Avec la série des Language Arts, Buck 65 s'est imposé comme un des artistes les plus novateurs et intéressants du hip-hop actuel. De Halifax à Londres en passant par Paris, ce canadien nomade n'aura cessé de surprendre et de séduire d'album en album un public de plus en plus hétéroclite. Pourtant, son dernier album "Talkin Honky Blues" aura désarçonné certains de ses fans les plus fidèles… jusque dans nos rangs. Il nous semblait donc essentiel de faire le point avec Buck sur sa carrière, ses envies et ses parti-pris. Après une prestation de haute volée au Transbordeur qui aura comblé un public lyonnais venu en nombre, Hip-Hop Core s'est donc lancé dans une discussion à batons rompus avec Buck 65. Rencontre avec un artiste réfléchi et honnête dont la passion pour le hip-hop l'amène parfois à en dépasser les limites… English version
Hip-Hop Core: Le show vient de se terminer. Superbe prestation. Quelles sont tes impressions sur le concert de ce soir?
Buck 65: Oh… Globalement c'était bien. Mais je me suis complètement paumé en venant dans cette ville aujourd'hui et, quand j'ai enfin réussi à arriver ici, il y a eu un million de problèmes… Alors, je n'ai pas arrêté de me dépêcher tout l'après-midi pour me rendre compte lors des balances que la table de mixage qu'on m'avait fourni n'était pas adaptée à mon show. C'était un truc pour les boîtes, je ne pouvais pas l'utiliser. J'ai donc dû courir en ville à nouveau pour aller acheter une table qui me convienne. Après, j'ai dû revenir et faire des interviews. Finalement, à la seconde où j'en ai eu terminé avec la dernière interview, je devais monter sur scène. Mais je n'étais pas prêt. En plus, j'avais oublié des trucs. J'avais laissé tous mes CD's dans la voiture donc je ne pouvais faire aucune des chansons qui sont sur ces CD's… C'était vraiment la totale! En plus, je suis malade et il ne me reste plus beaucoup de voix. MAIS, en dehors de ces petits problèmes, le concert était bon. Le public était super. Il y avait beaucoup de gens ici ce soir donc je ne peux pas trop me plaindre. Mais j'aurais probablement pu faire un meilleur concert si je n'avais pas eu à tant me précipiter.
HHC: Sur 'Driftwood', à l'époque de "Vertex", tu disais: "My beats aren't familiar so you can't put your fingers on 'em". Est-ce que c'est toujours un de tes buts?
B65: Ouais. Je veux dire… Je crois que, si quelqu'un pouvait me citer un des breaks que j'ai utilisé sur mon dernier album, je serai très surpris. Il y a par exemple des sons tirés de disques pour enfants égyptiens sur cet album. Sur mon nouvel album, il y a aussi beaucoup de breaks français. Mais je n'ai jamais rencontré personne qui ait pu deviner d'où ils proviennent. Je m'efforce, parce que c'est comme une religion pour moi, de toujours aller fouiller plus loin et plus loin encore dans les bacs de disques et de toujours utiliser des breaks que les gens ne connaissent pas. C'est une de mes règles d'essayer, du mieux que je peux, de ne jamais utiliser des breaks de batteries que quelqu'un d'autre a déjà utilisé. C'est un défi difficile à relever et il n'y a à vrai dire plus beaucoup de personnes qui se préoccupent de ce genre de choses… mais ça compte beaucoup pour moi.
HHC: Sur "Talkin' Honky Blues", la série des 'Riverbed' est entièrement consacrée aux différentes choses qui peuvent se passer aux abords d'une rivière. Est-ce que tu vis toujours sur une péniche maintenant que tu n'habites plus en France?
B65: Non… mais, de manière métaphorique, oui. Parce que, si tu envisages l'autoroute comme une métaphore d'une rivière (ce qu'elle est, par de nombreux aspects), tu peux dire que je vis toujours sur une péniche. Parce que je suis tout le temps sur la route. Je ne vis pas vraiment à un endroit précis en ce moment parce que je suis tout le temps en tournée. Donc, si une voiture est comme une péniche alors la réponse à ta question est oui… Mais, dans les faits, non.
HHC: Qu'est-ce qui t'a attiré dans ce mode de vie au départ?
B65: Et bien, je pense que c'est comme cette idée que je disais dans une chanson. Le fait que, si tu as des problèmes, tu peux rester à la maison et partir en même temps. Une péniche est une maison qui bouge, j'aime vraiment cette idée. Mon père a eu un bateau pendant longtemps quand j'étais gosse. Tu pouvais vivre dessus si tu voulais. Il y avait quasiment tout ce dont tu as besoin pour subvenir à tes propres besoins. Et c'est vrai ce que je dis dans une chanson, j'ai peur de l'eau. Je ne sais pas nager et je n'aime pas beaucoup l'eau. Mais je reste attirée par elle et j'aime vivre à proximité d'elle. C'est une notion très romantique.
HHC: Je crois savoir que tu trouves beaucoup d'inspiration dans la lecture et dans la mythologie. Est-ce que tu peux nous donner l'exemple d'un titre récent qui t'ait été inspiré par un livre ou un mythe?
B65: Laisse-moi réfléchir un peu… Il y a une chanson… Tu sais, sur mon nouvel album, il y a un composant "enhanced" qui te permet, lorsque tu mets le CD dans le lecteur de ton ordinateur de télécharger gratuitement une nouvelle chanson en bonus tous les mois. La plus récente, qui est en ligne en ce moment je crois (mais je n'en suis pas sûr), est une chanson appelée 'The Abandoned Cars of Inverness County' et ça parle spécifiquement de quelque chose qui se passe là d'où je viens… Mais en fait, ça a plus été inspiré par la mythologie. Beaucoup de mes chansons sont juste des leçons que tu apprends lorsque tu voyages, lorsque tu aimes quelqu'un, etc. Je ne me rappelle plus exactement de quel livre celle-là sort… Mais il y a beaucoup de thèmes et d'idées récurrents dans la mythologie. Ce que je trouve vraiment intéressant, c'est que certains thèmes classiques que tu trouves dans la mythologie grecque ou romaine sont aussi présents dans la vieille musique folk américaine. Je ne sais pas si c'est parce que c'est une tradition qui a été transmise de génération en génération ou si c'est juste une coïncidence mais j'ai écouté beaucoup de vieille musique folk américaine ces derniers temps. J'ai écouté les idées et les mythes qui en sont une partie intégrante et j'ai beaucoup utilisé ça pour une grande partie des titres que j'ai écrit pour mon prochain album. Si tu es très familier du vieux folk américain, tu entends des personnages et des noms qui reviennent tout le temps. Comme ce mec, John Henry, qui est censé avoir été tué par un marteau. C'est ce genre de mythe propre à la culture folk américaine qui m'a beaucoup inspiré ces derniers temps. Pendant un moment, je me suis focalisé sur la mythologie ancienne mais en ce moment mon intérêt se porte plus sur des mythes contemporains (même s'il remonte quand même à une centaine d'années au moins).
HHC: Sur ton dernier album, tu as travaillé avec un vrai groupe et introduit de nombreux instruments live dans ta mixture. Qu'est-ce qui t'a donné envie de faire ça?
B65: Et bien, disons que mes goûts musicaux ont beaucoup changé depuis quelques temps. J'ai réalisé que, si je voulais vraiment grandir en tant que musicien, la prochaine étape par laquelle je devais passer était d'apprendre à vraiment écrire des chansons, à faire du vrai "song writing". J'ai toujours écrit des textes mais j'ai compris que, pour écrire de la musique, j'avais besoin d'utiliser une guitare ou un piano. J'utilise toujours le sampler pour faire toute ma musique mais j'essaie donc d'incorporer des instruments live et d'autres choses de ce genre… Ca a toujours été mon but d'essayer de faire une musique qui puisse durer aussi longtemps que possible… 10 ans, 20 ans, 50 ans… De faire une chanson qui puisse être à l'épreuve du temps de cette façon. Du coup, j'ai étudié d'autres genres musicaux qui ont duré pendant longtemps. Tout particulièrement, pas mal de blues que tu peux encore écouter aujourd'hui. C'est très facile d'y trouver des choses qui nous parlent et ça reste toujours très intéressant… Mais, c'est pareil pour les Beatles ou les Beach Boys… Tu sais, ces classiques qui sont considérés comme les plus grands albums de tous les temps. J'essaie d'apprendre ce que les artistes ont fait, les secrets de studio et les astuces de song writing qui ont permis à ces disques de durer si longtemps. C'est vraiment un défi pour moi de faire ça, d'essayer de faire une musique qui durera plus longtemps, quelque chose qui ait une vraie valeur musicale et artistique. J'essaie d'en apprendre toujours plus sur la musique. Je me suis dit que c'était la prochaine étape dans mon développement. J'ai toujours su que je devrais arriver là un jour. Ca a été difficile et je ne pense pas que je le fasse encore bien mais je m'entraîne…
HHC: Mais est-ce que tu n'as pas l'impression qu'en te lançant dans ce processus, cette métamorphose, tu risques de perdre certains de tes anciens fans?
B65: Tu sais… Si ça rebute certaines personnes lorsque je deviens plus intelligent, alors ce n'est pas un problème dont je dois trop me soucier. Je peux juste espérer que les gens vont apprendre avec moi et qu'ensuite, si j'y vais graduellement, ils comprendront où je vais. Mais je ne peux pas m'empêcher d'apprendre des choses; parce que je sais que c'est bien d'apprendre plus de choses. Ca me dérange vraiment qu'il y ait certains fans de hip-hop qui refusent catégoriquement d'écouter d'autres genres de musique. A mon sens, c'est similaire au racisme. C'est un peu la même étroitesse d'esprit… qui veut qu'il y ait certaines choses qui existent dans le monde avec lesquelles tu ne veux rien à voir à faire. C'est comme ces gens qui n'aiment pas les Noirs et qui disent: "Je m'en fous, je ne veux même pas rencontrer un Noir. Je me moque qu'il soit gentil, intelligent ou talentueux. Je ne veux pas rencontrer un Noir." A côté, il y a ceux qui disent: "Je refuse catégoriquement d'écouter les Beatles ou Miles Davis ou du reggae ou quoi que ce soit"… A mes yeux, c'est stupide de se priver de musique. Une des choses qui me chagrinent le plus dans le hip-hop, c'est que beaucoup de sons sont faits par des personnes qui ne connaissent rien du tout à la musique. Si tu es dans le monde de la musique, c'est de la folie de se priver de la théorie musicale ou de la musique classique. C'est de la folie de s'appeler un musicien si tu ne connais rien à la musique. Si certaines personnes veulent m'empêcher d'apprendre des choses sur la musique alors, ça peut paraître un peu dur à dire, mais je m'en fous de les perdre en route. Parce que l'éducation est une bonne chose! Ce n'est pas mal. Donc, si j'apprends plus de trucs sur la musique, je ne peux m'empêcher de penser que c'est une bonne chose. Il y a certains aspects de ma façon de faire de la musique qui ne changeront jamais. Je continuerai toujours à creuser aussi profondément que possible dans les bacs pour trouver des breaks. J'utiliserai toujours les platines comme un élément de ma production. Je garderai toujours en vie les traditions old school du hip-hop. Ce sont des points sur lesquels je ne ferai jamais aucun compromis. Même si j'essaie de faire avancer ma musique plus loin, je pense que je peux le faire tout en restant fidèle à mes convictions, qui se rapportent au hip-hop. Malheureusement, beaucoup de gens ne peuvent vraisemblablement pas le comprendre…
Mon intérêt pour le blues provient du hip-hop. La connaissance du hip-hop de la plupart des gens remonte jusqu'à une certaine date et puis s'arrête. Certaines personnes ne connaissent rien du hip-hop des années 80. D'autres ne connaissent rien du hip-hop des années 70. La plupart ne savent pas ce qui se passait avant ça et, pourtant, il y a une histoire. Il y avait des gens qui rappaient il y a cent ans sur des disques de blues. Si tu suis la trace, tu réalises que c'est la même tradition qui a donné naissance à la musique hip-hop. Donc, lorsque j'incorpore des traditions du blues dans ma musique, à mon sens, je suis juste en train de rappeler des traditions du hip-hop encore plus ancestrales. La plupart des gens ne peuvent pas comprendre ça, surtout les jeunes. Je continue à faire tout ce que je fais pour des raisons que je pense être très en accord avec l'esprit du hip-hop. Si certaines personnes ne peuvent pas le comprendre, elles peuvent m'en parler… Mais je suis juste en train d'aller de plus en plus loin dans mon amour pour le hip-hop et ses origines. Je sais que, malheureusement, je perds quelques fans en cours de route. C'est la même chose lorsque tu es intéressé par la philosophie. Parfois, tu arrives à un point (si tu lis Nietzche ou quelque chose du style) où tu ne sais plus trop de quoi ça parle parce que ça devient très profond. Je vais de plus en plus profond et je ne veux pas m'arrêter parce que j'aime vraiment beaucoup ce que je fais… Alors, si certaines personnes ne peuvent pas suivre, peut-être qu'elles rattraperont leur retard plus tard. Parfois, je me demande d'ailleurs si ce que je fais ne me dépasse pas un peu. Mais ça me rend triste quand des gens ne comprennent pas ce que je fais et qu'ils ont un problème avec mon évolution. J'essaie de toujours aller plus loin en tant que DJ et en tant qu'emcee. J'essaie de lire toujours plus de livres, d'écouter plus de musique et de faire une musique de plus en plus intelligente… Mais, j'ai compris avec le temps que, non seulement dans la pop ou le hip-hop "classique" mais aussi dans le hip-hop alternatif ou underground et avec des gens qui devraient être un peu plus intelligents que la masse, les gens veulent que leur musique soit bête et méchante. C'est vraiment une grosse déception pour moi. Certains disent: "Arrête un peu de devenir plus intelligent. Reste stupide pour que je puisse comprendre". Je ne peux pas! Je suis désolé mais je ne peux pas faire ça. Je sais qu'il y a plein de gens qui aimaient mes précédents albums et qui détestent le dernier… Dommage! Tout ce que je peux leur dire, c'est que cet album contient les meilleurs rimes que j'ai jamais écrites, le meilleur DJing que j'ai jamais fait, les breaks les plus obscurs que j'ai jamais utilisé et les meilleures chansons que j'ai jamais faites. Si les gens ne le comprennent pas, je ne sais pas quoi dire… Je ne peux pas m'arrêter. Je ne peux pas.
HHC: A propos de DJing, les platines sont un élément très important dans tes shows et elles ont toujours joué un rôle prépondérant dans le son de tes albums. Pourquoi semble-t-elle moins présente sur "Talkin' Honky Blues"?
B65: Je ne suis pas sûr d'être entièrement d'accord avec toi sur ce dernier point. C'est juste que j'ai décidé d'aborder les choses de manière différente. Dans chacun de mes albums, je vois la première chanson comme une introduction où il y a toujours une grosse partie avec une composition scratchée. Sur 'Leftfielder', entre les deux couplets, tu as ça. J'ai fait un truc différent en scratchant uniquement des passages de mes propres albums et, juste parce que j'avais envie de faire quelque chose de différent et de surprendre (parce que dès que les gens commencent à croire qu'ils savent à quoi s'attendre, je veux faire quelque chose de différent), avant même que le beat parte, dès la première note, tu entends un scratch… et ensuite je commence instantanément à rapper jusqu'à ce que la partie scratchée déboule. Après, si tu prends 'Wicked & Weird', la seconde chanson, il y a un bridge. Je n'avais jamais travaillé avec des ponts avant; je n'en étais pas arrivé là. Et bien, là, j'en ai fait un et il a entièrement été fait avec des platines. Je scratche la rythmique, je scratche les guitares, je scratche ma propre voix, je scratche tout. Mais c'est fait dans la bonne tonalité. C'est en accord avec le reste de la musique. Du coup, quand les choses sont dans la même tonalité et que j'essaie de rendre mes scratches plus musicaux parfois il se peut que tu ne te rendes même pas compte que ça a été fait avec des platines. Ensuite, par exemple, il y a une portion de 'Sore' (qui est à mon sens le meilleur truc que j'ai réussi à faire jusqu'ici avec des platines) où la chanson est soudainement réduite à quasiment rien puis reconstruite entièrement uniquement avec des platines. J'ai pris chaque sample du disque et je l'ai scratché. Le moindre sample! Donc, pendant toute la fin de ce titre, il n'y a aucun instrument; tout est fait avec des platines. Je n'avais jamais fait ça auparavant. Des trucs comme ça arrivent tout au long de l'album. Sur 'Killed By A Horse', j'ai pris un passage de claviers sur un disque et je l'ai joué en faisant en sorte qu'il soit dans la bonne tonalité. Je ne sais même pas si quand les gens l'entendent, ils se rendent compte que c'est du scratch… mais c'en est. Je crois que j'ai utilisé mes platines sur chacune des chansons de l'album. C'est une de mes règles de devoir toujours utiliser une platine sur chaque chanson que je fais. J'ai un manifeste que j'utilise lorsque je fais de la musique. J'ai essayé de me mettre à l'épreuve sur chacun des aspects de ce nouvel album. Sur "Talkin' Honky Blues", je voulais utiliser les platines avec le meilleur goût possible, de la manière la plus musicale qu'il soit. Je voulais aussi faire en sorte que tous les scratches soient dans la bonne tonalité.
HHC: Sur le dernier album, ta voix est beaucoup plus profonde, grave et rugueuse que sur les précédents. Comment ça se fait?
B65: À l'origine, j'ai réalisé "Square" en 2000, il me semble. Et j'ai gardé l'album sous le bras pendant une très longue période avant qu'il sorte. Entre 2000 et 2003 (l'année de sortie de "Talkin Honky Blues"), j'ai constamment été en tournée. J'étais sur scène tous les soirs, comme ce soir. Tu peux entendre ma voix maintenant que je te parle et tu vois que je ne la force pas à être rugueuse. Ma voix est niquée parce que j'ai passé toute la soirée à me donner à fond sur scène. Après avoir fait ça pendant 3 ans, ma voix est juste abîmée. Mais, pour être honnête avec toi, j'aime bien ça. Dans le passé, pour chaque disque que je faisais, quand je posais ma voix sur cassette, je réduisais la tonalité et après, lorsque je repassais ma voix, je l'augmentais, parce que je ne pouvais pas saquer ma propre voix. Je détestais la façon dont elle sonnait donc je faisais toujours quelque chose pour la modifier. Désormais que mes cordes vocales sont endommagées, je ne change plus ma voix. C'est étrange mais je préfère le son de ma voix comme ça. J'attends avec impatience le jour où, même avec du repos, ma voix sonnera tout le temps comme ça. Je la trouve plus intéressante ou sexy ou je ne sais quoi encore. J'aime ça.
HHC: Parlons un peu de l'artwork magnifique qui a souvent orné les pochettes de tes albums et qui est devenu une sorte de symbole de ton travail. James Patterson a dessiné toutes les couvertures de tes albums (hormis le dernier). Qu'est-ce que tu aimais tant dans ses peintures? Travailliez-vous ensemble sur les concepts?
B65: C'est très simple. J'ai toujours travaillé avec des amis et, si j'ai des amis qui ont du talent mais qui sont fauchés, je veux toujours leur donner un peu de travail. James était l'artiste le plus talentueux que je connaissais personnellement. C'était un ami qui selon moi méritait d'être mondialement connu et d'être reconnu pour son art, parce que je pense qu'il est incroyablement talentueux. Comme nous étions très proches, il me montrait beaucoup des trucs qu'il faisait et j'ai trouvé ça très intéressant et différent de tout ce que j'avais pu voir avant. Je pense que ce qui m'a particulièrement plu c'est que son art à un certain côté enfantin. Je suis moi aussi une personne très attachée à mon enfance donc j'ai tout de suite pu me retrouver dans son travail et je pense que son art va bien avec ma musique, parce que je parle beaucoup de mon enfance. Je pense que cet art, qui ressemble à ce qu'aurait pu faire un enfant, un enfant intelligent, colle bien à la musique. Je suis très content de pouvoir dire que, depuis l'époque où j'ai commencé à bosser avec James, il est maintenant devenu assez célèbre et qu'il a travaillé avec Björk et de grosses compagnies. Il a fait beaucoup de choses. Je suis désolé de devoir le dire mais, quand je lui ai demandé de faire un nouveau truc pour moi, il m'a dit que, maintenant que j'étais sur un gros label et qu'il pouvait être plus sélectif vis-à-vis de son travail, il ne pouvait plus le faire gratuitement pour moi… et je n'avais plus les moyens de me le payer. Donc, une fois de plus, j'ai dû trouver un ami dont je pouvais abuser, quelqu'un qui était d'accord pour travailler gratuitement. Dans le cas présent, pour "Talkin Honky Blues", c'est donc ma petite amie (ndlr: Jenn Mc Intyre), qui est aussi une artiste et qui étudiait la conception graphique à l'école. Bien entendu, je veux soutenir ma copine et donner un peu d'exposition à son travail, que je trouve vraiment bon. C'est très simple en fait. C'est ma petite amie et elle fait ce boulot donc je lui ai donné le job. Comme d'habitude, c'est juste que j'aime travailler avec des gens dont je suis proche.
HHC: Est-ce que vous avez travaillé ensemble sur les concepts des pochettes?
B65: Oui, toujours. Je suis toujours impliqué dans tous les aspects visuels en rapport avec mes projets. Les gens me demandent toujours: "Qu'est ce que tu recherches?" et on parle de musique. Un des thèmes de "Talkin Honky Blues" est l'idée d'un art fait à partir d'ordures (ce que je mentionne d'ailleurs sur '50 Gallon Drum'). Sur l'artwork, il y a donc beaucoup de déchets et d'objets qu'on a trouvé dehors et qui étaient sales. Sur la pochette, il y a une pièce de vélo rouillée. Je voulais que ça ait l'air vieux, patiné et défoncé. Cassé mais beau. Quelque chose de vieux qui ait toujours un air vaguement neuf. Une grande partie de l'artwork a aussi été inspiré par Paris, comme l'a été l'album. Si tu regardes dans les notes, tu peux voir un dessin des toits parisiens. Il y a un dessin d'une des tours de l'église Saint-Sulpice. Donc, en gros, il y a beaucoup de choses de Paris et de vieilles choses, ce qui est exactement ce qui a inspiré l'album. Tant que l'artwork est en accord avec l'album, c'est le plus important.
HHC: Sur "Vertex", tu disais: "The older I get, the more life starts to make sense and the less I care" ("Plus je vieillis, plus la vie commence à avoir un sens et plus ça m'est égal"). Quelques années plus tard, vois-tu toujours les choses de la même façon?
B65: Oui et non. Il y a une partie de moi qui croit encore totalement à ça. Des trucs qui me dérangeaient ne me gênent plus du tout. Par exemple, ça ne me viendrait plus à l'idée d'écrire une chanson comme 'The Centaur' maintenant, parce ce titre était juste quelque chose que j'avais écrit parce que j'étais contrarié que mon public me comprenne mal. Désormais, si les gens comprennent mal ce que je dis… tu sais… Comme je l'ai aussi dit sur "Vertex", j'ai pour règle de ne jamais sous-estimer l'intelligence de mon public. Mais ce que j'ai appris au fil du temps, c'est que parfois le public n'est pas toujours très intelligent et qu'il ne va pas toujours comprendre tout ce que tu dis et je ne peux pas trop me prendre la tête pour ça. Parce que si j'étais tout le temps à m'inquiéter pour ce genre de choses, je deviendrais fou. Il y a tellement de choses qui m'énervaient quand j'étais jeune et que je comprends mieux maintenant… et je comprends pourquoi elles m'énervaient. Mais maintenant que je suis plus vieux et un peu plus posé, je ne laisse plus ces choses me tracasser. Quelque chose que j'ai appris en vieillissant, c'est que je n'ai pas de réponses. Avant, je cherchais toujours des réponses et je croyais comprendre les choses. Ce que je dirai maintenant, c'est que "plus je vieillis, plus je réalise que je ne sais rien du tout". Chaque fois que je pense avoir la solution d'un problème, je découvre quelque chose qui contredit complètement ce que je pensais avoir toujours su. Une des leçons les plus importantes et précieuses que j'ai apprises en devenant plus vieux, c'est que c'est bon de garder un esprit d'enfant (de te dire que tu ne sais rien). Comme ça, tu es prêt pour tout. Parce que dès que tu penses savoir quelque chose de manière définitive, tu te feras botter le cul. Ca ne rate jamais. Donc j'ai décidé de laisser couler. Ca vient aussi de certains livres que j'ai lu. J'ai lu ce livre d'un moine tibétain "Zen Mind, Beginner's Mind". Je me rappelle que le nom de famille de l'auteur est Suzuki et il parle de l'importance de toujours garder un esprit de débutant. Ca te permet de traverser la vie plus facilement parce que comme ils disent: "l'ignorance est une bénédiction". Parce que plus tu sais de choses, plus la vie devient un enfer. Ca peut sonner comme une mauvaise chose tournée comme ça mais, dans un sens, c'est vrai. Quand tu es gosse, tu n'as pas de stress dans la vie et rien ne te tracasse parce que tu n'attends rien de la vie. Le stress provient des déceptions, des aspirations déçues. Quand tu te libères de tout ça, ta vie devient beaucoup moins stressante. C'est comme une nouvelle philosophie: tu ne prends la tête pour rien. Tu laisses couler les choses et tu essaies de garder ton âme d'enfant autant que faire se peut.
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