A bien y regarder, les valeurs sûres sont de plus en plus rares dans le paysage rapologique de ce nouveau siècle. A l'heure où seulement une poignée de vétérans parviennent à tenir la comparaison avec leurs jeunes années et où les nouveaux phénomènes semblent disparaître aussi vite qu'ils éclosent, beaucoup préfèrent sortir des mix-CD's et autres street-tapes plutôt que d'affronter frontalement la critique et le public avec un "vrai" nouvel album studio. Dans ce contexte, un artiste comme Cadence fait figure d'exception. Depuis son retour sur la scène musicale en 2003, la tête pensante n'a eu de cesse de nous abreuver de nouveaux projets. Album solo cathartique ("Cadence Poisons The Minds of The Children"), réunion quintessencielle avec son compère Pitch ("The Feeling of Now"), petite sauterie avec une belle brochette de emcees ("State Lines"), leçons de mixage mémorables (la série Built for the 90's) ou encore productions de haut vol pour les revenants de Zimbabwe Legit (entre autres) : la tête pensante de Raw Produce se construit au fil des ans une discographie comme on n'en fait plus.

Sans trop se soucier de son potentiel commercial, Cadence sait l'importance de rester fidèle à ses principes et à sa ligne de conduite. "I might never go platinum, but I don't need the validation. I know what I create separates me from the average and I'm taking what's mine, leaving the rest for all the scavengers […] If I sell a million records, It'll be because you like the music". Alors forcément, quand Seth sort un nouveau projet, on cède volontiers aux affres de la précommande ; histoire d'être parmi les premiers privilégiés à pouvoir profiter de productions inédites de l'animal protéiforme. "I'm the producer, the DJ, the MC, the hypeman, the engineer!" Histoire de pouvoir à nouveau goûter notre ration de productions multi-couches, de petits scenarii bien amenés, de samples triés sur le volet et de mélodies entêtantes avec ce Creative Commerce.

Une fois l'objet reçu et posé sur la platine, l'introduction éponyme nous remet immédiatement dans le bain: basse souple et discrète, clavier enveloppant, batterie confiante, guitare aérienne et soupçons de cuivre. Pas de doute, 'Creative Commerce' a toutes les qualités des productions classes et confortables qui ont installé Cade Money dans notre cœur. Et l'album de dérouler sur le même mode. Avec la même passion palpable pour la musique et pour son pouvoir fédérateur. Avec ces guitares jazzy baladeuses, ces violons enveloppants, ces complaintes de trompettes, ces scratches créatifs, ces cascades de piano et ces percussions joueuses. Avec ces flashes de perfection (la flûte traversière envoûtante de 'You Know Where To Find Me'). Avec ces professions de foi et ce storytelling intelligent ('Yesterday at Midnight' et son récit d'une rencontre avec une vieille connaissance pour le moins intrigante)…

En vrai perfectionniste, Cadence a en effet pensé son album de bout en bout cherchant le bon équilibre entre toutes les facettes de sa personnalité, la bonne alliance entre recettes éprouvées et nouveaux ingrédients, le bon rythme, les bons enchaînements… Comme souvent, il y parvient sans trop de mal (à quelques exceptions près, dont un rendez-vous un peu raté avec Prince Poetry). La réussite impose d'autant plus le respect que Cadence ne se contente pas de jouer en terrain conquis et continue d'enrichir sa palette de quelques (petites) nouveautés. Pas de révolution mais de bonnes idées qui tombent à pic. Comme sur ce 'Word Got Around' qui revisite le posse-cut à la sauce du téléphone arabe. Comme sur ce 'Just Me' construit intégralement à partir de bruits épars faits par Cadence dans son studio. Comme sur ce 'Louder', aussi, avec son saxophone free déchirant, sa basse fretless perçante et son mixage étonnant…

Il faut dire qu'avec le temps, Cadence gagne indéniablement en aisance. Tout particulièrement du point de vue vocal ; les rimes coulant avec beaucoup plus de fluidité et de facilité de ses lèvres qu'il y a quelques années. Ses interrogations et ses réflexions n'en ont que plus d'impact. Si l'acuité de ses observations sur l'Amérique moderne est toujours aussi saisissante, ce nouveau jet de Cadence marque surtout les esprits avec 'Malpractice'. Sur une flûte traversière d'une tristesse insondable, Cadence tente d'y comprendre l'instrumentalisation de la religion à des fins de destruction et essaie vainement d'oppose la rhétorique aux fondamentalismes de tout bord. "If I don't practice religion, does that make me less of a man? / I'm still dependable / I still see right and wrong and I surrender to values I hold / So does God find me expandable?[…] We don't have to agree but we can still coexist […] Go ahead and practice what you preach but just don't practice on me".

Avec des titres de cet acabit, autant dire que Creative Commerce est un album souvent fort, personnel, créatif et conçu pour durer, dont la portée n'est limitée en vérité que par quelques petites baisses de régime. Pour toutes ces raisons, à défaut d'être le projet le plus accompli et le plus indispensable de Cadence, ce nouveau jet s'impose comme une addition plus que bienvenue à une discographie pour le moins touffue. "Last man standing is the one that shows drive". Cadence reste dans la course. Et son album dans vos écouteurs, on l'espère.

Cobalt
Août 2006