"Kidnapper Van" aura laissé d'excellents souvenirs à ceux qui ont eu le bon goût de l'acquérir lors de sa sortie en 2000. Frais était le mot qui convenait le mieux à cet album. Simple dans la forme, divertissant, efficace, bourré de déclarations d'amour au hip-hop et de textes bien amenés (la paranoïa conspiratrice de 'Nowhere To Hide' ou la mise en abîme de 'Meanwhile'), "Kidnapper Van" avait montré que Prozack, Marc Stretch et DJ Design étaient à surveiller de près. 3 ans après, la légion étrangère nous revient avec un nouvel opus. Les temps ont changé pour le groupe. Prozack Turner est désormais signé en artiste solo chez Dreamworks où son premier album "Death, Taxes & Prozack" devrait faire beaucoup de bruit cet été (ne serait-ce que pour son casting de producteurs inimaginable : Pete Rock, Jay Dee, Organized Noise, The Alchemist, Paul Nice, Jake One ou encore DJ Design). De plus, la scène west coast underground connaît aujourd'hui un éclairage bien plus important qu'aux débuts discographiques de FL… Enfin et surtout, le trio de la Bay Area a décidé de prendre une nouvelle direction musicale.

Entièrement produit par DJ Design, "Playtight" a en effet une connotation bien plus festive et légère que son prédécesseur aussi bien dans les rimes que dans les sons. Après leur absence des projecteurs pendant quelques temps, les 2 emcees commencent bien entendu par se réintroduire et nous expliquer les activités qui les ont maintenu hors des studios si longtemps : les tournées ('Here We Go Again'). Pour le reste, c'est un goût sans modération pour les soirées arrosées et les belles plantes mais aussi pour l'egotrip qui est mis en avant. A de multiples reprises, ils nous répètent leur tendance à taper l'incruste dans les fêtes pour y laisser leur trace, faire quelques jolies connaissances et y mettre l'ambiance ('Party Crashers'), s'il le faut un micro en main ('It's Working'). Ils rendent aussi un hommage vibrant aux effets inhibiteurs de l'alcool sur 'Happy Drunk'. Ailleurs, les deux porte-paroles de FL se laissent aller à leurs rêves de grandeur ('Champagne Beamin') ou à leurs fantasmes les plus humides ('Nasty Lady'). Comme l'annonce Prozack : "Ain't nothing too deep, rhyming over cool beats". On est donc un peu déroutés à la première écoute. On ne s'attendait pas vraiment à ce genre de textes ou d'ambiances… Mais une fois le principe accepté, il faut dire que FL fait cela avec style et avec la petite touche d'humour et de second degré qui fait la différence. On se laisse facilement bercer sous le soleil californien un sourire aux lèvres, comme à l'écoute des cousins germains de People Under The Stairs. Et puis, les personnalités bigarrées des deux joyeux lurons restent assez complémentaires pour nous tenir en éveil. Prozack continue de jouer le provocateur fort en punchlines et en jeux de mots bien trouvés tandis que Marc Stretch fait contrepoids avec son esprit plus cartésien. De plus, quelques textes nous rappellent les sommets de "Kidnapper Van". Les violons perçants du sombre et sublime 'How Do It Feel' servent de support au récit plein d'espoir des moments difficiles qu'on peut rencontrer dans la vie. 'Voodoo Star' est ni plus ni moins qu'un autoportrait plein de dérision des 2 compères en malchanceux chroniques… Au final, on nage plus dans le superficiel que dans l'introspection mais cela ne nuit pas au plaisir d'écoute.

Pour coller à la coloration globalement plus ensoleillée de l'album, DJ Design a drastiquement réduit ses interventions aux platines au profit de productions plus policées, funky et swinguantes qu'à l'habitude. On pourra le regretter mais dès le début, la guitare acoustique, la basse chaude et l'orgue discret de 'Here We Go Again' lancent la machine de belle manière. Dans cette veine "feelgood music", il faut citer quelques réussites indiscutables : le hitesque 'Feel The Music' et sa basse irrésistible, les bonnes vibrations de 'Playtight', le boucle de guitare hachée de 'Bring It' qui nous ramène à l'époque où Marley Marl régnait sur les ondes, l'instru changeant de 'Voodoo Star' ou encore 'Party Crashers'. Ce dernier est muni d'une production chaloupée exemplaire où DJ Design agence les samples avec malice en saupoudrant le tout d'une ligne de saxophone désossée et rejouée du meilleur acabit. Magnifique. Pourtant, la nouvelle orientation musicale de FL conduit aussi indubitablement à des ratés. Le funk lourd de la majorité des titres ne fait pas vraiment dans la dentelle et privilégie sans détour l'efficacité au détriment de la richesse musicale. Parfois cela passe sans heurts mais souvent ça tourne au vinaigre. 'Happy Drunk' est ainsi handicapé par un instru répétitif au possible tandis que 'Nasty Lady' et 'Roommate Joint' sont coulés par des synthés indigestes. On regrette alors vraiment les arrangements du premier LP et on regrettera aussi la surabondance de refrains bâclés, qu'ils soient chantés ou rappés ('Champagne Beamin')… Tout n'est donc pas idéal.

En toute objectivité, Foreign Legion a réussi le pari de nous faire passer un bon moment et de nous faire swinguer avec un album de qualité… Mais on ne peut s'empêcher d'être quelque peu déçu à l'écoute de ce "Playtight" qui promettait tant et qui ne s'avère être qu'un bon divertissement. "We just wanna rock you" : ils le font bien et sans mal mais dommage que DJ Design, Marc Stretch et Prozack n'aient pas eu un peu plus d'ambition. "Playtight" sera une bande-son idéale pour vos barbecues maintenant que l'été arrive à grands pas mais on doute qu'il restera dans les mémoires comme "Kidnapper Van" avait su le faire…

Cobalt
Mai 2003