Certains artistes West Coast underground, que d'aucuns considèrent (un peu hâtivement) dépassés, se montrent quoi qu'il en soit très prolifiques ces derniers temps. Prenez Aceyalone. Avec certes du loin-d'être-au-meilleur ("Magnificient City") mais aussi du peut-être-pas-pire ("Grand Imperial"). Et prenez AWOL One. Quelques semaines seulement après le rare et concluant "Chemikillz", il nous livre un album riche en participations diverses. De sa collaboration avec le producteur Mascaria, on aura retenu une belle touche formelle et de l'inspiration, ainsi au besoin qu'un usage fiévreux des cloches et de la guitare sèche. On retrouvera ici une partie de cette ambiance dans le titre 'Looking Back'.
Etrangement, c'est toujours heureux qu'on retrouve Tony Martin : des sursauts d'Ennio Morricone, une voix qui part soudain dans des aigus délicieusement inquiétants, sur fond de claquettes. Et le shapeshifter sait nous surprendre, comme quand il invite KRS-One pour un des sommets du disque. Les deux "One" font plaisir. Sample baroque ténu et idéalement placé, boom bap revival. Comment être toujours là. Kris est un être à part : vingt ans après la naissance de ses Boogie Down Productions, il fournit toujours la même énergie, sous la forme d'une explosion de rimes sincères et humbles.
"I live in the spirit of Jay-M-Jay",
"Too many cowards call themselves ministers". Et attention à vous qui paraissez sceptiques, AWOL surveille :
"It's not idle chatter".
Il y a toujours autant de soin dans la verve de notre alcoolique anonyme, si on prend pour exemple le refrain de 'Casting Call' :
"None remembers the name of the victims / Only the killers get the fame / Confess and get absolution / Starring your autobiography”. Et sur ce titre comme sur 'Evil Prevails', c'est à un AWOL sinon enjoué, du moins plus animé que nous avons droit. En duo avec Riddlore? de CVE, la voix d'une cantatrice, du triangle et un vieux tambour répondent aux cordes classiques de 'Underground Killz', pour un ensemble convaincant.
Hélas! cette nouvelle livraison de notre buveur patenté n'est pas exempte de faiblesses, loin s'en faut. De la production peu inspirée du Grouch sur 'Seeds Grow' au dispensable exercice métallique de 'Bloody Shoes', en passant par le flow sans intérêt développé sur 'Breathe Today' nous rongeons notre frein. Et quel dommage de constater que 'Everythings Perfect' déçoit, alors que ce titre est produit par le vieux comparse Daddy Kev, co-auteur (entre autres) du très grand "Souldoubt". Finalement, 'Get You' et 'Knowbody Cares' symbolisent notre perplexité face au dernier album du mammifère en fuite. On aime toujours autant son flow poussif et détruit, directement extrait d'un rade pourri à l'heure de sa fermeture. Mais voilà, comment ne pas déplorer tout ce qu'AWOL semble garder sous le coude? N'étant pas à une contradiction près, c'est d'ailleurs en levant le coude à foison qu'il garde ses pépites, le cher ami.
Nous voulons croire que la prochaine fois sera la bonne, car AWOL One adopte en toute occasion une démarche louable. Peut-être s'éparpille-t-il trop entre les styles, entre les producteurs, mais là n'est pas le problème. L'enjeu pour lui semble bien être de tenir le plus longtemps sans
vraiment tenir. Au-delà de l'imposture. C'est le nerf de la guerre, le nerf de sa guerre. Pas l'art pour l'art, ni la guerre pour la guerre ou l'art de la guerre. Non. La guerre pour l'art. Pour le style. Encore un effort, messieurs.
Billyjack Avril 2006