Tcho

Artisan d'une esthétique sombre et dense, Tcho n'est autre que l'homme de l'ombre derrière les clips et les pochettes de disques de Casey, AL, La Rumeur ou encore Blaq Poet. Après de nombreuses années passées dans le graffiti, il évolue ensuite comme graphiste à partir de 2000. Cette véritable cohésion dans les travaux du b-boy donnent envie d'en savoir plus, résultat : une interview sans tiédeur ou censure avec ce metteur en images insomniaque.



Hip-Hop Core : Pour les gens qui ne te connaissent pas déjà, peux-tu te présenter ?



Tcho : Tcho, graphiste depuis près de 10 ans, et depuis peu "réalisateur" de clips au sein de ma boite Antidote Inc. Affilié à des artistes comme Casey & Anfalsh, Matière Première, La Rumeur et d'autres...



HHC : Quel a été ton parcours ? Quand et comment t'es tu lancé dans le graffiti ?



T : Bah comme beaucoup de gens de ma génération, à nos 11-12 ans, on s'intéresse de près, et de plus en plus près même, à la culture Hip-Hop, du moins la traduction ou l'interprétation qu'on voit, à 30 bornes de Paris, dans un quartier où comme dans beaucoup d'autres, tu te fais chier à mourir. Le seul truc "étrange" qui allie plusieurs domaines (musique, danse et visuel) et le seul truc qui a accroché pas mal de gens de mon âge. Le break, le rap, c'était clairement pas pour moi, j'ai donc été tout de suite vers le graffiti, en prenant comme références dans un premier temps les "grands" de chez moi, qui, sans être vraiment passionnés et être des "Zulus", faisaient leur truc. Plus un truc de "voyou" qu'autre chose. Depuis, je crois qu'ils ont quasiment tous "disparu" de la circulation, avec un qui est en centrale en province pour un bon moment et d'autres dont j'entends de temps en temps des histoires mais dont j'ai perdu la trace.



HHC : Tu as été membre actif du crew P19, est-ce que tu peux en parler, quels souvenirs as-tu gardé ?



T : J'ai intégré ce crew en 1993. A la base, j'étais dans Special Homicide, un groupe à géométrie "à l'ancienne" avec 2 rappeurs, dont Casey, des DJ's qui se sont succédés et moi comme peintre. C'est dans ce cadre là que j'ai rencontré Pest. C'est plus à partir de ce moment que j'ai peint régulièrement... Les années ont passé, on a développé le crew à un moment, chose que je regrette un peu et j'ai mis fin à tout ça pour ma part. Tu crois être dans un ensemble, et tu te rends compte que que-dalle... Après je parle surtout pour trois cas :
- un qu'on a mis de côté, à l'époque "chef de rubrique graffiti" de l' autoproclamé "Magazine de la Culture Hip Hop", qui doit être en train de faire du didgeridoo à poil dans un bois ;
- et un tandem d'opportunistes assez habiles, qui eux doivent être à poil en train de se mettre et se murmurer dans l'oreille "On s'en fout, on est bien tous les deux hein ??".
Bref, ne voulant pas faire l'emmerdeur de service, ou la mauvaise graine au sein d'un crew qui, en dehors de ça, fonctionnait bien, j'ai pris mes distances vers 2000-2001, et dès lors je me suis mis à fond dans le graphisme... Je me suis barré à temps pour en garder des bons souvenirs, comme par exemple, les nuits blanches où on pétait des voies ferrées en couleur, et d'autres anecdotes... On avait réussi à développer un truc de banlieusard où on s'en cognait pas mal de la scène parisienne. Mais en gros, je crois que les collectifs, ça m'a gonflé...



HHC : Tu es autodidacte dans le métier du graphisme, est-ce que le fait d'avoir déjà un bagage dans la culture Hip-Hop t'as permis d'avoir des connexions solides dés le départ ?



T : A l'époque où j'ai commencé à m'y mettre, je n'avais pas de "connexions solides" comme tu dis. Que des amis, et principalement Casey que j'estimais et estime énormément encore aujourd'hui, et j'avais à l'époque aucun doute sur le fait qu'elle en fasse sa vie. De l'autre côté, géographiquement, je faisais pas mal de choses à Grigny, ville du 91 avec des artworks de compils et de mixtapes. Code 147, un groupe orienté West Coast, ils avaient un truc de barges, un son West Coast sans les clichés balourds, un côté insoumis et "bas les couilles" et surtout ils vivaient le truc... "Voyou Funk" comme ils disent... Les gens qui viennent du même département, comme la "Chypriote qui se prend pour un diamant" étaient des bouffe-merde à côté d'eux, et je les considère encore comme tel aujourd'hui, même s'ils collectionnent les disques d'or.





HHC : La réalisation de clips s'est venu après le graphisme ?



T : Oui, carrément, du coup d'essai "Dans nos Histoires" de Casey en 2005 où j'y connaissais rien, je m'y suis encore essayé après, en apprenant au fur et à mesure un peu toutes les étapes, du shooting à l'étalonnage en passant par le cut. Après, même aujourd'hui, je pense plus mes clips comme du graphisme "animé". Je pense à des plans, des ambiances et après on voit comment ça avance. Le côté cinématographique me gave, j'en ai pas la prétention et pour moi le clip est attrayant car il y a le support musical que j'aime, le côté "frais" hip-hop. En gros, raconter des histoires, si c'est pas bête et méchant, j'ai du mal, l'important pour moi c'est "l'ambiance" générale du clip sans pour autant dire que je ne le ferai jamais. Tu parlais "d'autodidacte" en graphisme, alors en vidéo, c'est de la bidouille me concernant, j'apprends doucement, et par moi même, avec les outils dont je dispose.



HHC : Comment arrives-tu à gérer ton emploi du temps entre tes différentes casquettes ?



T : Je ne gère pas grand chose, mes plannings sont "chaotiques". Je fais ce que je peux pour honorer les deadlines de chacun, avec à coté de ça mes obligations et responsabilités parentales, les paperasses et la trésorerie "en dents de scie" de ma boite... C'est aussi en fonction des projets, je travaille quasiment exclusivement avec les mêmes personnes, dont je comprends le "truc" et c'est motivant car tu te retrouves dans leur musique... Ça dépend aussi des périodes, c'est souvent le rush et quand c'est mort, j'en profite, quand je le peux, pour me barrer de France, prendre le soleil ailleurs. Donc je gère pas grand chose et j'ai jamais été dans le délire de m'avancer dans mes devoirs d'école.



HHC : 45 Scientific, Matière Première, La Rumeur, Anfalsh ce sont des gens que tu connais personnellement, avec qui tu travailles régulièrement, comment se dessinent vos collaborations ?



T : Pour Anfalsh c'est simple, c'est la même chose qu'Antidote, seul le nom et la discipline changent... On avance ensemble. Ils me laissent souvent avancer seul de mon côté pour leur image... A force, on a réussi à développer un truc entre le gore, la violence et surtout l'insolence, les images qui dérangent. Pour La Rumeur, ça se passe souvent comme ça : Ekoué m'appelle, me dit ce qu'il lui faut, me soumet ses idées et on progresse comme ça. Ils me font confiance pour la forme, mais le fond c'est eux principalement. Les visuels sont en règle générale, assez sobres... Ces derniers temps, je travaille plus avec Bavar comme contact. Matière Première, c'est des potes, tout se fait naturellement. Ils me laissent carte blanche et c'est un plaisir de travailler avec eux. Des passionnés de hip-hop, humbles et surtout des MC's très forts (Al, Adil, Loubna...). C'est aussi une structure carrée, avec des gens qui bossent et bossent bien. Pour 45 Scientific, c'est surtout Geraldo qui me met sur ses projets, et pareillement, c'est un ami, on avance ensemble. Après pour chaque projet, c'est en contact direct avec l'artiste aussi. En gros, je vais te citer pour dire que, oui, ça finit en "collaboration". Les personnes que tu as citées sont celles avec lesquelles j'évolue et on devrait évoluer encore ensemble. C'est également valable avec d'autres personnes comme DJ Mars, DJ Sek de Time Bomb, Mic Processeur et d'autres. Et à vrai dire, c'est même assez "normal" et naturel : des rencontres se font et si ça se passe bien, humainement et professionnellement, on continue...





HHC : Comment as-tu rencontrer Blaq Poet et DJ Premier ? Qu'est-ce que ça représentait pour toi de travailler avec eux et quels ont été leurs envies et leurs exigences ?



T : Le "Deja Screw" de Poet était un de mes premiers tafs pour 45 (après le "Black Album" de Lunatic). Avec des photos de Francois Bonura (Journaliste pigiste pour Radikal et Juice), on avait réalisé un bel objet. Poet avait kiffé des visuels promo via Francois par mail, et le team de Year Round aussi, car Geraldo leur avait donné des albums. Geraldo m'a présenté Gordon Franklin a.k.a. Biggest Gord, et le courant est passé. Il a apprécié le job fait sur "Deja Screw" et on a enchainé sur NYGz "Welcome 2 G-Dom". Preem a aimé aussi, et après j'ai eu des commandes pour des mixtapes ("Rare Play 1 & 2", "Time 4 Change"), des maxis (NYGz, Poet) des albums ("Beats That Collected Dust"...), des logos pour T-Shirts et des vidéos... Après, le processus de création graphique, c'est un peu comme partout. Soit ils ont une idée et je m'efforce d'interpréter au mieux leur idée, soit des fois ils sèchent et on essaie de faire un truc qui a de la gueule à partir d'un concept ou d'un choix de graphisme que je leur propose... J'avais bossé quelques fois avec mon laptop à HeadQcourterz, dans leur bureaux. J'avançais, ils validaient en direct, on enquillait après sur d'autres trucs... Premier est LE DJ et producteur Hip-Hop par excellence, donc bien sûr que c'est un kif de bosser avec lui. Et Gordon est depuis un ami, et ca ramène à ta question d'avant... on avance tant que ca fonctionne... on continue.



HHC : Comment perçois-tu les mécanismes qui se répètent à l'excès dans les clips, où le rappeur est souvent le seul et unique sujet ?



T : Comme je te l'ai dit précédemment, j'ai surtout un point de vue de "spectateur" pour les clips car ça fait pas longtemps. Après, le "mécanisme" que tu cites, où le clip est surtout fait de playback sur un personnage... J'aime bien. Tout est dans la manière, comment c'est amené, rythmé. J'aime par exemple les clips de Nas, ou juste à l'image, il va ramener un truc, une manière de bouger et ses clips puent New York à plein nez ('Made You Look' et 'Nas Is Like' principalement). Un clip comme 'Burn' de Mobb Deep est également excellent pour moi. Le principal dans un clip, c'est de ne pas s'emmerder en le regardant. Que ça repose uniquement sur le charisme d'un artiste, ça ne me dérange pas, tant qu'il est un minimum charismatique. Des gars comme DMX, Method Man, Redman jouent devant une caméra, et ça tue. Je préfère 100 fois voir un clip de 6 minutes d'eux où ils sont juste en playback dans une cabine de prise de voix plutôt qu'une histoire à la con super téléphonée où un rappeur qui va se rouler dans l'herbe comme Stephan Eicher, juste pour faire "différent". Ça ne concerne que moi, mais en gros, je te dirais que le "mécanisme" n'est rien, je suis plus dans la manière et l'impression générale qui se dégage du clip. L'originalité bien sûr que ça compte, c'est même un fondement du hip-hop, mais ce qui est, à mon avis primordial aussi, c'est le résultat... Ça le fait ou ça pue du cul. Je garde mes avis tranchés pour le graphisme. Même si je n'ai aucune légitimité. On va dire que je suis 1000 fois plus intolérant avec les pochettes de disques, ou justement, sur une image arrêtée en plus, il n'y a rien, c'est vide, et c'est chiant comme une pub de shampoing. Je pense que t'as pas besoin d'exemples. En tout cas il y a des graphistes "en vogue" qui en font leur fond de commerce. J'ai lu un forum (avec toutes les réserves que je peux avoir sur le défoulement anonyme des nerds) où l'un d'eux qui s'appelle Korya se faisait lyncher par rapport à son interview et je les ai trouvé relativement gentils par rapport à ce que je pouvais en penser, surtout dans ses propos. C'est assez simple, on en parlait ensemble la dernière fois, quand on disait que "quand on dit d'une musique qu'elle est cool, c'est mauvais signe, ça fait un peu musique d'ascenseur", bah là c'est la même chose... un artwork "sympa" ou "mignon", ça peut être très mauvais signe...



HHC : Une vidéo comme celle de "All Caps" de Madvillain avec une esthétique des comics 60's, ça te parle ?



T : Je ne la connais pas, j'irais la voir, mais ça peut me parler comme pas du tout en fait...





HHC : Quels sont les 5 pochettes d'albums (toutes musiques confondues) qui t'ont le plus marqué, et pour quelles raisons ?



T : Cinq c'est dur, ça va être super réducteur et c'est sur le moment mais... Sans ordre de préférence, sachant que c'est pas forcément des influences...

1) Public Enemy "It Takes a Nation of Millions to Hold us Back"

D'une, leur logo est légendaire, de deux, j'avais la cassette de cet album et je sais pas, j'ai toujours aimé. Deux gars derrière des barreaux de cellule, Chuck D en premier plan qui toise... je sais pas, ça représentait bien le groupe. Des gars hostiles qui raconteront pas ce que les bien-pensants blancs puritains voudront bien entendre...

2) Ice Cube "Death Certificate"

Ice Cube sans Curly, dans une morgue et les pieds de l'Oncle Sam avec l'étiquette. Je trouvais ça très fort.

3) "Rappattitude"

La photo floue de Mondino avec son fond fait avec des espèces d'effets à la bombe et surtout la typo "chrome", graffiti et lisible en même temps, avec le style de Mode 2.

4) Assassin "Le Futur, Que Nous Réserve-t-il? Vol. 2"

Une vue de Barbès la nuit, avec des écrans, des cibles, des graphiques et une espèce de vue "thermique" comme dans Predator ou Terminator, ça tuait. Réalisée par Colt je pense. Une espèce de "surveillance"... Enfin moi je l'avais comprise comme ça cette pochette.

5) Snoop Dogg "Doggystyle"

De la cover avec les dessins du cousin un peu mal faits à l'aérographe au livret dé-pliable avec une BD (du même auteur) qui parle d'herbe... Une photo de Snoop genre en sueur avec un bonnet et au dos avec un joint à la bouche. Ça donnait bien le ton "Hood Gangsta", sans rentrer dans des clichés d'imagerie mafieuse ou à la Scarface.

6) Bonus pour un truc hors rap : Aphex Twin.

Je connais pas sa musique, mais ses covers avec sa tête montée à répétition sur des corps d'enfants ou sur le corps d'une meuf californienne en bikini, ça défonce. Surtout qu'avec sa tête de barbu aux petits yeux et un sourire de satyre, ça aide. Ça te crée une image au final assez dérangeante, sûrement drôle aussi, mais surtout qui te perturbe et c'est ça que je trouve intéressant.



HHC : Y a t-il des photographes, cinéastes et peintres en particulier qui t'ont inspiré et influencé ?



T : Je n'ai malheureusement que très peu de culture pour te citer des noms. J'aime des choses à droite à gauche, des films, des images et ça m'influence forcément sans que je mette un nom dessus. Pour l'aspect "cinéma", je crois que j'ai toujours détesté les branleurs "éclairés" qui te parlent d'un film avec le nom du réalisateur genre : "Ahhhh, j'ai vu le dernier d'untel, pas mal le scénar' mais j'ai pas aimé... blah blah". J'assume donc mon côté pas trop cultivé en cinéma, j'aime les films de bourrins, avec la planète qui loupe de subir Armageddon de peu tous les 6 mois, Tony Jaa qui pète des clavicules pendant 90 minutes, les remakes des BD Marvel, les blockbusters d'épouvante... De la même manière que je lis peu ou pas du tout, je pense que j'y perds beaucoup et que je rate pas mal de choses à ne pas être curieux mais bon... Tu peux pas tester Tony Jaa et X-Men! (rires) Pour mon "corps de métier", on va dire que je respecte énormément des gens comme Colt, Tom Kan, et aux États-Unis Ola Kudu et The Drawing Board. Vu que j'ai apprécié leurs différents travaux, ça a pu être une influence, à un moment donné.



HHC : Quels sont les prochains projets pour Antidote ?



T : Pour le travail, je suis principalement sur la sortie de Casey, pour Janvier 2010, en graphisme, tout comme en vidéo. On a balancé un teaser et on enchaine sur un clip, livrable en septembre. J'ai des visuels en stock de déjà prêts comme "Représailles 2", la mixtape à venir d'Anfalsh. Je dois clipper Le Bavar de La Rumeur pour un extrait de "N.S.E.O v.2". Des artworks à plier pour ma famille de Grigny, DGC et également un jeune groupe qui s'appelle La Comera, 45 Scientific aussi, l'artwork de Cris Prolific sort et vu ce qu'Ali va sortir comme album, je compte bien lui faire une bête de cover. Également du travail avec "Big Bro" DJ Sek a.k.a. Kessey et mon grand pote DJ Mars de Time Bomb. JL et son crew MIC PRO, surtout en vidéo. On avance avec Rocé pour un clip. "L'être humain & le réverbère", une rencontre récente, bien qu'on ait beaucoup de connaissances de longues dates en commun, mais c'est surtout un putain de rappeur. Et dès que je peux, je voudrais aller à New-York, je dois y faire des choses et également m'y acheter des trucs qui servent à rien. Je démarche pas, on verra comment ça continue à avancer. En tout cas t'as mes plus proches échéances.



Interview de Hugues
Octobre 2009

Si vous avez aimé...

Dernières interviews

News

Chroniques

Articles

Audios

Recherche

Vous recherchez quelque chose en particulier ?

Copyright © 2000-2008 Hiphopcore.net