Comme semblent l’annoncer des cors de chasse en rythme, dans un début de disque en fanfare, la nouvelle est de taille.
"Shifters attack!", ou quand les damnés de la terre du Hip Hop, les éternels scaphandriers de la musique réclament leur écot et hurlent à l'industrie : "La bourse ou la vie ?". Les membres du collectif Shape Shifters, transformistes de la scène underground angelina, peuvent-il aussi faire valoir leur droit au smash hit? Le principe-même du disque semble en tout cas le suggérer. L'artwork (effectué par AWOL One himself) dénote une volonté certes irrévérencieuse mais réelle, celle d’établir un nouveau cours dans le marché du rap ; il rappelle en outre assez fortement un visuel de Mobb Deep, groupe à l'audience autrement plus vaste. Ensuite, le nom choisi pour cette association entre 2Mex et Life Rexall est un mot-valise incluant ni plus ni moins l'argent, l'intelligence et le sacrifice. Soit trois éléments cardinaux dans la topographie du hip hop, toutes catégories confondues. Toutes catégories confondues : nous sommes dans le vif du sujet. En effet, nos deux lascars sont bien décidés à utiliser l'intégralité de leur arsenal pour défendre leurs arguments, en ne lésinant pas au passage sur le nombre d'alliés.
'So Money' est ainsi la pièce du dossier la plus significative. Ce titre-carton use d'’une ligne de basse obsédante, de ruptures bien senties, d'un sample soul addictif et d'une alternance équilibrée des flows. Bingo bong!, on donnerait tout l'héritage de mère-grand à ces garnements de L.A. quand ils savent si bien utiliser leurs machines et leurs voix. Qui plus est, cette pépite aura été habilement amenée par deux plages tout à fait dignes. Sur 'Green Grass', des chœurs rétro et légers sont contrebalancés par des sifflotements dans le vent.
"The grass is always greener". Les doigts claquent et les rêves d'argent gagnent les airs.
"What if we don't make it back? / We're coming back". Puis '3 Day Eviction Notice' est structuré par une boucle qui n'est pas sans rappeler MF Doom. Le morceau coule de source et s'écoute agréablement, la légère mélancolie comprise.
"Wish that I could find some place to go".
Bon point pour lui, ce disque jouit d'assez belles invitations. Ainsi, un titre quasi anecdotique est soudain illuminé par quarante secondes du flow inspiré et à couper le souffle de Busdriver. Les percussions et guitares rock à tendance gothique de 'Full Court Pressure' sont parfaitement énergisées par la présence d'Existereo. Dans 'Freeway Series', Sondoobie et Akuma se révèlent directs et pugnaces en shérifs d’un western effréné, où le dialogue des cuivres et de la harpe est bien servi par les prises de micro. Dans ce décor, on pourra néanmoins regretter le manque de relief des prestations de Die et de Mestizo. Le premier, sur fond d'une guitare classique pourtant mise en valeur par des beats précis, rend une copie aussi fade que sont peu révolutionnaires les scratches de Deeskee. Quant au métisse chicagoan des Galapagos 4, nous sommes ravis de le retrouver sur un disque west coast mais sa présence ne parvient guère à rattraper le niveau d'une boucle qui, pour le coup, semble issue du rebut de Metal Fingers.
Et les featurings ne sont, hélas!, pas les seuls à être inégaux. Par exemple le titre 'Money Doesn't Matter'. Claquements de mains, boîte à rythme cool-jazz : oui, nous sommes en présence d'un titre produit selon les canons exacts du rap mainstream. Est-ce donc pour ça qu'un certain ennui affleure, celui qui fait skipper les plages d'un disque promu à grands renforts de marketing musical et écouté distraitement sur une borne en grande surface spécialisée? Ou tout simplement parce que ce titre est ennuyeux? Tout comme le sont 'International' ou ce 'Money In The Form Of A Woman', dont ressort une impression globale de gâchis – sample poussif et crescendo mal maîtrisé. Pour sa part, 'Call You Later' dispose certes d'une bonne idée de départ (palmtrees & swimsuit & all) mais s'avère très vite répétitif.
"I'ma call you when this song is over", dit le refrain. Quelqu’un semble conseiller :
"Don't wait so long!".
Mitigé, c'est aussi l'avis que récoltent in fine les productions de Life Rexall. L'Asiatique moustachu maîtrise son sujet mais ne semble pas vraiment parvenir au bout de ce qu'il voudrait entreprendre (contrairement à son "Frequency Response"). Preuve en est qu'en deux productions, c'est bien Polyhedron qui développe les sons les plus symptomatiques de cet album, avec '3 Day Eviction Notice' et surtout 'So Money'. Côté emceeing, Life Rexall est sans aucun doute plus passe-partout que 2Mex ; il assure par ailleurs la part introspective du duo.
"I'm a nightmare's victim in a self-conscious prison between science and religion". 2Mex, lui, fait plutôt plaisir à entendre sur cette galette. Loin des nombreux errements relevés récemment, le gros Mexicain trouve enfin ici le cadre permettant de mettre en avant tout son charisme et la puissance de son phrasé.
"Did you ever steel ? Of course I feel remorse but I'll probably do it again if I was forced".
En résumé? Un excellent début d'album et, malgré un essoufflement regrettable dès le milieu du disque, du bon esprit à revendre.
Billyjack Août 2006