Qualifier Moka Only d'artiste prolifique serait un euphémisme. Avec plus d'une trentaine d'albums sous une poignée de pseudonymes à son actif, une activité foisonnante en tant que producteur et une liste de collaborations vraisemblablement infinie, force est de constater que celui qui a déclaré par le passé écouter régulièrement ses propres albums ne risque pas de se lasser de son œuvre avant un bon moment.
Sa dernière offrande en date, "Lowdown Suite 2: The Box", recèle de qualités certaines, à la fois cohérent et minutieusement construit, ce qui lui confère une qualité rare en créant un univers sonore accessible dès la première écoute sans que l'on ne s'en lasse rapidement au fil des écoutes pour autant. Empreint d'une atmosphère old school sans jamais retomber dans le recyclage, "Lowdown Suite 2" navigue ainsi habilement dans les eaux parfois troubles du hip-hop dit mainstream pour en émerger victorieux et surtout, diablement efficace.
A l'écoute de cet album on comprend en effet sans mal l'engouement que suscitent les productions de Moka Only auprès de nombreux autres artistes (pour n'en citer qu'un parmi tant d'autres, il a notamment été sollicité par Buck 65 pour son projet "Dirtbike 1/3") : pluri-dimensionnel, chaque morceau est construit avec finesse et doté de nombreux samples sonores et musicaux qui, judicieusement intégrés en toile de fond derrière les instruments, contribuent tous à créer une texture musicale particulièrement soignée. Notons par ailleurs que les titres signés du Suisse Chief maintiennent avec brio le haut niveau fixé par Moka. On retrouve cette même attention au détail dans le tracklisting, puisque les ambiances des dix-huit morceaux présents sur l'album, aussi différentes soient-elles, s'enchaînent sans dissonance ni faux pas. En fait le seul reproche qu'on fera ici à "Lowdown Suite 2" est que les chansons sont parfois trop courtes, preuve s'il en est de l'alchimie qui s'opère à leur écoute.
Textuellement l'album s'inscrit dans la lignée directe d'un genre qu'a largement contribué à populariser Moka Only, à savoir le freestyle : on parlera alors moins de thématiques et de fils conducteurs et davantage de déambulations verbales où le rappeur évoque son environnement et livre ses impressions sur tout ce qui lui passe par la tête. Sont ainsi évoqués sans ordre particulier les finances du rappeur, l'évolution de sa carrière ("
Is it gonna be happiness or wealth? / Well hungry ain't happiness"), sa situation sentimentale et les réflexions que cela lui inspire ("
Love comes to those who just treat it like a whore") ou encore son mal de dents chronique.
Candide et souvent drôle, "Lowdown Suite 2" dévoile de nombreux moments d'introspection non dénués d'une certaine pointe de nostalgie, l'occasion pour Moka Only de dresser un bilan de son parcours artistique ; et si les constats qu'il en tire ne sont pas toujours des plus valorisants, le rappeur parvient à l'évoquer dans des termes dont la franchise ne frôle jamais le larmoyant ("
I thought that we'd make cents / I thought it would make dollars / I thought that we'd break shit / But only thing breaking is my goddamn heart / Wish I'd had the foresight to see it from the start"). Présenté ainsi certains pourraient juger l'exercice futile, pourtant il s'avère bien plus vivifiant que bon nombre de textes de rap qui, à défaut de généraliser, se trouvent trop souvent cantonnés à deux catégories majeures, soit d'un côté les interminables énumérations – fictives ou pas – de voitures, de prouesses sexuelles et autres battle rhymes, et de l'autre, la multiplication d'élucubrations stylistiques qui dénotent davantage une ponte d'ésotérique indigeste qu'un quelconque talent d'écriture.
En réalité, le travail que présente ici Moka Only jouit de cette rare aptitude à être dénué de fausses prétentions sans jamais être ennuyeux ni prévisible pour autant, ce qui procure des écoutes éminemment satisfaisantes. Et si le rappeur souligne à juste titre que "
It ain't got to make sense to make impact", il n'empêche que "Lowdown Suite 2" possède toutes les qualités intrinsèques nécessaires à en faire un succès. Long live Moka.
Naïma Janvier 2010