En 2001, le groupe Cannibal Ox prenait l'aspiration d'El-P et dans l'élan de la création de son label Def Jux, sortait un classique qui marquera mes orifices auditifs comme jamais. Retrouver la magie d'un "The Cold Vein" n'est aujourd'hui plus d'actualité chez Def Jux. Nous sommes en 2004 et le gros nounours à la voix spatiale qu'est Vast Aire débarque avec un 1er LP solo. Après l'imbroglio du vrai-faux split de Cannibal Ox, Vast a semble t'il choisi de s'occuper un temps de son cas personnel, et c'est sur l'intéressant label Chocolate Industries qu'il a choisi de le faire… puisque Def Jux ne semble plus capable de poser son logo sur le moindre disque de qualité.
Vast Aire est un mc au profil intéressant mais qui n'a en réalité que peu de cordes à son arc si l'on y regarde de plus près. Une présence scénique plus que moyenne, des textes qui s'embourbent parfois dans une science-fiction empreinte d'un humour pas toujours subtil, un flow qui, pris seul, n'a rien de particulièrement excitant… Oui mais voilà, Vast Aire est l'homme qui donnait la réplique à Vordul Megalah sur le classique à la pochette bleu gris. C'est ce mc avec du coffre dont les phases résonnaient à la perfection sur les caisses d'El Producto. Bref, malgré les quelques très bons tracks disséminés ça et là dans les LP's de la Atoms Family, Vast Aire reste avant tout un tiers de "The Cold Vein".
Hors, je pars du principe que ce disque au titre presque marrant, "Look Mom… No Hands", vise à défaire le gros Vast de ce lien si fort à "The Cold Vein". Tout d'abord parce que nous sommes nombreux à penser que l'on n'entendra pas mieux du brooklynois que ce qu'il a réalisé sous l'étiquette Can Ox et sous l'aile bienveillante d'El-P, et que ca doit légèrement l'agacer. Ensuite parce que Vast, de par les caractéristiques de sa voix, sa relative lenteur, et ses accentuations étonnantes, était le mc qui collait le mieux aux délires d'un hip hop inspiré d'une SF froide et pesante dont la bande son de "The Cold Vein" est le sommet.
Au final Vast Aire est donc apparu comme prisonnier, d'une part de son appartenance au groupe qui a donné à New York son album majeur du début du millénaire, et d'autre part de sa dépendance, liée à ses caractéristiques propres de mc, à une scène de l'underground à la durée de vie limitée. "Look Mom… No Hands" répond à cela de façon quasi mathématique. L'addition des producteurs et des featurings au micro, l'absence du mécène El-P, la grande diversité des ambiances sont autant de signes de la volonté de Vast de prouver sa valeur sur un autre terrain, accompagné d'autres personnes, sur un autre label…
Mais pour réussir sur un autre terrain que celui sur lequel on a fait ses preuves, il faut être un emcee tous-terrains (CQFD) ce qui ne semble pas être le cas de Vast Aire. Les principales réussites du lp sont produites par les têtes d'affiches présentes aux consoles comme MF Doom ou Madlib. Pour Doom le saloonesque 'Da Supafriendz' qui, sans être traumatisant, donne un coup de fraîcheur à l'ensemble. A Madlib les titres 'Look Mom… No Hands', 'Could You Be?' et 'Life's Ill Pt. II' sur lesquels Vast Aire ne parvient pas à s'intégrer avec une totale réussite, mais qui révèlent de nouvelles expériences sonores de la part du beatmaker de Lootpack. L'architecture des sons du californien n'étant pas remise en cause, il s'agit bien ici d'une défaillance au micro, puisque l'impression tenace qu'un autre ferait mieux sur les mêmes productions va croissante au fil des titres.
A coté de ces quelques incartades relativement bien senties hors de ses sentiers balisés, Vast semble souvent perdu dans un univers qui n'est pas le sien, finalement pris au piège d'un paysage sonore au sein duquel il peine à se greffer, jusqu'à provoquer chez l'auditeur un sentiment de rejet. Force est de constater qu'au final le titre qui laisse le meilleur souvenir est ce 'Why'sdaskyblue?', où porté par l'orchestration de Cryptic One, dans la plus pure tradition des ambiances lourdes et des samples angoissés de l'atoms fam, Vast déclame un rap imagé qui convainc enfin vraiment.
Retour à la case départ, il aura suffi d'un seul morceau pour apprécier le taux de dépendance de Vast Aire aux ambiances qui ont fait son succès et pour que ce disque à contre nature et un peu forcé nous donne une idée précise de l'incapacité du bonhomme à s'exporter loin des thématiques qui l'ont révélé. En vérité l'ensemble du LP laisse une impression de décalage. Décalage entre la personnalité présente au micro et la sauce servie par les intervenants producteurs. Alors ca fonctionne parfois l'espace de deux minutes, sur 'KRS-Lightly' avec la bonne prod de Camu Tao (oui oui vous avez bien lu…), ou encore sur 'Candid Cam' et le beat de Nasa.
Mais parfois l'écart est trop grand, et on assiste à de grands moments de solitudes. Comment ne pas citer 'Vewtiful Flow' à l'ambition mainstream (??), et sur lequel Vast se noie entre deux refrains chantés… hum… passons. Les Beatminerz, font du Beatminerz, donc ca ne donne forcément pas grand chose (ah si juste une confirmation : Aesop Rock est toujours ce rappeur capable de vous relever le niveau d'un morceau à lui tout seul). Et puis il y a le morceau qu'offre RJD2 sur lequel on aimerait entendre rapper un twista en pitchant légèrement le tout… Bref, un album qui ne va pas du tout au teint de son auteur.
On ne tiendra pas longtemps rigueur à Vast Aire d'avoir tenté le coup de la diversité pour se débarrasser du joug des ambiances SF de "The Cold Vein", on pourrait en revanche vite le lui reprocher s'il continue à croire sa palette de compétences au micro plus extensible qu'elle ne l'est.
Checkspire Juillet 2004