : Les mecs comme Biggie et Nas : vous êtes de la même génération.



Oxmo : Ouais exactement donc on a été frappé de plein fouet de la même manière. C'est vrai que les images ont marqué les rappeurs, parce que lorsque tu arrives à écrire des images, plus elles sont fortes plus ta poésie s'avère élevée. Pour Rakim notamment qui avait une écriture philosophique, une réflexion poussée. C'est quelqu'un de cultivé et qui jouait du saxophone, ce qui lui donnait un flow particulier et très musical, beaucoup plus que les autres rappeurs.





HHC : Et justement on t'a souvent comparé à Biggie, quel est ton rapport à son rap ? Parce que pendant la période Time Bomb, Biggie, c'était les hits pour les b-boys de l'époque, comment est-ce que ca t'a influencé ?



Oxmo : Ce ne sont pas ces morceaux-là qui m'ont influencé. J'ai commencé à écouter Biggie dès son premier morceau, 'What's The 411?' avec Mary J Blige, il s'appelait Biggie Smalls à l'époque et dès cette période-là j'ai commencé à m'intéresser à l'artiste. C'est surtout sa période avant le premier album, ça sentait les égouts de New York et c'est ce qui me plaisait parce qu'à l'image d'un DJ Premier chaque phrase faisait référence à la culture noire new-yorkaise. Et puis il y avait ce mélange de toutes les influences soul, des débuts du hip-hop. Il y a une mix-tape qui est sortie à l'époque où le DJ reprenait toutes les influences de Biggie, et là tu voyais toute la richesse du bonhomme. C'est plus cette période qui m'a inspiré, parce qu'elle était moins guidée commercialement par Puffy. Ce qui m'intéressait c'était le côté le plus raw, le plus cru de Biggie et puis son talent pour raconter les histoires, qui n'a jamais était égalé depuis. Cet humour aussi qui le marquait, ce cynisme, le réalisme, cette façon de parler des relations entre les gens. Biggie pour moi c'était un rappeur qui avait une écriture, une interprétation qui était à la hauteur d'un Chester Himes, voilà. Pour moi c'est le plus grand rappeur de tous les temps. Et puis l'histoire qu'il y a autour de lui, le fait que je l'ai vu en concert, ce sont des choses qui font qu'il tient une place importante dans ma vision du rap.



HHC : Tu l'as vu en concert à Paris, à l'époque ?



Oxmo: Il n'est jamais venu à Paris. Je crois que je l'ai vu en concert à New York, à l'Appolo Theater. C'est Jay-Z qui faisait un concert et ils ont commencé à interpréter leur morceau 'Brooklyn's Finest'. Normalement il y a le passage de l'artiste avec qui il partage le morceau et c'est le public qui chante les paroles, et puis là, Biggie est arrivé, et la foule était... il s'est passé un phénomène que je n'ai jamais vu depuis : à la fin du morceau, Biggie avait quitté la scène mais le public s'est levé pour applaudir, exigeant un rappel. Il y avait des gens qui faisaient la queue pour le deuxième show mais les spectateurs du premier ne voulaient pas partir de la salle. Il a fallu appeler la sécurité pour faire sortir tous ceux qui commençaient à crier "Biggie! Biggie! Biggie!". C'était complètement dingue.



HHC : Dans une interview donnée au magazine Get Busy pour la sortie de "L'Amour est mort", tu évoquais l'émulation de l'époque Radio Nova avec nostalgie.



Oxmo : Aujourd'hui c'est un sentiment dont je me suis débarrassé : je me dis que la nostalgie ronge l'âme et qu'elle nous fait rater des moments importants à venir. Je fais le parallèle avec la nostalgie que les gens ressentent lorsqu'ils parlent de l'époque Time Bomb. Et ça m'offre un certain recul : je leur dis "Vous parlez de l'époque Time Bomb mais avant ça j'ai vécu l'époque Radio Nova où on était encore aux cassettes que l'on échangeait au collège", j'évoque cette première explosion "rapologique" parce qu'elle a bouleversé les choses dans le hip-hop ; la deuxième étant arrivée avec Time Bomb. Donc pas vraiment de la nostalgie, mais disons que c'est une époque et je l'ai bien vécue.





HHC : Quel regard portes-tu sur la période Time Bomb ? Finalement, malgré tous les talents réunis, vous n'avez pas continué ensemble et chacun a suivi des voies bien différentes. Ce sont les déceptions qui ont fait éclater le collectif ?



Oxmo : Quand tu réunis des artistes avec un tempérament fort et qu'il n'y pas assez de moyens pour accomplir les idées de tout le monde en même temps et qu'il va falloir choisir un ordre, ça ne peut pas satisfaire tout le monde. C'est ce qui s'est passé en gros, il n'y avait pas de place pour tout le monde en même temps et forcément il y a eu des divergences d'idées ponctuelles et puis chacun est parti faire son truc de son côté comme il le voulait. Finalement c'est le mieux qui ait pu se produire, je pense.



HHC : On écoutait les sessions radio de l'époque tout à l'heure, ça ne te manque pas le côté compétition, challenge ?



Oxmo : Disons que c'était une époque qui était dénuée d'ambitions financières, donc ce que tu amenais venait directement du cœur. Il n'y avait pas d'intermédiaires ni de chemins tortueux à passer entre toi et l'accomplissement de ton idée. Aujourd'hui avant que ton idée s'accomplisse tu vas réfléchir à ton clip, au public à qui ça s'adresse, tu vas te poser trop de questions, qui font que finalement tout ce que tu vas faire ne sera pas aussi naturel et forcement ça deviendra moins touchant, moins sensible, et la qualité s'en ressentira. C'est une époque qui était tellement forte que je peux continuer de m'en inspirer pour évoluer. Si bien que je ne la regrette pas car grâce à elle je suis tranquille artistiquement, aujourd'hui encore. C'était spontané, c'était une très bonne école.



HHC : Ta signature en major s'est faite grâce à Akhenaton ?



Oxmo : Sûrement, parce qu'avant de signer j'avais fait 'Mama Lova' sur la compilation "Sad Hill" de DJ Kheops, et juste après j'ai signé. Disons que nous étions en contact avec beaucoup de majors parce que nous avions des maquettes prêtes, nous voulions sortir un album dès que possible.



HHC : Vous aviez maquetté un album Time Bomb à l'époque ?



Oxmo : Oui, qui n'est jamais sorti, il y a eu des maquettes mais ça n'a pas eu le temps d'aboutir.



HHC : Personne n'a voulu les exploiter par la suite ?



Oxmo : Non, je n'étais pas propriétaire des bandes donc ça ne me concernait plus... Je ne suis pas trop passéiste, je préfère... [ndlr: à nouveau il prend son temps pour choisir ses mots] inventer des nouveaux morceaux plutôt que réchauffer des vieux.





HHC : Tu es en major depuis ton premier album : comment le vis-tu ?



Oxmo : Je ne suis plus en major depuis "Lipopette Bar". Disons que c'est une expérience enrichissante qui permet aujourd'hui de garder les pieds sur terre. Mais pendant longtemps le problème des majors était leur complexité. Il y avait beaucoup d'intermédiaires, souvent il fallait attendre son tour. Il y avait beaucoup de divergences aussi entre l'artistique et le commercial, parce que ce sont deux choses qui se mélangent difficilement et forcément beaucoup d'artistes y ont laissé des plumes. Mais je suis content de l'expérience que ça m'a apporté, parce qu'aujourd'hui en indépendant je n'ai pas à me plaindre et surtout je sais où j'en suis.



HHC : Comment s'est faite la connexion avec les Jazz Bastards ? Qu'est-ce que ça t'a apporté ? Est-ce que ça a influé sur ton rapport à la musique ?



Oxmo : J'ai rencontré les Jazz Bastards à l'occasion de "Lipopette Bar", ils m'ont été présentés par un autre éminent musicien et ça a apporté la touche finale à ma quête. Cela faisait longtemps que je travaillais avec des musiciens, mais lorsque je suis rentré dans un projet qui était centralisé autour de la création musicale originale avec des compositeurs, tout a changé. Se sont ouvertes à moi des portes sur un nouvel auditoire qui a pu me découvrir avec davantage d'assurance que dans les clichés. Les clichés du rappeur on les connaît, je ne vais pas revenir dessus. Pour moi avoir travaillé avec des musiciens m'a fait découvrir que l'on pouvait aller beaucoup plus loin que ce que les gens pensent. Et ce n'est pas fini, ça m'a apporté beaucoup de liberté, surtout sur scène. Musicalement c'est incommensurable, c'est une liberté qui peut être dangereuse mais qui peut être tellement bénéfique que dans le cadre d'une bonne recherche, j'invite tous les artistes hip-hop à l'essayer.



HHC : Sur ton dernier album, ton esthétique musicale et ton univers textuel mutent encore un peu plus pour s'éloigner du rap. Ce côté "chanson", comment est-ce venu ?



Oxmo : La définition que j'ai trouvé et que j'adore en ce moment, c'est : lorsqu'on a des artistes français ou francophones qui s'expriment sur de la musique avec un auditoire français et vendent des disques de musique pendant vingt ans en atteignant des millions en chiffre de ventes, comment peut-on appeler ça... si c'est pas de la chanson française ? Je pense que ça parle de soi-même, donc pour moi se poser la question est une marque d'incompréhension, clairement. Le rap aujourd'hui est rattaché à une certaine image qui n'existait pas à l'époque où nous écoutions des artistes comme Boby Lapointe, Brel, bref, tout ces grands pontes de la chanson française qui avaient chacun un débit particulier n'ayant rien à voir avec leurs collègues de l'époque, et qui encore aujourd'hui est d'actualité - non seulement au niveau textuel mais au niveau technique. Ce n'est pas pour dire que c'étaient des rappeurs mais pour dire qu'aujourd'hui les rappeurs sont des chanteurs français, comme les autres, ce n'est même plus à prouver, a + b = c.



Interview de Hugues et Corrado
Août 2009

P.S. : Propos recueillis le 3 Avril 2009 au festival Garorock à Marmande. Merci à Emilie, Sophie et Première Pression.

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