Subtitle
Lost Love Stays Lost

Difficile de cerner Subtitle. A la fois affilié à plein de crews et en même temps farouchement solitaire et inclassable, le emcee-producteur californien se construit depuis maintenant 7 ans une discographie pléthorique et cohérente qui le place clairement parmi les artistes les plus passionnants (et injustement méconnus) engendrés par l'underground californien. Représentant de la West Coast Workforce, membre à temps partiel des Shape Shifters, moitié de Labwaste aux côtés d'Adlib, initiateur du projet Weekend Science Experiment, enfant du Project Blowed, seul artiste rap signé sur l'exigeant label de rock indépendant GSL, Giovanni Marks est définitivement un phénomène. Derrière ce géant qui crève l'écran et domine tout le monde d'une tête (littéralement) sur le fantasque DVD des Shapeshifters "Terrorists From Another World" se cache un boulimique de travail toujours en mouvement doublé d'un musicien progressiste se démarquant de tous ses collègues par une identité sonore extrêmement personnelle qui échappe à toute étiquette et ne laisse personne indifférent (pour résumer : on aime ou on déteste). Après avoir sciemment limité la disponibilité de ses travaux en ne sortant ses projets que sur cassettes puis sur CD-R, Subtitle a amorcé l'an passé un virage vers un peu plus de "professionnalisme" dans sa démarche. En effet, Subtitle a monté son propre label Marks03 Recordings et a en parallèle signé avec GSL. Du coup, sans rien changer à sa démarche artistique, ces évolutions lui ont permis de bénéficier de meilleures conditions d'enregistrement et de mixage et de pouvoir sortir un peu partout dans le monde l'excellent "I'm Always Recovering From Tomorrow" (incontestablement le meilleur EP de 2003 d'ailleurs). Sorti à peu près à la même période que "I'm Always Recovering From Tomorrow" mais dans la confidentialité la plus totale, "Lost Love Stays Lost" méritait bien un petit coup de projecteur dans nos pages alors que Subtitle s'apprête à venir en France début mars avec ses collègues Shapeshifters.

Hermétiques à la première écoute pour le nouveau venu, différentes de tout ce à quoi le rap nous a habitué, les constructions sonores minimalistes de Subtitle révèlent des trésors d'inventivité et de subtilité derrière le dépouillement de façade. Soyez donc prévenus : laissez toutes vos idées préconçues à la porte lorsque vous entrez dans le monde de Giovanni Marks. La formule employée est souvent la même : une rythmique sèche, limite glaciale, surmontée d'infrabasses épaisses, de nappes atmosphérique à peine perceptibles et d'un motif de clavier aléatoire où peuvent surgir à tout instant reverbs, bleeps, distorsions et autres effets sonores imprévisibles. Agitant tous les ingrédients dans son shaker magique pour en extraire le moindre soupçon de vie, Subtitle crée des sons claustrophobiques et oppressants où les respirations sont rares mais où les idées abondent. Des sons spartiates mais évolutifs où les expériences se déroulent en direct au fil des mesures qui s'écoulent. Pour s'en convaincre, il suffit de s'attarder un peu. Par exemple sur un dense 'Oh, I've got Angst Alright' aux percussions épileptiques qui culmine en un court fracas électronique jouissif ou encore sur un 'Untightled' extraterrestre aux nappes planantes où se succèdent sans prévenir quelques notes de guitare électrique puis une petite mélodie de clavier innocente puis un orgue puis un vocoder… avant que le titre s'autodétruise dans un vacarme de percussions aux relents métalliques. Subtitle ne cherche clairement pas à caresser l'auditeur dans le sens du poil. Les cymbales omniprésentes de 'Short Drive/Long Walk' ou l'astreignant 'Sub Hangover' (qui ne laisse pas de répit entre guitare bruitiste, infrabasse perturbante et rythmique trébuchante) sont là pour le prouver. En un titre, Subtitle développe parfois plus d'idées que nombre d'artistes en une carrière entière. Il faut donc s'accrocher pour le suivre. Enchaînés les uns après les autres, les 13 titres de "Lost Love Stays Lost" s'accordent pour former un ensemble cohérent à la fois éprouvant pour les sens et l'esprit mais qui vaut clairement son pesant d'or.

Surtout que la voix grave, discrète et profonde de Subtitle vient contrebalancer quelque peu l'univers froid et désespéré mis en place par les productions, tout en en accentuant la sombre mécanique. Subtitle n'hésite d'ailleurs pas à trafiquer sa voix par moment pour en souligner les accents robotiques. Utilisant du delay avec délectation, il va même jusqu'à superposer 2 versions différentes de ses couplets tout au long d'un 'Walkawayslow' profond et sublime d'où se détache une mélodie éclatée de tabla synthétique. Pour autant, ne vous attendez pas à un flow ultra-complexe. Subtitle privilégie une forme de rap intimiste qui a plus à voir avec le spoken word qu'avec les exploits techniques de nombre de produits du Project Blowed. Alors, comment expliquer l'étrange sortilège que le flow semi-parlé de Subtitle exerce sur nous, même lorsqu'il est délivré sans grande passion apparente? Peut-être est-ce dû au fait que les mots de Subtitle sont la seule chose à emerger au milieu des mélodies atonales qui peuplent "Lost Love Stays Lost". Peut-être est-ce le peu d'importance que Subtitle accorde à son rap qui lui donne encore plus d'importance à nos yeux (Sub rappe en effet rarement sur plus de la moitié de chaque titre, préférant laisser de l'espace à l'instrumental). Sa volonté de ne pas polir toutes les imperfections et de ne pas arrondir tous les angles a aussi quelque chose de séduisant, comme lorsqu'il commence son premier couplet sur 'Untightled' puis lâche soudainement "Wait; let me take this reference back" avant de repartir à zéro dans la foulée. Quoiqu'il en soit, le flow de Subtitle a quelque chose de magnétique qui en fait le complément idéal de ses productions.

On retrouve d'ailleurs dans ses textes insondables le même attrait singulier. Dédicacé à tous ceux qui ont perdu un être cher, "Lost Love Stays Lost" n'est cependant pas un album se morfondant dans la lamentation et les chagrins d'amour ('Oh, I've Got Angst Alright'). Ce n'est pas le genre de la maison. Comme il le dit lui-même, imprévisible, inclassable, Subtitle écrit sur tout ce qui titille sa curiosité. Distillant ses pensées et ses opinons en vrac tout en faisant son auto-analyse au détour d'une rime ( "I'm a maverick separatist" ) ou d'un texte ('This For The [---]'), posant quelques phases egotrip, Subtitle fait clairement une musique hautement nombriliste mais il reste que le charme indescriptible de ses écrits fait son effet. Là, un jeu de pistes ('Track Me?'). Ailleurs, un bourbeux 'So What, 2003!' qui le voit affirmer son indépendance artistique totale ( "An artist doesn't settle to be managed" ) et évoquer l'ombre désuete du gangsta rap qui pèse toujours sur L.A. malgré tous les efforts de l'underground. Plus loin, un 'Lost2you' qui, derrière sa harpe discrète, sa flûte intrigante et ses percussions aquatiques étouffantes, est ni plus ni moins qu'un assaut à demi mot contre la paresse intellectuelle et contre les observateurs branchouilles qui prennent plaisir à critiquer et à descendre tout ce qui les dépasse ("I'm not like all of them so then I'm just lost to you"). Pour le reste, intello revendiqué au vocabulaire érudit, l'énigmatique Subtitle livre comme toujours des textes décousus et abscons qui en dérouteront plus d'un ("I have a beautiful mind that's outlined with denim"). En tout cas, cet apôtre de l'abstraction remet au goût du jour comme personne les mots "originalité" et "personnalité" en se traçant sa propre voie et en redéfinissant constamment ses propres règles.

Au final, tout en s'inscrivant dans la continuité de ses travaux récents, cet intransigeant "Lost Love Stays Lost" s'impose donc comme un opus très abouti qui vient confirmer tout le bien que l'on pensait déjà de Subtitle. Cet album étrange, exigeant mais prenant vient logiquement rejoindre a posteriori la liste des meilleurs opus sortis l'an passé et s'inscrit comme l'autre oeuvre indispensable de Subtitle aux côtés de "I'm Always Recovering From Tomorrow"… Passer à côté de ce remarquable "Lost Love Stays Lost" serait une grave erreur. Avant que Subtitle prenne d'assaut les scènes de nos contrées et envahisse successivement les bacs avec l'album de Labwaste et de son solo "Technicalifornia" pour le label GSL (avec des productions d'Omid, Nobody, Octavious ou encore Alias), il serait grand temps de vous intéresser aux travaux de ce géant californien qui possède déjà beaucoup d'avance sur la prétendue avant-garde.

Cobalt
Février 2004
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Label: Marks03 Recordings
Production: Subtitle
Année: 2003

01. Induction
02. Walkawayslow
03. Oh, I've Got Angst Alright
04. So What, 2003!
05. Stationary
06. Untightled
07. Short Drive/Long Walk
08. Lost2you
09. This Is For The [---]
10. Vash vs. Knives vs. Sub
11. Sub hangover
12. Disk/00/Bloodbath
13. Track Me?

Best Cuts: 'Walkawayslow', 'Lost2you', 'Untightled'

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