"Beneath The Surface". S'il fallait retenir un album représentatif de cette scène west coast underground qui s'avère plus que jamais cette année une des fournisseuses les plus régulières d'albums de qualité, ce serait probablement celui-là. Reflet quasi-parfait de toutes les forces vives du vivier californien, "Beneath The Surface" cristallisait toute la créativité bouillonnante des artistes conviés, en les alliant une fois n'est pas coutume à une production absolument irréprochable fournie par un émigré iranien pas comme les autres. Comme tel, il reste un des rares albums de producteurs indispensables. Focus sur le présent : celui qu'on appelait alors O.D. s'appelle désormais Omid, a sorti un second opus (instrumental) "Distant Drummer" l'an passé, s'est rendu indispensable par ses collaborations avec Scarub ou 2Mex… Et les années n'ont fait que confirmé l'excellence de ses productions fouillées. Alors qu'il nous revient en ce début d'automne avec une nouvelle galette pour le compte de l'incontournable label Mush, il est plus que temps de mettre dans la lumière ce producteur discret mais indéniablement influent.
Omid a voulu ce disque à mi-chemin entre "Beneath The Surface" et "Distant Drummer". L'album se partage donc à parts égales entre plages instrumentales et titres rappés, permettant au maître de maison de faire étalage de son savoir-faire multi-formes. Réel compositeur, plus que simple producteur, Omid sait être minimaliste quand les mots le demandent et dense partout ailleurs. Ses riches plages instrumentales mêlent ainsi chaleur organique des instruments, froideur électronique des machines et bruitages de tout bord avec un sens inné du bon dosage et de la mélodie. En ouverture de 'Research', une voix nous apprend avec humour:
"if you copy from one, it's plagiarism. But if you copy from more than one then it's research". Outre la résonance troublante de cette boutade une fois appliquée au hip-hop, Omid prouve ici qu'il est un chercheur émérite. Piochant une ligne de basse magique pour installer un groove immédiat, il la propulse à l'aide d'une rythmique solide et de quelques sonorités spatiales de son cru, démontrant ainsi le théorème énoncé en introduction. L'autre sommet instrumental évident de "Monolith" est bien le clin d'œil d'Omid à ses origines orientales 'Sound Of The Sitar'. S'ouvrant sur une boucle de sitar modulée à volonté et posée sur des handclaps funky, pour mieux changer du tout au tout en cours de route avec une multitude d'autres instruments aux couleurs de l'Est, 'Sound Of The Sitar' est une merveille d'arrangements et d'exotisme. A vrai dire, toutes ses compositions nues montrent l'éclectisme des talents d'Omid; du foisonnement paradisiaque de l'ouverture 'Arrival/Departure' (on lui pardonnera la boucle grillée de départ) à la beauté diaphane d'un 'Always Being Born' (au piano jazzy étincelant et aux percussions hétéroclites) en passant par la mélancolie palpable d'un 'Ripple Study' instable ou les déséquilibres de 'Speaker's Hot'.
Dès lors, ce n'est que du côté des titres rappés que les grincheux trouveront de quoi formuler quelques griefs à l'encontre d'O.D. En effet, pour ses associations avec des vocalistes, Omid se fait moins démonstratif et préfère mettre en avant les emcees (dont, avertissement, les prestations ne sont cependant pas toutes aussi transcendantes qu'espéré). Certains lui reprocheront peut-être cette économie… mais ce serait dommage. Car si la structure de 'Live From Tokyo' est assez statique (avec sa ligne de basse obsédante et ses montées de cuivres sporadiques), c'est pour mieux nous laisser profiter des cuts nerveux de DJ Drez et surtout de la grande conférence contre la wackitude qu'ont enregistré au pays du soleil levant Luckyiam.PSC, Slug, Aceyalone et Murs. C'est une constante chez Omid que d'avoir sous la main un panel d'ambiances bigarrées afin de coller au mieux aux textes de ses invités. Les 14 titres de "Monolith" sont donc très variés. Lorsque Spoon d'Iodine dresse de sa voix d'outre-tombe un tableau dépressif des dérives mercantiles de l'ensemble de la société (sur le justement nommé 'I'm Just A Bill'), Omid l'accole à une rythmique de guitare implacable et écrasante. Lorsqu'Abstract Rude chantonne la constante quête de sens et de pouvoir de l'espèce humaine, Omid alterne ambiance mystique (magnifique flûte traversière) et guitares électriques pour mieux en refléter les aléas historiques. Lorsque Busdriver se lance dans une offensive anti-gouvernementale cinglante et galvanisante, Omid choisit un instru électronique tout aussi inattendu, tour à tour épileptique et bruitiste, s'adaptant aux modulations de flow de la moitié chevelue de The Weather. Lorsqu'à travers les filles de papier glacé qui hantent les soirées parisiennes et quelques autres vignettes cruellement réalistes, Buck met en exergue la solitude et l'isolement de notre temps de sa voix rauque, Omid atteint des sommets. Avec un orgue de barbarie intimiste, une basse et des envolées de violons, il met en place un décor sombre et poétique qui rappelle le Canadien à ses premiers amours (loin du folk un peu trop figée de "Talkin' Honky Blues") et fait plaisir à entendre. On pourrait aussi épiloguer longtemps sur la beauté aérienne de la collaboration entre Omid et Nobody (l'infiniment sous-estimé auteur du sublime "Soulmates") derrière le spoken-word métaphysique 'Robert L. Ripley' d'Hymnal… mais on s'en gardera pour vous laisser la découvrir.
Loin d'être une relique ancestrale aux contours immuables, "Monolith" est bien un album de progression pour Omid. A la croisée de ses prédécesseurs tout en ouvrant de nouvelles voies (plus perméables à l'électronique), il consacre le talent d'Omid. Sans atteindre la quintessence de "Beneath The Surface", il constitue une pierre angulaire de plus au bel édifice qu'Omid se construit lentement mais sûrement pour atteindre le panthéon. Gageons que l'album qu'il produit actuellement pour Sach (ex-Nouka Basetype de The Nonce) ou ses participations aux futurs projets d'Ellay Khule et 2Mex en seront les prochaines. En attendant, un album d'Omid dans tous les bacs français, ça se fête dignement… Par un acte d'achat compulsif par exemple.
Cobalt Octobre 2003