Subtitle

MC colossal, beatmaker puissant et imprévisible, Subtitle est un artiste sans concurrent, évoluant en parallèle de la scène West Coast underground dont il est issu. Affilié à plusieurs crews, toujours partant pour une collaboration inattendue, Giovanni Marks renvoie pourtant l'image d'un artiste autonome et farouchement indépendant. Sa musique - audacieuse, subtile et minimaliste - est celle d'un artiste désinhibé et ouvert, citant pèle mêle Jimi Hendrix, Autechre et Del comme influences. Du changement opéré par sa signature sur Gold Standard Labs à ses multiples projets en gestation, en passant par une réflexion lucide sur l'évolution de la scène Project Blowed, le co-auteur de l'album de rap le plus marquant de l'année ("Zwarte Achtegrond") dit tout à Hip Hop Core. It's ok LA, he's on top of it. English version



Hip-Hop Core: Les choses ont changé depuis que tu as rejoint les rangs de GSL, tu es plus exposé et davantage sollicité… Ta vision de la musique a-t-elle aussi évolué?



Subtitle: Oui, en quelque sorte. J'ai décidé de prendre l'écriture, la production et l'enregistrement de ma musique au sérieux, ce qui n'était pas le cas sur mes anciens projets. Je me contentais d'appuyer sur "enregistrer" et de faire tout ce qui me passait par la tête. Maintenant, je fonctionne toujours de la même façon, mais avec un but précis dans la tête… Les gens semblent apprécier ce qui est en train de se passer, c'est gratifiant. J'ai encore beaucoup de nouvelles choses à faire (nouvelles pour moi en tout cas) donc j'essaie de ne pas prendre les gens pour des cons quand je me fais plaisir.



HHC: "Young Dangerous Heart" est vendu comme ton premier album. As-tu décidé d'effacer tous tes anciens disques de ta mémoire?



S: Non, même si j'ai perdu l'équivalent de trois albums (qui ne seront donc jamais entendu par personne) juste avant de me mettre à travailler sur cet album. Ces albums étaient comme une sorte de journal, avec plein d'idées différentes. Mais ce disque est un recueil définitif de mes aventures entre 2003 et 2004. C'est aussi mon premier album officiel avec une date de sortie et tout, donc il est vendu comme mon premier disque. Mais ceux qui me suivent savent très bien que c'est mon 15ème album!



HHC: Sur ce nouveau projet, tu as embauché plusieurs producteurs alors que la plupart de tes précédents albums étaient auto-composés. Pourquoi ce choix? Est-ce que ça a changé ta façon de travailler?



S: Je l'ai fait parce que je ne l'avais jamais fait auparavant et aussi parce que je voulais que le disque reflète tout ce qui s'est passé autour de moi pendant les huit dernières années. La plupart des invités sont des gens que je connais depuis pas mal de temps et avec qui j'attendais d'avoir la chance de travailler. GSL a trouvé que c'était aussi un bon moyen de vendre le disque, mais ça marche toujours comme ça avec les labels.



HHC: A part sur certains beats (particulièrement celui de Deeskee), il semble que les beatmakers invités sur "Young Dangerous Heart" ont essayé de coller le plus possible à ton identité et ton flow. As-tu été très exigeant dans tes choix ou est-ce que c'est venu naturellement?



S: J'avais quelques idées pour chaque producteur mais c'était abstrait, juste des couleurs ou ce genre de trucs. Pour certains producteurs, comme Alias par exemple, j'ai reçu plusieurs beats et je ne pouvais en choisir qu'un même s'ils étaient tous super. Octavius m'a donné un beat et Busdriver et moi avons rappé dessus. Octavius pensait que le morceau pouvait sonner mieux et m'a redonné un autre beat… Je crois que l'instru de Deeskee était déjà terminée avant que je le sollicite mais je l'adorais et je voulais vraiment que Deeskee soit sur ce disque, donc je n'ai pas cherché plus loin. Pareil pour Life Rexall et Cockamamie. J'ai dû harceler et harceler encore Rexall pour qu'il soit sur l'album ; quant à Cockamamie, le morceau est sur leur album underground. Quelqu'un d'"officiel" doit signer Cockamamie.



HHC: Explication de texte : "Marks 03, making underground hits, although 17 people know about it". Est-ce que tu considères ta musique comme difficile d'accès?



S: Pas vraiment. D'autres ont l'air de le penser parce qu'il doit y avoir de nouvelles idées auxquelles ils ne sont pas habitués. Mais ce dernier album n'est pas aussi expérimental que l'album de Lab Waste ou d'autres projets sur lesquels j'ai travaillé. J'ai essayé de baisser d'un ton ces velléités; c'est une des raisons pour lesquelles j'ai invité pas mal de monde. Il fallait que j'arrive à équilibrer mon penchant naturel avec quelque chose.



HHC: "Most art is only out to ruin you, that's the problem with society today / They don't understand how to innovate, and it's hard not to fall for an artist who writes lyrics like "Business is primary in business” / But in art that's witless... I'm out to break the heart of a sensitive teen / Let's make it / Make out / Or make up a new scene".



S: Je pense que c'est assez clair pour tous ceux qui ont déjà réfléchi aux relations entre l'art et l'économie. La dernière phrase est une sorte de jeu de mots sur toute cette histoire d'emo-rap, à laquelle je n'ai heureusement jamais été affilié. Mais on pourrait très bien créer de toute pièce une nouvelle scène, comme je le dis. C'est d'ailleurs ce que j'essaie de faire. Pas quelque chose qui tourne autour de moi ou du hip-hop mais un vrai truc underground avec tout ce que ça implique, de la science à la bouffe en passant par les fringues et le sexe.



HHC: "I'm unpredictable, I do not lead a textbook life".



S: C'est la vérité, demande à n'importe lequel de mes amis.



HHC: "I was trying to make it very profound, very loquacious if you will, to give it some kind of depth and feel but really, it was just a gangsta rap." Est-ce que ta musique peut être vue comme du gangsta-rap?



S: Sur certains points, peut-être. Par contre, c'est clairement le cas de mes vieux projets à l'époque où je traînais dans le "quartier", à prendre de la drogue et à faire n'importe quoi. Mais comme disait ma mère, je n'ai jamais été un gangster, j'ai seulement mené une vie de gangster. Un peu.



HHC: "Art lets you lay waste to most types of convention."



S: C'est tout aussi vrai. Je ne crois pas que j'aie besoin de l'expliquer, regarde cette œuvre d'art qui s'appelle "Piss Christ" ou n'importe quel album de Kool Keith. Mieux, regarde le catalogue de Dose One, après 1998…



HHC: Pour en revenir à Lab Waste, "Zwarte Achtegrond" est certainement le plus incroyable album de hip-hop que j'ai entendu depuis le "Black Mamba Serums" de Bigg Jus. Il est profond et complexe, intelligent et désinvolte à la fois. Pourtant, j'ai l'impression que Thavius et toi l'avaient échafaudé sans trop de difficulté, en vous contentant de combiner vos forces et d'unir vos idées… Tu as trouvé le partenaire idéal ?



S: Oui, c'est le moins qu'on puisse dire. Ce que les gens ne savent pas c'est que je connais Thav et je suis son plus grand fan depuis 8 ans. J'attendais le bon moment pour pouvoir travailler avec lui. On a fait un super morceau ensemble qui s'appelait 'Inexorable And Anonymous' en 1998. Il aura fallu 5 ou 6 ans avant qu'on se remette à bosser tous les deux, même si entre temps il a fait un beat pour "Delete The Elite" et deux pour "I'm Always Recovering From Tomorrow".



HHC: La première fois que j'ai entendu le disque de Lab Waste, je me suis dis quelque chose du genre "Voilà enfin deux gars qui ont compris et analysé les travaux de Company Flow et Anti-Pop Consortium et qui ne nous servent pas qu'une pâle copie"…



S: Ces références comptent pour moi, pas pour Thav. Il n'est pas fan de ce genre de trucs, il est dans son propre délire. Moi, en revanche, j'ai écouté tous ces trucs religieusement en même temps que le Project Blowed et les scènes underground de LA, Oxnard, de la Bay Area ainsi que plein d'autres trucs. Même de la Drum n' Bass et du hip hop finlandais.



HHC: Black Autechre?



S: J'ai dit ça comme une blague. J'aurais pu dire "Black Suicide" et ç'aurait été plus juste comme définition. Ces gars sont cool et tout, mais je ne nous comparerais pas à eux vu que nous ne sommes pas sur le même niveau. Ce serait comme dire que je suis le nouveau Dr Dre ou quelque chose dans le genre… J'ai joué avec Autechre en mai dernier (ce qui était super) et ce ne sont pas vraiment les mecs les plus "sociaux" que j'aie rencontrés. J'imagine que ça vient du fait que nous ne venons pas du même endroit… Mais en tout cas, leur musique était sans égale et entièrement freestyle (Rob, si tu lis ceci, tu n'as jamais répondu à ma question à propos de la MPC!).



HHC: Tu viens de tourner dans toute l'Europe pour ton dernier album solo. Qu'as-tu appris du public européen et as-tu rencontré des artistes locaux intéressants?



S: Je ne pourrais pas dire tout ce que j'ai appris du public européen dans une interview, ce serait trop long. Mais je peux au moins dire ça: contrairement aux américains, les gens respectent vraiment la musique là bas, et sont toujours prêts à soutenir les artistes si leurs finances le permettent. Et même si ce n'est pas le cas, ils dépenseront tout ce qui leur reste pour un concert! J'ai parlé à des personnes de tous horizons ces trois derniers mois et ces rencontres ont à la fois rétréci et rendu plus pertinent mon univers musical. J'ai rencontré des tas d'artistes extrêmement talentueux et j'ai eu la chance de travailler avec plusieurs d'entre eux. Vous entendrez le résultat dans un futur proche.



HHC: Tu t'apprêtes à sortir un projet avec Daddy Kev, sur Alpha Pup records. A quoi peut-on s'attendre?



S: Un disque plus "raffiné" dans l'esprit de "Young Dangerous Heart" et "Weekend Science Experiment". Je ne veux pas trop en dire en ce qui concerne les collaborations et le reste, mais ce devrait être assez étonnant, un peu fou… Ca aura aussi une forme livresque… L'introduction et l'outro seront comme des presse-livres qui encadreront les titres et les différents producteurs seront choisis en fonction des thèmes pour orner au mieux mes récits à la première personne ou mes "manuels d'utilisation". Et il y aura plein de beats mortels, bien entendu!



HHC: Pourquoi penses-tu que des artistes West Coast underground respectés comme AWOL, Busdriver ou Ricci Rucker ont-ils décidé de rejoindre Alpha Pup et accepté de se faire "diriger" par Daddy Kev?



S: Pour AWOL et Bus', il semble que ce soit pour reprendre l'aventure Celestial là où elle s'est arrêtée. Je ne connais pas vraiment Ricci, mais sa musique parle d'elle-même et j'imagine qu'il voulait aussi faire partie de l'équipe Alpha Pup tout en étant sur un label qui respecte sa créativité. Kev est un grand génie, tout comme Danyell (co-fondatrice du label, ndlr). Ils se sont vraiment trouvés tous les deux. Quand tu travailles avec eux, tu sais déjà qu'on prendra bien soin de toi.



HHC: Et toi?



S: J'ai toujours voulu intégrer Celestial, d'autant que la moitié des gens avec qui je travaillais y étaient signés. La musique créée chez Celestial était incomparable, en terme d'approche et de portée. J'ai fréquenté le Konkrete Jungle de L.A. à son apogée et j'ai été plongé au plus profond de cette scène sans jamais y avoir vraiment été introduit. Quand ça a prit fin, je m'occupais déjà des affaires courantes dans ma communauté, ce qui m'a poussé à faire une pause. Puis je suis rentré en contact avec GSL et j'ai pris une direction différente de celle sur laquelle je m'étais engagé. Quand Kev m'a proposé de faire partie de l'aventure Alpha Pup, je me devais de dire oui! Au départ, les gens étaient dubitatifs et disaient que ça ne marcherait pas, mais maintenant c'est un fait, qu'on le veuille ou non, Alpha Pup est partout.





HHC: Comment vois-tu l'évolution récente des artistes du Project Blowed et de toute cette scène dite Westcoast Underground?



S: Quand je suis de bonne humeur, disons que j'ai des sentiments mitigés sur le passé récent… Mais pour le reste, je ne pense pas que mes propos soient publiables. Je vais quand même essayer de m'expliquer un peu… Quand je me suis mis à la musique au début des années 90, ce truc a changé ma vie. Je me sentais enfin proche de gars qui passaient à la radio. Il y avait tout ce débarquement d'emcees et de producteurs qui venaient du ghetto (et qui pour la plupart avaient soit fait partie de gangs, soit avaient des amis proches qui en faisaient partie, soit encore avaient toujours été entouré de cette ambiance) mais qui n'en parlaient pas! Ca a été une idée vraiment rafraîchissante pendant 7 ans. Mais très peu de gens qui faisaient partie de cette aventure, de ce manifeste artistique, croient encore à cette alternative. Les drogues, l'argent (ou le manque d'argent) ainsi que l'industrie du disque sont les principales causes de la non-explosion et parfois de la disparition de ceux qui auraient dû devenir les icônes de ce mouvement. Je n'ai pas fait exception à cette règle, mais j'ai réussi à m'en sortir plus vite que d'autres.

Ce qui m'attriste, c'est qu'aujourd'hui beaucoup des "anciens" ne sont pas de vrais leaders d'esprit pour leur communauté, alors qu'ils en exigent le même niveau de respect que celui dû à un Coltrane ou un Fela. Ce ne serait pas leur en demander beaucoup compte tenu de ce que nous, en tant que résidents de l'état de Californie, avons dû subir avant qu'un endroit comme le Good Life ou le Project Blowed puisse exister sans être brûlé ou sans être le théâtre de fusillades et de raids de la police. Quand tu jettes un coup d'œil aux publications rap, tout ça semble avoir été oublié, ou en tout cas c'est vraiment minimisé par rapport à ce "nouveau Los Angeles" que tu vois partout dans les magazines ou à la télé. Et ce que je trouve vraiment nase, c'est que personne n'essaie de raconter ce qui s'est vraiment passé, de manière impartiale. Par exemple, personne n'a dit une bonne fois pour toutes "qui avait pompé le style de qui" alors que je pense que c'est franchement un point discutable, surtout en ce moment avec toute cette scène grime qui explose en Angleterre. Ces mecs sont à fond dans le style et pourtant je sais pertinemment qu'aucun d'eux n'a entendu parler du Project Blowed, du Good Life ou de ce genre de trucs. Ils connaissent peut-être Jay-Z, Twista ou Bone Thugs N Harmony… Bone est d'ailleurs sûrement le truc le plus proche du Project Blowed qu'ils aient entendu jusqu'à ce qu'Abstract Rude fasse la première partie de Dizzee Rascal…



HHC: Parle-nous de ton label B.E.A.R…



S: Business Espionage Audio Recordings, c'est ma façon d'essayer de faire bien les choses. Elliot Lipp (de Hefty Records), Leo 123 (de East Dev) et moi avons fait un label dans le même esprit qu'une bande de skateurs. On va balancer tous nos trucs underground sur BEAR, du vieux, du neuf, dans tous les formats possibles. Il y aura des disques solo de chacun de nous, d'Adlib, de No Can Do et quelques autres surprises, sur CD et sur vinyle. On a aussi d'autres projets mais il vous faudra suivre l'affaire de près pour être au courant.



HHC: J'avais entendu parler d'un possible album de la Westcoast Workforce…



S: J'essaie encore d'arranger les choses entre tout le monde. L'année dernière, on m'avait proposé de reformer le groupe suite à "l'énorme" attente de nos fans étrangers… Mais on n'arrive même pas à se poser ensemble dans un même endroit pour bosser sur un titre. On n'arrive même pas à décider qui fait partie du groupe! Donc ça prendra sûrement du temps…



HHC: Et ce deuxième album de Lab Waste annoncé?



S: Nous avons déjà deux morceaux. Thav' est en train de terminer son album solo et puisque je n'ai rien à produire pour mon disque sur Alpha Pup, mes meilleurs beats seront automatiquement mis de coté pour ce projet. GSL va le sortir aux Etats-Unis et tous les gens impliqués sont super chauds. On devrait faire une tournée à l'arrache cet automne ou cet hiver en Europe.



HHC: Quelque chose à ajouter?



S: Je travaille sur un nouveau disque pour B.E.A.R, sous mon vrai nom (ndlr: Giovanni Marks). Ca s'appelle "Trunk Bomb" et un EP vinyle sortira en octobre prochain. Sinon, je compte ressortir de façon underground certains projets comme "Lost Love Stays Lost", "Lone Path of the Vanguard", etc. Sinon, je voudrais dire que la Finlande est le secret le mieux gardé du hip-hop. Allez lire un livre et écouter une chanson. Voilà, et merci…



Propos recueillis par Kreme
et traduits par Kreme et Cobalt
Septembre 2005

Weblinks :
www.giovannimarks.com
www.alphapuprecords.com
www.goldstandardlabs.com

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