The Grouch, Daddy Kev & D-Styles
Sound Advice

Alliance inattendue que celle qui voit aujourd'hui se réunir sur un même projet The Grouch, Daddy Kev & D-Styles. Inattendue car The Grouch a toujours eu une relation assez exclusive avec ses compagnons des Living Legends lorsqu'il s'agit de se lancer dans des projets d'envergure. De CMA à G&E, The Grouch s'est toujours entouré de ses proches et a voulu garder le contrôle de la production, conscient de l'attachement de ses fans à ses compositions particulières. Inattendue d'autre part car, si Daddy Kev est adepte des collaborations, il ne s'était jamais lancé dans une aventure longue durée avec un LL; cet honneur ayant jusqu'ici été réservé à Awol One (et, dans une moindre mesure, Mikah 9). Alliance inattendue… mais sacrément réjouissante pour ceux qui connaissent un peu la carrière des différents protagonistes. Car, en y réfléchissant un peu, le flow technique mais clair de The Grouch était peut-être ce qui pouvait arriver de mieux à un Daddy Kev en pleine transformation…

Amorcée avec "Slanguage", la métamorphose de Daddy Kev en apôtre d'un jazz-rap d'un nouveau genre semble s'achever ici. Tout comme "Slanguage", "Sound Advice" s'écoute donc en grande partie comme une symphonie mineure où les titres s'enchaînent le plus souvent subtilement, sans franche séparation. Mais, ce nouvel opus s'avère bien plus abouti, équilibré et enthousiasmant que son prédécesseur. Les imperfections des premiers pas dans cette nouvelle direction artistique ne sont plus et Daddy Kev maîtrise désormais parfaitement la partition qu'il a composée. Le relatif fouillis et les temps morts de son dernier album avec Awol One ont laissé place à un opus beaucoup plus court (21 mn) et dense, débarrassé du superflu et des dernières barrières mentales. S'il démarre en fanfare avec la symphonie de violons grandiloquente et accrocheuse de 'Square One', l'album se colore vite d'une teinte beaucoup plus jazz et avant-gardiste. 'Opening Spit' et sa boucle de violon entêtante laissent ainsi rapidement la place aux furieuses envolées percussives et à la contrebasse nerveuse de 'Usually'. Le paysage sonore se teinte dès ce moment de subtiles touches évolutives. La contrebasse et des percussions souvent en avant deviennent l'ossature rythmique principale qui conduit le reste des instruments (voir 'All Gotta Live'). Fleurant tantôt avec le free jazz (le chaos d'un 'Dollars For Not' où quelques notes de piano aléatoires et un saxophone viennent se poser en toute liberté sur un fracas de cymbales allant crescendo), tantôt avec un jazz plus posé ('Different Everybodys' et son piano discret ou encore 'I Got Class') et tantôt avec des structures rap plus directes (la petite merveille mélancolique 'Visibly Vocal' ou le piano imperturbable de 'Climax Cleverly'), Daddy Kev s'impose définitivement comme un des producteurs les plus talentueux de la scène californienne.

A côté, le rôle de D-Styles parait beaucoup plus anecdotique que sur "Slanguage" et, si son nom est cette fois-ci en haut de l'affiche, ses apparitions sont pour le moins clairsemées. Son solo de "guitare" sur 'Square One' est magistral mais on ne le revoit malheureusement que très peu aux platines. Tout juste notera-t-on sa présence discrète à quelques endroits de 'All Gotta Live' et 'Opening Spit'. Les turntablists seront donc peut-être un peu déçus de ne pas avoir le droit de le retrouver plus souvent mais il faut dire que son absence ne nuit aucunement au projet dans l'absolu, tant les confections sonores de Daddy Kev se suffisent à elles-mêmes... et tant la prestation de The Grouch est royale.

Libéré de la nécessité de produire et de s'occuper de tous les aspects de son projet, "réduit" au rôle de vocaliste pur et dur, The Grouch se permet en effet d'expérimenter plus que jamais et de s'essayer à un nombre inédit d'extravagances flowistiques. Jamais, de "Don't Talk To Me" à "Crusader For Justice", il ne s'était lancé dans tant de phrasés et de concepts différents. Si on le retrouve par endroits avec le flow direct et habité qu'on lui connaît, The Grouch est plus volontiers là où on ne l'attend pas. Dès 'Square One', il nous surprend en revêtant un flow quasi-parlé ultra rapide pour nous détailler dans un jargon d'ingénieur du son les différents éléments entrant en jeu dans la composition de ce "Sound Advice". Ailleurs, il n'hésite pas à chanter à travers un filtre ('I Got Class') après une séance d'abstract rhyming en bonne et due forme sur 'Nowadays'. Pour refléter le chaos d'un 'Dollars For Not' ou d'un 'Different Everybodys', The Grouch va même plus loin en récitant ses phrases dans le désordre tel un Yoda des temps modernes. S'il est plus aventureux qu'à l'habitude, il n'en reste pas moins ce emcee honnête et franc qu'on aime tant dans les rangs des Living Legends. Alors, lorsqu'il se livre un peu ('Opening Spit') ou se remémore quelques moments forts de sa carrière mais aussi ses désillusions quant à la nature humaine ('Visibly Vocal'), on est forcément touché. Brut de décoffrage, le flot de mots est souvent ininterrompu et le rouspéteur ne s'embarrasse pas de refrains inutiles, collant ainsi parfaitement à l'anti-conformisme du projet. "Freedom of expression is beautiful" lâche-t-il sur 'Climax Cleverly'... et on sent en effet qu'il a pris un authentique plaisir à être un des alchimistes de ces précieux conseils sonores.

L'union de The Grouch, Daddy Kev et D-Styles fait donc comme prévu des étincelles… peut-être même plus que ce à quoi l'on s'attendait. The Grouch n'aurait pas pu mieux retranscrire l'impression qui se dégage à l'écoute de ce projet lorsqu'il lâche sur 'Different Everybodys': "Put it together, like a puzzle, the pieces is fitting". Alors que "Cosmic Cleavage" verra bientôt Daddy Kev et D-Styles s'unir à un nouveau vocaliste de talent en la personne de l'extraterrestre Busdriver, ne passez pas à côté de "Sound Advice". Du pêchu 'Square One' à la douce 'Exit', on est sous le charme… et vous le serez aussi. Equilibre rare entre classicisme et innovation mais aussi entre nervosité et moments de réflexion, "Sound Advice" est en un mot comme en cent une petite merveille issu de l'esprit de 3 grands artistes de la west coast underground. En tant que tel, "Sound Advice" est tout simplement une des toutes meilleures sorties de cette année 2003.

Cobalt
Octobre 2003
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Label: Legendary Music
Production: Daddy Kev
Cuts: D-Styles
Année: Septembre 2003

01. Square One
02. Opening Spit
03. Usually
04. Nowadays
05. Different Everybodys
06. All Gotta Live
07. Dollars For Not
08. Visibly Vocal
09. I Got Class
10. Climax Cleverly
11. Exit

Best Cuts: 'Visibly Vocal', 'Usually', 'Climax Cleverly'

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