Assurément, Nas est un des artistes qui a le plus souffert du piratage au cours de sa carrière. Ainsi, "Illmatic" fut longtemps limité à quelques centaines de milliers d'exemplaires alors qu'il était multiplatine dans les rues. Sans parler de la déroute d'un lamentable "Nastradamus" amputé de ses meilleurs titres par la faute du bootlegging. Remis en selle par un "Stillmatic" de bonne tenue (que certains ont un peu rapidement qualifié de classique), Nas fait un pied de nez aux pirates en offrant aux fans qui lui sont restés fidèles un petit best-of des titres qui étaient jusqu'alors confinés aux mix-tapes et aux white labels.
Dès son ouverture, "The Lost Tapes" met en confiance. C'est bien Nasty Nas, le sage poète de la rue, qui domine ce Lp. Avec 'Doo-Rags', Nas utilise le retour de cette mode vestimentaire pour mettre en évidence les cercles qui régissent la vie dans le ghetto. Sur le piano léger de Precision, il lance aussi des piques acérés à l'encontre du gouvernement US qui du Vietnam à aujourd'hui s'est toujours servi des Noirs quand cela l'arrangeait. Une belle façon de commencer les choses. Si la production tient globalement la route, elle est le seul talon d'Achille de cet album. On applaudit les prestations de L.E.S. (cette ligne de basse sur 'U Gotta Love It') et d'Hill Inc. mais on grimace devant la médiocrité des 2 interventions d'un Alchemist devenu très paresseux ('My Way', 'No Idea's Original'). Rien de comparable ici avec du Large Professor ou du Premier mais "mention bien" quand même au bilan. On a le droit à du son new-yorkais classique mais bien fait.
Parfois Nas teinte un peu trop ses scénarios d'Esco à notre goût mais soyez rassurés cela n'arrive qu'en de rares occasions ('Blaze A 50', 'My Way'). Car Nasir accumule plutôt les bons points sur ces chutes de studio. Il nous conte sa vie mouvementée de foetus (!) sur 'Belly Button Window'. 'Drunk By Myself' photographie sublimement l'état d'esprit d'un homme noyant son désespoir dans l'alcool. Citons surtout 'Black Zombie', qui brille malgré un refrain agaçant, grâce à la manière dont Nas stigmatise l'immobilisme de la communauté Noire face à l'étau qui se resserre sur elle. Bref, le lyriciste est à l'oeuvre. Même le seul vrai nouveau morceau de cet album ('Purple') est une bombe que son auteur utilise pour démontrer la bêtise de la violence.
Dommage par contre que Nas ne nous lâche que 11 titres, dont un 'Everybody's Crazy' qui était déjà sur le premier pressage de "Stillmatic". On pourra toujours remettre en cause l'authenticité d'un Escobar redevenu Nasty après l'échec de "Nastradamus" et remarquer ses contradictions, mais il ne faut pas non plus bouder son plaisir. Nas est intelligent, talentueux; son flow est toujours aussi affuté et il signe là quelques-uns de ses plus beaux textes. "The Lost Tapes" contient suffisamment de bons morceaux pour combler tout fan de Nas qui se respecte. Si vous êtes preneur, plongez vite dans cette brèche dans l'espace-temps car la récente signature du poète avec Murda Inc. est de mauvaise augure pour le futur...
Cobalt Septembre 2002