"C'est un monde glacial là dehors" confiait une voix au début du magistral 'Iron Galaxy' produit il y a maintenant sept ans par le groupe Cannibal Ox. Vous pensez que les choses changent. K-The-I???, pseudonyme du beau bébé dont vous pouvez mirer les courbes sur la pochette à droite, nous explique que non. Son nouvel album prend donc pour titre une évocation efficace de la frise du temps : hier, aujourd'hui et demain. Comme dans la ritournelle donjuaniste
"Je t'aime aujourd'hui bien plus qu'hier et bien moins que demain". Comme là, mais en plus sombre. Plus lucide, plus cru, plus bravache et plus terrible. Dès l'entame de la galette en question ici, sur le rythme martial de sons qui tabassent, la grosse voix s'épand sur fond de cris de bêtes et d'éructations de bourreaux numérises. La donzelle est là, certes, mais dans le climax d'un film d'épouvante dont vous êtes le héros.
"Your journey will be filled with danger."
Il est impossible de parler plus longtemps du disque qui nous intéresse dans ces lignes sans évoquer la rencontre des univers de K-The-I??? et de Thavius Beck. Le MC de la côte Est a confié au génie de Los Angeles, aussi connu sous son nom de scène Adlib, l'intégralité des productions de "Yesterday, Today & Tomorrow" et c'est peu dire que la présence de l'Angelino se fait sentir. Si la patte de la moitié du duo de guérilla urbaine Lab Waste est reconnaissable entre mille, c'est avant tout parce que très rares sont celles qui se hissent à son niveau. Prenez le bien nommé 'Never Heard It Done Like This', mis sur orbite par le flot faussement nonchalant de High Priest : un mélange de banger de club, d'armées de guitares bourrines reconstituées par ordinateur et de boîtes à rythme dégénérées dont votre lecteur mp3 ne pourra pas se remettre (83 écoutes en une semaine).
"Spread it amongst the Industry."
Outre une oreille bionique, Thavius Beck possède également une vision précise de l'environnement qui l'entoure et cette vision s'est, à vrai dire, parfaitement accordée avec la logorrhée quelque peu lancinante de K-The-I??? - ce qui n'était pas gagné d'avance. En quatorze plages et pour une durée totale de moins de quarante minutes, la sauce prend. Quand la verve du chanteur pour dames se fait vindicative, le débonnaire Thavius lui concocte en guise d'alcôve la production de 'Decisions' : une unique boucle de cordes sur laquelle tombent des bruits élaborés qui s'éclatent doucement sur le sol, à la manière de bulles de savon. Quand ladite verve se sent soudain presque apaisée et intérieure, c'est que l'entourent dans 'Lead The Floor' des stalactites sonores chargées de manganèse. Sur 'Marathon Man', le faiseur de sons prend le micro pour mettre les choses au clair, car il est également un prosateur talentueux (comme son prochain album solo nous donnera encore l'occasion de le vérifier) et il entend bien porter lui-même ce qu'il a à exprimer.
"Minimum distraction equals action automatically."
Pour K-The-I???, faire produire son disque entier par Thavius Beck fut donc un gage d'extrême qualité en même temps qu'une assurance de voir advenir un objet cohérent, quoique sombre. Cet objet, une demi-douzaine d'artistes ont voulu s'y adjoindre, ou ont en tous les cas répondu présent. Parmi eux, ce que la scène alternative de Los Angeles a fait de plus reconnu (Busdriver), de plus aventureux (Subtitle) et de plus prometteur (NoCanDo). Mais aussi une des plus belles trouvailles de l'underground chicagoan (Mestizo) et le tiers de l'aventure new-yorkaise Anti-Pop Consortium (High Priest). Outre ce dernier, déjà évoqué, les collaborations de Subtitle et surtout de Mestizo impressionnent – celle de Vyle, à l'inverse, fait partie des rares mauvais points de l'album. Subtitle et Thavius ont mis au jour une évidence tellement grande avec Lab Waste que la joie des retrouvailles claque dès les premières mesures de 'Stylin'' ; tout l'enjeu était que K-The-I??? y trouve sa place et, même si les deux petites minutes du morceau ne lui en laissent pas beaucoup le temps, c'est le cas. Quant à 'Man Or Machine', les deux rappeurs y communient à l'unisson du talent de Thavius Beck pour évoquer un univers où hommes et machines accusent peu de différences : travail séquentiel, vertige de données, formatage en embuscade ; bref : Enregistrer, Ignorer ou Annuler?
"Hello my fair derivative comrade / I'm completely and utterly unimpressed by your animation."
Mais pour finir de quoi nous parle-t-il au juste, cet étrange rappeur? Car on l'avait laissé sur une "Broken Love Letter" pour le moins univoque. Eh bien un titre de l'album nous met sur la voie, qui précisément s'appelle 'Just Listen' : notre imposant ami y expose une énième peine de cœur mais choisit ses mots, arrivant même à résumer sa vie en deux formules,
friends with benefits et
play double-dutch. Marqué comme tant d'autres par le climat étonnant des années 80 qui l'ont vu grandir, il compare la vie à un Rubik's Cube et donne Freddy Kruger comme nom à ses cauchemars. Pour le reste, c'est parfois obscur comme une chronique de votre serviteur mais là n'est pas l'essentiel : si K-The-I??? se place souvent en victime et aime à avancer que rien ne veut tout dire, c'est peut-être pour évacuer tout parasite dans la transmission de la parole qui l'anime. Un garçon nature, vous en doutiez.
"I guess I'll suffer from faith."
Billyjack Novembre 2008