Subtitle
Terrain To Roam

"I don't like to go outside". Pourtant c'est bien, l'ouverture. C'est bien de sortir de sa bulle… Mais quand on a, comme Subtitle, passé des années reclus dans l'obscurité d'une chambre étroite (devenue le refuge de ses obsessions) à arroser ses quelques fans de projets plus denses et agoraphobes les uns que les autres, il faut un peu de temps pour s'habituer à la lumière, au passage des saisons et au contact avec le monde extérieur. Quand on a œuvré seul dans son coin pendant des lustres, en autarcie totale, il faut se réhabituer à travailler avec les autres. C'est un peu ce qu'était "Young Dangerous Heart" : une transition, un album de réinsertion, par essence inabouti et un peu incohérent, joli mais un brin décevant (surtout après des déflagrations sonores de l'ampleur de "Lost Love Stays Lost" ou "Zwarte Achtegrond"). Il faut dire qu'il manquait à ce "Young Dangerous Heart" un vrai fil conducteur…

Cette fois, sur "Terrain To Roam", le fil est là, d'emblée. Ce fil, même si Subtitle ne produit aucun titre, c'est bien la personnalité multi-facettes de Giovanni Marks. On retrouve ici le vrai Subtitle. Celui qui a décidé de sortir de sa déprime voilà plus de deux ans pour se métamorphoser en un artiste volubile, toujours adepte de la complexité et des aventures avant-gardistes, mais doté d'une volonté farouche de rendre son travail intelligible, parlant souvent à n'en plus finir dès que son rap s'arrête (il suffit de jeter un coup d'œil aux liner notes fournies de ce nouvel opus pour en avoir un aperçu). Un artiste qui a compris qu'il ne sera jamais dans la norme, mais qui rencontre pourtant depuis quelques temps une reconnaissance inattendue (et méritée)… Une reconnaissance dont il a décidé de profiter pour cultiver d'autres facettes de son talent.

Pour ce nouvel opus par exemple, Giovanni a visiblement eu envie d'affûter ses talents de conteur. Alors, histoire de se concentrer pleinement sur l'écriture, il a laissé les manettes à une palette de producteurs qui laisse rêveur et rassemble peu ou prou ce qui se fait de mieux sur le Nouveau Continent (et ailleurs). "I just look for an influence and then take it where I can". Avec les apports de gens comme Nobody, Madlib ou Omid, la stratégie est payante et permet à Gino de naviguer à loisir entre tous les sujets qui lui tiennent à cœur. Libéré de toute contrainte, il s'amuse ainsi avec son flow (tour à tour fast ou slow, selon l'envie) tout en se lançant dans des diatribes argumentées contre le (désastreux) système de santé américain. Le sautillant 'Pill Pop', concentré électronique orchestré par l'auteur de "X2", nous invite par exemple à un petit cours d'Histoire destiné à mettre en garde les auditeurs contre les charlatans de tout bord qui voudraient nous voir avaler des gélules à longueur de journée pour faire gonfler les profits de l'industrie pharmaceutique…

Entre des pamphlets malins de ce genre, quelques remarques bien senties sur le rap et une poignée d'exercices de style jouissifs (dont 'S Is For Summer' et ses divagations sur la saison qui a bercé une bonne partie de la gestation de ce nouveau LP), l'ami Giovanni perfectionne ses gammes de scénariste. Dans la peau d'un détenu, d'un criminel ou d'un policier, il rayonne… Surtout quand le dénommé Paris Zax dépose entre ses oreilles une de ces productions soignées dont il a le secret (à l'instar du lit de percussions fourni et de la guitare basse entêtante du premier volet de 'Seventies Western Crime Scene'). A l'occasion, Subtitle se fait même plaisir en nous resservant une ration de "tech talk", comme lorsque Thavius Beck se joint à lui sur l'obsédant 'Restructure/Reroute'. Arpentant le terrain miné par la MPC de Daddy Kev (une production électronique d'une brutalité sans nom), les deux frères d'armes dévoilent alors leurs secrets de fabrication sonore. "We make rap real weird"… Et diablement excitant.

Forcément, dans ce décor polychrome, l'absence du Subtitle incroyablement intime qui officiait jusqu'en 2003 pourra se faire sentir de temps à autre pour les traumatisés de "Lost Love Stays Lost"… Mais Subtee a pensé à eux. Sur ce disque où il parle parfois de ses hantises et de ses errements, mais somme toute assez peu de lui-même (si l'on compare à un opus aussi personnel et égocentrique que "I'm Always Recovering From Tomorrow"), le Californien nous a effectivement réservé une surprise : un 'About The Author' chaotique (intelligemment mis sous tension par la fratrie dDamage) où il évoque pour une fois son enfance défavorisée dans une famille où la drogue occupait une place pour le moins centrale. Une façon comme une autre de faire plaisir à ses adeptes de la première heure… Tout en tordant le cou à quelques idées reçues sur son compte. "Intellectualism seems to only be for rich people… and I'm broke. So am I still smart?" Hell yeah!

Vue la liste des producteurs conviés, le patchwork d'ambiances proposées est évidemment pour le moins coloré, faisant de "Terrain To Roam" l'album le plus éclectique de Giovanni jusqu'ici. Le plus accessible aussi, souvent bien loin des univers oppressants et impénétrables qui caractérisaient nombres de ses projets autoproduits. Les formats sont court et les ratés exceptionnels (nommément les monotones 'Write Is Wrong' et 'A Surrealist Life') car l'émulation entre les beatmakers convoqués fonctionne à plein régime. Ici un morceau classicisme soul surprenant ('True Grit and More') ; là des handclaps frénétiques et des chants tribaux dessinant les contours d'un hit hautement improbable ('Dance Invite #1') ; ailleurs une gourmandise mouvante qui n'a de cesse de se dérober sous les pieds d'un Subtee qui se rattrape pourtant à chaque fois comme par miracle ('Shields Up' courtesy of Daedelus)… Pourtant, la force de ces 16 titres hétéroclites, c'est bel et bien que, malgré leur diversité, ils sont tous habités et portés haut par la personnalité insolite de Subtitle.

A la fois œuvre collective et manifeste identitaire, "Terrain To Roam" est donc un opus composite et hétérodoxe qui fait honneur à son auteur, tout en montrant que les choses ont bien changé pour lui depuis l'époque de Weekend Science Experiment. Un album ambitieux, surprenant mais prenant qui vient se positionner en bonne place dans la discographie incroyablement cohérente mais de plus en plus variée de l'escogriffe angelino. "I would like to make a difference", annonce Subtitle dans les liner notes… Pas de doute, ce garçon est encore sur la bonne route. Jamais dans la tendance mais toujours dans la bonne direction, comme disait l'autre.

Cobalt
Novembre 2006
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Label: Alpha Pup Records
Production: Paris Zax, Madlib, Nobody, Daddy Kev, Thavius Beck, Daedelus, Omid, Tes, Small Is Beautiful, dDamage, Crunc Tesla, Dntel & Wrongz
Année: Octobre 2006

01. H.H. Jesus
02. Seventies Western Crime Scene Pt. 1
03. "S" Is For Summer
04. Pill Pop
05. True Grit And More
06. Restructure/Reroute (feat. Thavius Beck)
07. "Let's Get Lit"
08. A Surrealist Life
09. Shields Up
10. Seventies Western Crime Scene Pt. 2
11. Write Is Wrong
12. Wait For It
13. Dance Invite #1
14. About The Author
15. H.H. Lucifer
16. I Wonder If…

Best Cuts: 'Restructure/Reroute'; 'Seventies Western Crime Scene Pt. 1'; 'Dance Invite #1'

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