Depuis "Breaking Atoms" et la séparation de Main Source, voilà maintenant une dizaine d'années que tous les fans du Mad Scientist attendent la sortie de son premier album solo. Dans un monde parfait, "The Lp" aurait du être cet opus salvateur consacrant l'un des meilleurs producteurs-rappers du hip-hop. Les labels en ont voulu autrement et "The Lp" n'a jamais vu le jour hormis sous forme de bootlegs... Dépités, on ne pouvait alors que se rabattre sur les chefs d'oeuvre (souvent non-crédités) offerts à Eric B & Rakim, Kool G Rap, Akinyele, Nas ou Artifacts et se rappeler son impact sur le rap new-yorkais. A part quelques prods pour Neek The Exotic, Extra P avait pris du recul depuis 1996 et on le croyait parti vers une retraite amère. Mais voilà que, cette année, alors qu'on n'osait plus l'attendre, Large Professor a lancé une nouvelle offensive pour reprendre sa place parmi les meilleurs. A l'aide de ses superbes collaborations avec Nas et Non-Phixion, il a réussi à séduire Matador Records qui lui offre enfin la chance de sortir son album.
Pour son grand retour sous les feux de la scène, Large Pro a décidé de rester fidèle à sa formule : "hardcore beats and rhymes". Néanmoins, sur 'Intro', il prend le temps de se (ré)introduire à un nouveau public qui ne connaît malheureusement pas son glorieux passé... Un public gavé de mix-radios où comme il le dit
"All you hearin' is fake Tupacs". Ce souci constant de rappeler ses faits d'armes se retrouve notamment sur 'Born To Ball'. Sinon, ses lyrics restent comme toujours simples et spontanées, nées d'un vrai amour du verbe, du hip-hop et de l'egotrip. Le flow direct n'est pas très technique mais garde le charme simple qui a toujours fait son effet depuis "Breaking Atoms"... même si sur les bpm plus lents de cet album les imperfections sont plus frappantes qu'à l'habitude. Mais parmi tout le vide lyrical très centré sur Large Pro lui-même qui remplit "First Class", on se demande où sont passés les récits à la 'Looking At The Front Door'? Large Pro aurait-il délibérément simplifié ses textes pour obtenir le succès commercial qu'il n'a de cesse d'évoquer dans les lyrics de ce nouvel album? Mais bon, passons sur ce "détail"... Large Pro fait son boulot au micro en dilettante car sa grande force a toujours été sa production. Et qu'il sait qu'il peut compter sur des emcees de haut vol pour lui prêter main forte.
C'est ainsi qu'on retrouve Nas et Akinyele qui n'ont pas oublié malgré les années que c'est le posse cut 'Live At The Barbecue' de Main Source qui leur a mis le pied à l'étrier. Nas fait du grand Nas sur 'Stay Chisel' et Ak démontre encore sur un interlude qu'il est essentiel lorsqu'il range au placard les pantalonnades porno-R&B à la "Anakonda". Busta Rhymes pose lui de façon plus anecdotique sur un 'On' qui fait un peu trop "copier-coller" de son 'Put Your Hands Where My Eyes Can See'. Mais le featuring le plus marquant, c'est bien celui d'un Q-Tip retrouvé qui sur les chants grégoriens mélancoliques de 'In The Sun' (produit par Xplicit) s'allie à Large Professor pour une perle lyricale toute en retenue. Un track qui marque aussi car c'est presque le seul titre à raconter vraiment quelque chose...
Si 3 morceaux ont été confiés à des intervenants extérieurs, Extra P assure la production du reste. L'homme qui a façonné avec Premier et Pete Rock le son des années 90 a en effet toujours su manier les samples comme un Dieu. Sur 'Radioactive', ''Bout That Time', 'Born To Ball' ou 'Ultimate', il est donc divin, piochant et superposant les samples avec une maîtrise sans égale comme à la belle époque. Malheureusement, comme beaucoup de ses contemporains, Large Pro a cru bon de se parer d'un nouveau style de production plus synthétique pour coller aux gouts de la nouvelle génération... Grave erreur. Car ces tentatives souvent sponsorisées par Casio ne tiennent pas la comparaison (pour être gentil) avec les exploits qu'elles côtoient. Elles se montrent bien plates, trop linéaires et mal mixées ('Hip-Hop', 'The Man', 'Blaze Rhymes II'). On avancera même le qualificatif de "pourries" pour les productions saccadées très Swizz Beatz (!!?) de 'Brand New Sound' et 'Large Pro'... Mais le plus grave pour Large Pro, c'est sûrement que beaucoup trouveront que le meilleur instru de "First Class" est le travail de J-Love sur 'Kool'. Le maître surclassé par un jeunot sur son propre album! Un signe parmi tant d'autres...
Car force est de constater que la satisfaction d'avoir enfin un album de Large Professor juste après sa conception efface difficilement les désillusions d'un "First Class" où Extra P peine à maintenir son statut légendaire et se contente de se reposer sur ses lauriers sans nous impressionner... Avec tout le temps qu'il a eu pour préparer le grand jour, on s'attendait clairement à mieux. C'est clair, Large Professor a encore du jus et du talent à revendre mais a-t-il encore réellement l'envie de nous offrir un classique?
Cobalt Octobre 2002