Daddy Kev

Parce qu'il fut responsable de la création de la maison défricheuse Celestial, qu'il affiche une discographie impressionnante et qu'il est impliqué, depuis la fn des années 90, dans une multitude de projets tous aussi indispensables les uns que les autres, Daddy Kev fait office de leader de la scène west coast post-Project Blowed. De l'effritement de ses liens avec Phoenix Orion et l'Alien Nation aux projets de son tout nouveau label, Alpha Pup Records, en passant par sa reconversion en explorateur jazz-rap et sa relation fusionnelle avec Awol One, Daddy Kev dit tout à Hip-Hop Core. English version



Hip-Hop Core: Depuis "Slanguage" il semble que tu aies décidé de te diriger vers un son jazz et d'essayer de trouver de nouvelles directions pour le "jazz-rap". C'est un changement relativement important par rapport à tes travaux antérieurs. Qu'est ce qui t'a donné envie d'évoluer dans ce sens et quel est exactement le but de ta démarche?



Daddy Kev: Je ne vois pas ça comme un gros changement, plus une continuité et une évolution. C'est la direction dans laquelle j'ai toujours voulu aller: produire de la musique innovante. Si tu regardes certaines de mes premières sorties, comme "Zimulated Experiencez" de Phoenix Orion, en 1998, par exemple, tu peux constater que je fais de la musique expérimentale depuis le début. Il y a un morceau sur "Zimulated Experiencez "intitulée 'Prophecy' qui dure plus de dix minutes et qui est en fait construit à partir de sept beats différents.



HHC: Tu as fait "Slanguage" avec Awol One, "Sound Advice" avec The Grouch et un troisième album avec Busdriver. Ces projets semblent tous faire partie d'un processus d'expérimentation jazz. Explique nous ta démarche.



DK: En réalité, il y a cinq projets dans la série. L'un d'entre eux etait le "Four Way Window Pain" d'Existereo qui est sorti en tant que single et comme morceau sur le premier solo d'Exist mais pas comme un projet indépendant. Et le cinquième tome est "The Green Mile "avec P.E.A.C.E., Kitts et Awol. Je doute que ça sorte un jour.



HHC: Parlons de "Cosmic Cleavage". Cet album sonne comme un projet qui se situe "entre" "Slanguage" et "Sound Advice", de quand date son enregistrement? As-tu travaillé avec Busdriver comme tu l'as fais avec Awol ou The Grouch? Est-ce que ce disque doit être considéré comme une nouvelle étape de ta mutation en explorateur jazz-rap?



DK: Il a été enregistré après "Sound Advice" et je le considère peut-être comme le disque le mieux réalisé que j'ai fait. En ce qui concerne ma "mutation", je crois que "Slanguage" en a été le tournant. Il se passait beaucoup de choses quand nous avons échaufaudé "Slanguage". On venait d'assister au 11 septembre, je venais de rencontrer ma fiancée Danyell et sa collection de disques m'avait ouvert à plein de nouveaux sons. J'ai aussi arrété, à ce moment là, d'utiliser la MPC2000 et commencé à faire mes beats sur Pro Tools...



HHC: Comment es-tu rentré en contact avec Big Dada et Will Ashon? Que peut t'apporter cette signature?



DK: Je connais Will depuis la fin des années 90, je lui envoyais des disques Celestial qu'il chroniquait. Il a toujours supporté la West Coast underground. Quand "Temporary Forever" est sorti, il a vraiment accroché, et je lui ai proposé d'entendre le nouveau projet sur lequel j'étais en train de travailler pour Busdriver. Will a aimé ce qu'il a entendu, donc on a mis les choses en place et on a signé un contrat. Pour ce qui est de l'apport de ce deal, j'espère vraiment que l'on aura une meilleure exposition en Europe. Quand les collègues tournent ici, on dirait qu'ils ont de bons retours, donc je présume que les disques sont bien accueillis aussi.



HHC: D-Styles est impliqué dans tous les projets précités. Pourrais-tu nous dire quelques mots sur votre collaboration et sur ce que tu penses qu'il apporte à tes compositions?



DK: En fait, il n'y a que très peu de DJ's par qui je sois bluffé. Il y en a trois en fait : D-Styles, Mix Master Mike et Q-Bert. J'ai renconré D-Styles quand Celestial a vraiment "explosé", vers 1999, et il voulait que je m'occupe de la réalisation d'un maxi qu'il allait sortir. Je lui ai dis que j'étais d'accord et nous sommes devenus amis quand on a travaillé ensemble. Puis D-Styles était en visite à L.A. à Noêl 2000, et j'étais en train de réaliser "Souldoubt". Il est passé par le studio pour entendre ce sur quoi je bossais, et immédiatement il a participé à deux morceaux. A partir de là, on est restés en contact et il est le seul DJ avec qui j'ai travaillé depuis. Pour ce qui est de son apport sur mes morceaux, je ne crois pas que je puisse définir la profondeur et la musicalité que D-Styles apporte aux projets auxquels il participe. C'est comme le glaçage sur un gâteau. C'en est même devenu un apport sans lequel mes projets ne m'apparaissent pas terminés. D-Styles est en charge des cuts sur mes albums, mais ça pourrait changer étant donné que j'ai travaillé sur le nouvel album de Mix Master Mike, "Bangzilla", et qu'il est prêt à s'occuper des scratchs sur certains de mes nouveaux projets. L'avenir nous le dira.



HHC: Comment travailles-tu sur un morceau quand tu es tout seul? Est-ce que tu commences par une boucle autour de laquelle tu arranges tout pour construire le track ou est-ce que tu as une idée précise de ce que tu veux réaliser en termes d'ambiance et tu essayes juste de trouver le bon sample? Donne nous des détails sur ta façon de faire, s'il te plaît.



DK: Je commence presque toujours avec les percussions. Je pioche une boucle quelquepart et je travaille la boucle seule. Puis je prends une pile de disques dont je sample des extraits. Au moins vingt ou trente sons différents, sans savoir exactement ce qui collera et ce qui ne marchera pas. Enfin, j'essaie juste d'expérimenter avec les samples, de les accélerer ou de les ralentir, pour voir s'ils peuvent coller avec les drums.





HHC: Tu étais en charge du mix pour plusieurs projets (dont l'album de The Weather, par exemple). En quoi consiste ton travail quand tu as cette mission? Es-tu impliqué artistiquement dans la conception du projet ?



DK: Ca change d'un disque à l'autre. Par exemple, sur "The Weather", Daedelus a enregistré tous les morceaux chez lui et m'a apporté toutes les sessions Pro Tools sur disque. J'ai ensuite passé deux semaines tout seul, à mixer le tout. Quand Daedelus est revenu pour entendre ce que j'avais fait, il a été scotché. J'avais ajouté des lignes de basse et plein de fréquences dont il ignorait même l'existence. Donc là c'est un extrême. En revanche, je me suis juste occupé de la réalisation pour le nouvel album de Mix Master Mike, "Bangzilla". Mike est venu chez moi tous les jours pendant trois semaines, il était là à chaque minute, très impliqué dans ce que je faisais. Donc, ça peut être très différent. Je crois que ça dépend vraiment du degré d'implication choisi par les producteurs, et de leur agenda.



HHC: Tu as travaillé plusieurs fois avec Awol One. Qu'est ce qui rend votre relation si speciale?



DK: Il est certain que ce qui nous touche mutuellement ce sont les aspects négatifs de la vie. Quand on est ensemble, on est comme un couple de vieux, qui se disent à quel point le monde craint. Mais on le fait toujours avec un certain sens de l'humour, qui fait, je crois, que notre relation est si spéciale. Je suis aussi amoureux de son lyrisme. C'est marrant parce qu'il y a un adage qui dit "tous les rappeurs veulent être producteurs et tous les producteurs veulent être MC's". Sur ce point, si je pouvais être n'importe quel mc, je serais Awol One.



HHC: L'an passé, beaucoup de gens ont trouvé que 'Four Way Window Pain' était un des tracks les plus réussis de l'année. Comment as-tu crée ce morceau avec Existereo? Quelle était l'idée de départ?



DK: On s'est connecté avec Exist parce que je m'occupais du mix de "Dirty Deeds & Dead Flowers". Et, Exist et moi étions devenus amis à force de se croiser, de boire et de traîner ensemble. J'ai donc tissé le squelette de ce qui allait devenir 'Four Way Window Pain' et puis on a fait plusieurs sessions de prise de voix, que je ne considérais pas comme nécessaires mais Exist est un perfectionniste et veut que les choses aillent dans une direction bien précise...



HHC: A la fin des années 90, Celestial a joué un rôle essentiel dans le développement de la scène de la côte ouest. Tout d'abord, peux-tu revenir sur les raisons qui t'ont amené à créer le label puis peux-tu nous dire quels souvenirs tu gardes de cette aventure?



DK: Le label tient vraiment une place à part dans mon coeur. Beaucoup de rêves se sont réalisés avec sa création... être un producteur de musique, avoir ma propre structure... J'étais aussi très jeune à cette époque-là et très naïf au sujet du business de la musique. Je suis devenu plus blasé depuis cette expérience, mais j'espère qu'on est tous d'accord sur le fait que mon boulot n'a jamais aussi bien sonné.



HHC: Tu étais très proche de l'Alien Nation à un moment, qu'en-est-t'il mantenant?



DK: Il y a eu un gros beef il y a quelques années. Puis, Phoenix Orion et moi, nous nous sommes recroisés dans des boîtes, à des concerts... Au début c'était très bizarre de revoir Phoenix comme ça. Notre embrouille a été très sérieuse au point de se matérialiser en menaces de morts et autres délires de ce genre. Donc on s'est simplement ignorés l'un et l'autre les premières fois, mais il était impossible qu'on s'évite. On se croisait toutes les semaines. Donc on s'est remis à discuter ensemble et, en fait, on a oublié ce beef. J'en suis vraiment ravi parce qu'on a été de très bons amis à un moment, et cette embrouille n'avait rien de personnelle. Ca montre juste que le business peut déchirer des amitiés. Par ailleurs, j'ai vu Supernatural il y a peu de temps. On était tous les deux à la même soirée dans le désert Californien, donc je suis allé le voir et on parlé un peu. C'est vraiment dommage que les choses soient partis en vrille entre nous, même si j'ai tiré beaucoup d'enseignements de tout ça.



HHC: Quel est ton sentiment à propos de l'évolution de la scène californienne? Est-ce qu'elle ne tend pas à sortir du gouffre? Je veux dire, on dirait que le phénomène est en train de s'étendre au monde entier... par exemple, les Living Legends et les Shifterz sont venus jouer en France il y a quelques mois, tout comme The Weather, ton dernier projet est sorti sur un label européen, etc... est-ce que tu sens réellement cette évolution de là où tu es?



DK: Les choses ont clairement pris de l'ampleur, et je crois que c'est une bonne chose. Je me rappelle des shows où il n'y avait qu'une vingtaine de personnes devant la scène. Maintenant, Awol peut remplir une boîte à lui tout seul. C'est formidable de faire partie de ce mouvement, et je ne peux qu'espérer que cet élan continue.





HHC: Es-tu un crate-digger? Si oui, quel genre de musique recherches-tu et qu'aimes-tu dans le cratedigging?



DK: Avant, je ne "diggais" que dans les magasins de vinyls mais j'ai étendu ma palette à toutes les sources audio. Il y a de formidables stations de radios spécialisées en jazz et musique classique à Los Angeles, donc je sample beaucoup la radio. Dans certains shows, des vieux gars du jazz viennent et jouent des morceaux qui ne sont jamais sortis. Des trucs super rares. Il m'arrive de ne pas croire à ce que j'écoute. C'est dingue. J'enregistre plein de trucs sur DAT et je les travaille après.



HHC: Es-tu un auditeur assidu de musique? Principalement du rap?



DK: J'écoute plein de styles de musique. Quand je suis en voiture, c'est souvent de la musique classique. Ca calme mes nerfs. Si j'écoute du rap quand je conduis dans les rues de L.A., que je suis coincé dans les embouteillages, je deviens dingue. C'est ce qu'on apelle "road rage" aussi. Mais quand je suis chez moi, je mets juste mon iPod en mode lecture aléatoire et j'écoute tout ce qui en sort. Mon iPod a son propre délire, il a tendance à joué du Johnny Cash et du Loretta Lynn.



HHC: Pourquoi avoir sorti le DVD-audio "Penchant For Buggery"?



DK: Un vieux pote, Todd Roberts, s'était mis à remixer plein de trucs en son surround. Il m'a appelé et j'étais down avec l'idée. Je crois que ce genre de projet est un peu en avance sur son temps... mais c'était marrant d'assister à la fabrication de ce truc.



HHC: Quelques mots sur "The Green Mile"?



DK: Ce projet était génial. P.E.A.C.E. et son cousin Kitts étaient en ville pour quelques jours, et j'ai planifié une journée d'enregistrement avec eux. On s'est vu dès le matin et on a tué un pack de 12 bières en moins d'une heure. Puis Awol est arrivé avec encore plus de bière et on a commencé a enregistrer. L'enregistrement a pris 8 heures. Je ne sais toujours pas si "The Green Mile" sortira un jour sous une forme officielle.



HHC: Quels sont tes projets en cours?



DK: J'ai deux morceaux sur le dernier Shapeshifters ("Was Here", ndlr) qui est un disque "violent". Je viens juste de faire un remix de 'Pusher Man' de Curtis Mayfield avec Mix Master Mike, ça sort l'année prochaine. En ce moment, je me concentre sur le prochain album d'Awol qui sortira certainement à l'été 2005, on verra. Aussi, mon nouveau label, Alpha Pup Records, va sortir son premier projet en mars, un album instrumental de Paris Sax.



HHC: Dernier mot?



DK: Merci à tous les fans qui achètent notre musique plutôt que de la voler. Dédicaces à Harbor City, mon fief, et les quartiers alentours, carson, Wilmington, Compton et East Side Torrance.



Questions de Kreme et Cobalt
Propos recueillis et traduits par Kreme
Photos de Danny Miller (Mush)
Septembre 2004

NB: les questions de cette interview ont été posées à l'occasion de la sortie de "Cosmic Cleavage".

Site internet de Daddy Kev: www.daddykev.com.

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