Depuis 2005, Candy's 22, ses aventures aux côtés d'une tripotée de rappeurs et les compilations sorties sur son label, Side Road Records, Factor a parcouru du chemin, et plutôt dans le bon sens.
Aguerri par les multiples expériences récoltées en cours de route, il s'est empressé de traverser 2008 comme il avait franchi 2007 : à la vitesse du beat, négligeant les quelques dérapages et obstacles présents sur son passage. Cette année, non content de produire l'intégralité de sa collaboration avec le quintet canadien Deepcave (sous le nom on ne peut plus évocateur de "Deepcave And Factor") et le sympathique "46 Middles" de 50 Fingers (composé de Chadio, Azrael, Kaboom & The Gumshoe Strut), Factor se permet dans l'intervalle une petite sortie en leader, comme il aime à le faire régulièrement depuis 2002 : en réunissant autour de lui amis, proches et nouveaux compagnons de route pour un mélange des genres souvent inégal mais truffé de pépites ici et là.
"Chandelier" ne révolutionne en rien l'approche du producteur. A ses côtés, on retrouve les têtes habituelles (Moka Only, Epic, Nomad, The Gaff, Kirby Dominant...) et quelques nouveaux comparses fraîchement débarqués de leurs contrées lointaines (Sadat X et Myka 9 en tête de liste). Aux manettes : le maître de maison et personne d'autre, qui se permet ici et là quelques développements instrumentaux en aparté dont il se garde bien de faire une habitude. Il faut dire que, jusqu'ici, et hormis sa collaboration avec The Gaff sur "The Trip Beyond" l'année passée (qui relevait davantage d'un exercice de turntablism que d'un album instrumental à proprement parler), on imaginait mal intégrer sans broncher les boucles de Factor dépourvues d'un quelconque artifice vocal tant le travail du producteur tourne parfois rapidement à une platitude bien ennuyeuse.
Un problème récurrent dans la discographie de Factor qui aura jusqu'ici empêché le producteur canadien de marquer les mémoires par un album incontournable dont tout le monde s'accorderait à dire qu'il représente un nouveau pallier franchi. A la question,
"Quel album écouter pour saisir l'identité de Factor?", un blanc.
"Chandelier" semble pourtant destiné à devenir une réponse évidente à cette question, tant il sort du lot. D'abord soutenu de nombreux mois en amont par la sortie d'une version raccourcie "The Chandelier E.P." (picture disc au graphisme somptueux : un magnifique portrait de Factor et de son chien réalisé par Almyum) propulsé par Ooohh That's Heavy, micro-structure californienne habituée du genre. Au programme : la crème de la crème de ce que contiendra la version rallongée. Une entrée en matière de qualité qui laissait entrevoir un Factor en grande forme reproduisant à l'identique (mais en mieux) cette formule qu'il cherche à parfaire depuis le début des années 2000.
Une face A balayée par l'excellente entrée en matière instrumentale aux côtés de The Gaff, une collaboration avec un Awol One dans ce rôle d'homme tourmenté qui lui va si bien et un Josh Martinez décidément une nouvelle fois irréprochable lorsqu'il pose son flow délicat et virevoltant sur les percussions de 'The Leen'. De l'autre côté du miroir, Myka 9 n'en finit plus de surprendre par son talent unique de lyriciste versatile sur un hommage minimaliste tout en retenue à ce bon vieux Smokey contrebalancé par un Ceschi lancé dans une performance rap/chant inimitable qui lui est vraiment unique. Autant dire un sans-faute parfait s'il s'agissait de laisser de côté un 'Time Of The Year' en-dessous de l'ensemble des morceaux retenues sur l'E.P. (la faute à une production moyenne et un Sadat X franchement loin de ses prestations les plus mémorables).
Une sortie de courte durée qui servira de base à la version longue logiquement intitulée "Chandelier" présente dans les bacs quelques mois plus tard via le label Fake Four Inc des frères Ramos (Ceschi et David). Éparpillés pour former une nouvelle logique plus à même de satisfaire l'écoute d'un long format de cinquante minutes, les morceaux présents sur l'E.P. sont dés lors encadrés par une série de duos plus ou moins déjà éprouvés par le passé dans la foisonnante discographie de Factor. Pèle-mêle, on retrouve la voix enfantine et étrange de Nomad sur une petite mélodie entêtante (dans la lignée de son album "Lemon Tea" sorti en 2006), une collaboration avec son compatriote Noah23, les flows dissemblables de Cam The Wizzard le baryton et Epic le non-chalant ; voisins directs de tracklisting,...
Comme à son habitude, Factor rassemble une variété d'artistes à qui il va offrir un écrin spécifique en accord avec les prétentions vocales de chacun... tout en cherchant à les inclure dans son propre univers sonore. Ce qui fait la force de "Chandelier" se matérialise sûrement dans cette capacité à reproduire un univers décliné de multiples fois tout en se gardant bien de provoquer l'ennui qui attendait souvent l'auditeur au tournant d'un de ces albums fourre-tout impregné de la signature musicale du Canadien.
Un supplément d'expérience aura permis à Factor de parvenir à exploiter ce qui semble faire sa force : un vrai talent pour la confection de boucles accrocheuses dès les premières écoutes, un vrai sens du sampling et une capacité de concentration plus importante qu'à l'accoutumée lorsqu'il évolue en duo. Pas étonnant que les meilleures prestations passées du Canadien soient, en majeure partie, à mettre à l'actif de travaux confectionnées à deux ("Red All Over" avec Nolto, "Only Death Can Kill You" avec Awol One ou encore "Dawn Of A New Era" pour le Shifter Akuma). Résultat : lorsqu'il s'affaire à mettre en musique les propos de ses invités, les productions retenues sont de qualité et servent de la meilleure des façons les propos couchés sur papier ; calant même un bref passage chanté sur le convaincant 'Moonlight' en partenariat avec Josh Fischel.
Lorsqu'il parvient à rassembler ces deux éléments et s'oblige à fournir des productions qui ne se mordent pas la queue indéfiniment, simplement léchées comme il se doit, Factor atteint une qualité d'ensemble incontestable. Mieux : même lorsqu'il s'embarque pour un périple exclusivement instrumental, le producteur se présente sous un jour que l'on entrevoyait trop rarement dans ses précédentes sorties. Le tryptique 'Had It Made / I Tried To Tell You / Wait And See', loin de n'être que des passages d'ambiances dispensables, laisse libre cours à une créativité un peu plus débridée et c'est avec plaisir que l'on se laisse emporter par ces trois morceaux formant un encart à part qui souligne avec insistance ce que l'on serait en droit d'attendre d'une partition en soliste exclusivement instrumentale signée Factor.
Et même si l'un ou l'autre de ces morceaux portent encore les stigmates d'une mauvaise habitude à perdre, on est loin du ventre-mou musical revendiqué par d'anciennes sorties (le très inégal "Famous Nights And Empty Days" en 2006, pour ne citer que lui).
Baigné dans un liquide aux propriétés majoritairement oniriques et mélancoliques, "Chandelier" est sûrement l'album-référence que l'on sentait arriver timidement chez Factor sans n'avoir jamais été capable d'affirmer clairement le moment où il se présenterait à nous. C'est désormais là : le producteur originaire de Saskatoon reprend la route accompagné de ces séquences de pianos qu'il affectionne particulièrement et les met au service d'une cause totalement défendable. Celle d'un album au caractère indéniable, à la gestation lente, aux ramifications compliquées qui, leurs qualités une fois rassemblées et synthétisées, auront permis la livraison d'un long format solide (quasiment) de bout en bout.
Alors que l'annonce d'un Factor présent le 16 janvier prochain aux côtés de Myka 9 sur le très attendu "1969" ravit déjà les fans des deux musiciens, "Chandelier" éclaire la discographie de Factor par son aplomb évident, plongeant dans l'ombre une partie des errances passées parfois rageantes de son créateur, et s'impose d'emblée comme l'une des franches réussites de cette année.
Newton Décembre 2008