Chaque nouveau projet de DJ Spinna est en soi un événement. Car rarement un producteur aura été aussi constant dans la qualité de ses productions et dans la diversité de ses horizons. Qu'il compile Stevie Wonder, produise pour J-Live ou bien s'occupe de son groupe Jigmastas, il le fait toujours avec sérieux et dévouement. Au point que sa patte est devenue un vrai label rouge. De Polyrhythm Addicts à son "Heavy Beats", il ne nous a jamais déçu. A ce titre, son label Beyond Real est une source intarissable de bons beats et de nouveaux talents qui a déjà fait découvrir IG Off & Hazadous ou Skam. Pour mettre à nouveau en lumière de jeunes new-yorkais affamés de micro, Spinna a eu la bonne idée en cette année 2002 de renouveler sa "Beyond Real Experience".

On retrouve ainsi avec plaisir son compère Kriminul, le nubien Sadat X, le fidèle Mr. Complex, Mr. Akil et bien sûr Skam. On découvre aussi de nouvelles facettes des excellents Dynas et Shadowman. Sur la plupart des titres, les rimes vont à la vitesse de l'esprit disséminant aux milieux d'egotrips flamboyants quelques phrases qui font réfléchir. C'est rarement extraordinaire mais quand c'est sur du Spinna millésimé, tout passe mieux. D'autre part, chaque emcee ayant eu le droit à 2-3 titres, chacun y est allé de son texte à thèmes... et tant mieux. Les sujets sont éculés mais le style est là. Complex et El Fudge réussissent même l'exploit de nous émouvoir avec une énième ode aux mères ('My Momma'). Mr. Akil adopte lui un ton résigné qui fait son effet pour nous raconter la fin d'une liaison sur 'Hey Love'. Les traditionnelles réflexions sur l'état du rap sont, elles, dispensées avec brio par Shadowman ('Rap Shit')... et par l'alliance inattendue mais bienvenue entre les Jigmastas et Guru ('So What').

De manière plus anecdotique, même si l'essai est peu concluant, Spinna fait une fois de plus preuve d'ouverture d'esprit en invitant le japonais Suiken à poser son flow sur 'Can I Kick It'. Tout au long du disque, Spinna est égal à lui-même : un maître. Les basses restent profondes, les scratches affûtés et les instrus sont toujours pleins de subtiles variations ('Hey Love', 'Plan X'). On note néanmoins quelques évolutions dans la formule. Ainsi, les habituelles nappes sci-fi sont présentes mais elles se font plus discrètes qu'à l'habitude. Spinna porte plus son attention cette fois aux arrangements et au découpage dynamique des samples. Et on ne s'en plaindra pas. Sur le posse cut 'This Ain't A Game', il agence savamment les samples pour construire une production d'une complexité Premieresque. Pas radin, Spinna laisse aussi un peu d'espace (5 titres) à ses connaissances. Et c'est un peu là que le bât blesse. Si Nick Fury, excellente moitié de Lexicon, maintient le niveau ('Mekanism', 'Stones'), on ne peut en dire autant des autres. Ticklah fait dans le brouillon avec 'Proof'. Et en fin d'album, People Under The Stairs et Ken Sport nous déçoivent avec des remixes particulièrement fades de 'Don't Get It Twisted' et 'So What'. Spinna devrait le savoir depuis le temps : on n'est jamais mieux servi que par soi-même. Ces impairs cassent un peu l'ambiance dans la seconde moitié de l'album.

"Beyond Real Experience Vol. 2" s'avère donc plaisant mais bien moins essentiel que son prédécesseur. Il comblera probablement les inconditionnels de Spinna, qui voudront assurément l'ajouter à leur collection déjà conséquente et, en fait, chacun pourra y trouver matière à satisfaction mais on reste un peu sur notre faim. Si quelques rimeurs font forte impression, ce second essai manque de cohérence et reste empêtré dans les limites inhérentes aux compilations...

Cobalt
Août 2002