Blue Sky Black Death
A Heap Of Broken Images

Il était une fois, dans un album sorti sur l'inénarrable label Mush, l'histoire d'une vingtaine de morceaux composés par un duo que quelques Anciens, les yeux plissés et l'air malicieux au moment de prononcer ce nom, appelaient "Blue Sky Black Death". Ainsi que dans toute légende, des zones de mystères demeurent. C'est ainsi qu'il est écrit que les deux hommes portaient les noms de Young God et Kingston; un anonymat qui servait leur dessein: une nouvelle collaboration, un nouveau départ. Et comme dans toute histoire, la rumeur joue un rôle important afin d'y voir plus clair. Il ne fallut pas attendre bien longtemps avant que sur l'Agora cybernétique ne se propage le nom de The Orphan; alter ego de Kingston et ancien producteur du label Plague Language; label ayant basculé brusquement en RTT prolongé pour des raisons.... Mais il s'agit là d'une autre histoire.

La surprise passée, le nom d'Orphan nous rappelle à quelques souvenirs musicaux émus. Notamment lorsqu'il nous revient en mémoire que le producteur avait fait montre de ses talents artistiques sur "Atoms Of Eden" (meilleur album d'Orko The Sycotik Alien à ce jour) ou encore sur les albums du canadien Noah23. Drapé et dissimulé, il nous revint en compagnie de Young God à la fin du mois de Mai de l'année que nous appelions alors 2006.

La collaboration des deux hommes aura permis la mise au monde d'un double album construit en deux temps, basé sur deux visions de leur musique. "A Heap Of Broken Images" est le tout formé par une première partie entièrement instrumentale, où la voix humaine se résume à quelques apparitions sonores angéliques et samples éparpillés ici et là. Puis, une seconde partie se tournant vers un classicisme plus affirmé; nous dévoilant la présence de plusieurs têtes d'affiche de l'underground américain. Néanmoins, naviguant ainsi entre deux dimensions, il convient d'emblée d'avouer que l'album s'en retrouve clairement déséquilibré. Déséquilibré car le second chapitre n'est, au final, qu'une compilation d'un intérêt plutôt moyen pour qui est déjà un peu informé sur les artistes présents: Jus Allah, Sabac Red de Non-Phixion, A-Plus (Souls Of Mischief), Rob Sonic, Mikah-9 (Freestyle Fellowship), Awol One,... Le casting prête à saliver. Pourtant, il manque clairement quelque chose pour sublimer les featurings des quelques intervenants. Si l'on retient les bonnes prestations du trio posant sur 'Engage My Words', la virtuosité qui ne surprend presque plus de Mikah-9, un Awol One torturé par 'Everything' et ses quelques notes de flûtes entêtantes, le tout demeure de bonne facture. Pourtant, les productions des deux hôtes ont bien du mal à s'affirmer tant tout a déjà été dit en entrée, dés le premier chapitre de l'album. On se retrouve avec des paragraphes sonores parfois dispensables, parfois même sans réelle saveur ('Scriptures', 'Long Division') qui pousse l'auditeur à redescendre du nuage sur lequel il s'était vu se réveiller après la plongée dans les 12 morceaux qui ouvrent l'album.

Et à dire vrai, c'est ici, dans sa partie instrumentale, que se concentre l'intérêt majeur de cette histoire écrite à quatre mains. "A Heap Of Broken Images" est l'immersion dans un univers sonore bien particulier; qu'il faut savoir éloigner néanmoins d'une quelconque vision enchanteresse. Si, en effet, le prologue figuré par 'Skies Open' peut promettre, durant les deux premières minutes d'écoute, un voyage planant et aérien, sachez qu'il n'en est rien; du moins pas dans sa globalité. Le titre du morceau n'est, finalement, que partiel. L'album dévoile alors son autre visage, s'électrifiant de quelques guitares criardes, revêtant une ambiance plus sombre par un synthé redondant, quelques notes de pianos froides et un beat qui se fait bien plus présent de part les montées en puissance d'une batterie lourde. La globalité des morceaux se présente sous une architecture identique. Rien n'est acquis d'emblée. Les images se dévoilent petit à petit, encore faut-il savoir aller les chercher où elles se trouvent; parfois bien dissimulés dans un recoin. Parfois, emmenées par une mélodie tellement évidente, elles s'imposent d'elles-mêmes; comme sur le très riche 'Days Are Years'. Une grosse poignée d'instruments venant habiller chaudement le morceau; toujours cette montée en puissance par l'apparition de guitares électriques et la frénésie de la batterie. Et l'histoire se déroule: un break planant autour de 3mn30, un changement de rythme et la proéminence d'un nouveau message. Une voix enchanteresse qui clame sa solitude et le Temps qui lui joue des tours.

Il s'agit à présent d'un voyage dans des univers bien particuliers. Mais des univers toujours tordus, imparfaits, démembrés (comme le suggère le nom de l'album). Ne rechignant pas à proposer des directions totalement différentes les unes des autres, Young God et Kingston s'affirment comme des guides de grande qualité. On passe à travers les violons magnifiques de 'The Dead Tree Gives No Shelter' et l'on s'attarde quelque peu au pied de l'arbre avant de nous faire surprendre par la douceur de l'interlude 'Guilty Ones' : une guitare acoustique légère, une voix nous accompagnant jusqu'au bout du chemin. Et puis l'on tombe dans une dimension opposée: tout est agressif sur 'From Sun's Angle'; morceau qui rappelle immanquablement les prestations de Orphan pour Orko, avec son rythme haletant et ses violons battant la mesure en rythme avec une batterie déchaînée. Et si les psychotropes que sont 'Chloroform' et 'Heroin For God' nous fournissent une volée d'images planantes et aériennes, c'est pour mieux nous faire à nouveau choir au fond d'un gouffre sans fin avec le ténébreux 'Rap Creature's Land'. Seule ombre au tableau: un 'They Came Around' qui souffre d'un manque d'identité personnelle car offrant peu d'émotions à l'auditeur lambda. Mais tout voyage connaît ce petit moment de flottement; instant pendant lequel on ne sait pas vraiment ce vers quoi nous nous dirigeons. Encadré par le duo batterie/trompette de 'Not Here' et la guitare électrique faisant office de mélodie sur 'Dream Of Dying', le ventre mou de ce premier chapitre n'y paraît qu'à peine.

Le voyage est haletant. Les rythmes endiablés mettant à mal l'esprit, les quelques instants de repos n'étant finalement rien de plus que des leurres... Le film se déroule, se compose et se décompose alors au rythme des morceaux qui défilent. Le travail instrumental des deux hommes est exemplaire. Rien n'est laissé au hasard et il apparaît inconcevable de laisser tourner une boucle sans rien y ajouter, sans rien y soustraire, sans jamais y faire naître une nouvelle émotion. De multiples dimensions se dessinent ; des mondes se succédant les uns aux autres, se brisant en l'espace d'une seconde, le temps pour l'esprit de réaliser qu'il a été, à nouveau, transporté ailleurs…

Il était une fois une histoire qui ne racontait pas sa propre fin, qui ne dévoilait pas tout ses mystères. Pourtant, comme dans toute histoire, les derniers pas, le spectateur les affronte seul. 'Still Asleep' vient nous dévoiler que tout ceci n'était finalement qu'un rêve, que nous dormons encore... que Young God et Kingston ne sont finalement qu'une fabrication de l'esprit ? "Goodbye gentlemen, let's dream and good sleep. I'll see you..."

Newton
Octobre 2006
Par années... Par catégories... | Par ordre alphabétique... | Chroniques récentes... |
Label: Mush Records
Production: Blue Sky Black Death
Année: Mai 2006

CD 1:
01. Skies Open
02. Days Are Years
03. Chloroform
04. Not Here
05. They Came Around
06. Dream Of Dying
07. From Sun's Angle
08. Rap Creature Land
09. Heroin For God
10. Guilty Ones
11. The Dead Tree Gives No Shelter
12. Still Asleep

CD 2:
01. Engage My Words (feat. Jus Allah, Wise Intelligent & Sabac Red)
02. Street Legends (feat. A-Plus & Pep-Love)
03. Floor Chalk (Best Reprise) (feat. Guru & Chief Kamachi)
04. Scriptures (feat. Lil' Sci)
05. Long Division (feat. Rob Sonic & Mike Ladd)
06. I Catch Fire (feat. Holocaust)
07. Grimey Styles (feat. Mikah-9)
08. Brain Cells (feat. Virtuoso)
09. Everything (feat. Awol One)
10. It Wasn't White

Best Cuts: 'The Dead Tree Gives No Shelter'; 'From Sun's Angle', 'Days Are Years'

Dernières chroniques

Recherche

Vous recherchez quelque chose en particulier ?

Copyright © 2000-2008 Hiphopcore.net