Madlib
Beat Konducta Volume 1: Movie Scenes

Il y a des artistes que l'on suit depuis leurs débuts avec passion. Madlib est de ceux là. Mais dans la multitude de projets qu'il mène à bien chaque année, tous ne retiennent pas la même attention; certains même, apparaissent comme des digestifs entre deux plats copieux. Ce "Movie Scenes" est de ceux là. C'est pourtant parfois dans ces sorties moins éclairées que quelques pépites voient le jour et par-là même aussi que Madlib solidifie un peu plus l'édifice d'une carrière déjà exemplaire.

Encore une collection de pistes instrumentales, me direz-vous? Ouais, bof, j'ai assez donné là dedans. Des fonds de tiroir quoi, des instrus qui ne devraient pas sortir... Mais je sais que malgré tous ces à priori, un mini album du producteur le plus enfumé d'Oxnard est toujours une friandise alléchante. Et tous ceux qui ont jeté une oreille aux versions instrumentales d'albums comme "Madvillainy "ou "A Lil Light" savent que le travail musical réalisé par Madlib était d'une richesse plus que suffisante pour apprécier ces disques déshabillés de leurs rimes. Alors pourquoi en irait-il autrement avec ce "Movie Scenes"?

Avec cette collection de seize compositions, Madlib nous propose sa version de l'illustration musicale, de la "musique de librairie". Et oui, ce n'est pas pour rien que le titre de ce projet : "Movie Scenes" renvoie directement aux innombrables compositions obscures de Roger Roger et son orchestre pour la collection des Chappell Mood Music, ou à celles des 33 tours April Orchestra et de leurs fameuses thématiques ou encore aux essais électroniques de chez Bruton Music ou Télé Music par exemple. Bref, "Movie Scenes" se veut une ode amusante à ce courant qui fleurissait allègrement dans les années 70, à ces musiques libres de droit et composées pour l'illustration de documentaires ou autres programmes télévisuels et radiophoniques; le tout avec des titres de morceaux aussi pointus qu'évocateurs : 'Enterrement Sous La Neige', 'Variation Aquatique', 'Pulsation De La Mort' ou encore 'Solitude' et 'Obsession Dramatique'… Amusant hein?! Après, je vous laisse le soin d'imaginer ce que tout ça peut donner… Vous le savez sûrement, ce courant surprenant fait depuis des années le bonheur des crate diggers endurcis dont Mister Jackson fait bien sur partie. Enfin, après cette petite digression, il est temps de s'attaquer à sa version de la chose.

Tout au long de l'album, on retrouve tout ce qui fait le charme contagieux des productions de Madlib, c'est-à-dire une nouvelle traversée au sein des contrées musicales familières que sont la soul, le jazz, le rock psychédélique ou encore la musique électronique du début des années 80. Mais c'est aussi et toujours bien plus, avec une technique d'assemblage millimétrée ou encore ces très courtes intrusions de sons aussi incongrus que stupéfiants qui n'appartiennent qu'au langage musical bigarré du producteur. Madlib nous en fait voir de toutes les couleurs, même si, nous le verrons, la palette déployée ici en révèlera d'autres biens plus ternes.

Tout commence par la voix de Busta Rhymes… et un sample de soul nostalgique et sensuel auquel le metteur en son ajoute toute la science du découpage qui le caractérise. Le résultat? Le développement d'un lyrisme entrainant et la création d'un rythme dans le rythme uniquement construit avec les accords de la voix d'une chanteuse, un break dans le break beat quoi. Toujours au travers d'incursions soul on trouvera dans 'Stax' de quoi satisfaire notre besoin de rugosité. Petite boucle serrée comme un café noir, elle en a la même saveur que seuls quelques relents vocaux viennent nuancer et adoucir. Pour ce qui est de l'appel à l'électronique, il faut se pencher sur 'Sir Bang' et 'Offbeat' qui ne sont pas sans nous rappeler cette folie tourbillonnante qui définit souvent le travail de Madlib lorsqu'il choisit de s'orienter vers les synthés, basses grasses et autres salves électroniques, ma foi assez jouissives. Ne pas compter en tous cas sur 'Electric Company' pour retrouver cet élan, un morceau qu'il vaut mieux considérer comme l'interlude musical du disque. Pour le dépaysement, Madlib nous a concocté trois pistes aux parfums exotiques. La première, c'est 'Left On Silverlake' qui convoque guitare et cithare dans un ballet finalement assez niais lorsque le refrain chanté s'impose à nos oreilles. Pour la suite du périple, quittons les sentiers battus et rejoignons la 'Gold Jungle', habitée d'un rythme aussi entrainant que sauvage pour finalement atteindre les 'Pyramids', ballade suave et mélodique qui évoque aussi la fin de l'âge heureux. Et oui, car le plus beau du voyage a été fait, et la suite va malheureusement un peu finir dans le fossé.

Des faiblesses, cet album en a, et elles sont aussi riches en couleurs que ses bons cotés. Alors parmi tout cela et bien on bascule entre des morceaux plutôt convenus comme 'Tape Hiss' ou 'Third Ear', boucle jazzy peu passionnante pour la première et plutôt stérile pour la seconde, ou ennuyeux comme le sont 'Face the Sun' et 'Painted Pictures', virées rock platounettes. Et puis parfois on rencontre un combiné des deux, comme l'est 'Open' où Madlib nous sort un sample cramoisi de Kraftwerk, et croyez moi, si vous en avez aimé les utilisations d'Afrika Bambaata ou de DJ Mehdi par exemple, et bien oubliez bien vite que Madlib a commis ça parce que c'en est vraiment la relecture la plus mauvaise et vulgaire qu'il m'ait été donné d'entendre. C'est le genre de production qu'on réalise pour se marrer chez soi avec ses copains, mais quand il s'agit d'une sortie officielle… bah non, ça ne se fait pas des choses comme ça. Reprenons différemment ce que j'évoquais sur la musique de librairie en l'appliquant à ce "Movie Scenes" : faut-il tenir compte de ce que les titres induisent comme saveur musicale ici pour juger de leurs qualités? On sera tenté de dire que non. Ou en tous cas, il ne faut pas que cela vienne empiéter sur ce qu'on est en droit d'attendre d'un artiste comme Madlib ou plus simplement encore, de chaque projet musical, et cela peu importe sa dénomination. Mais si l'on devait agir de cette manière, alors 'Eternal Broadcaster' fournira un bon fond sonore à votre émission de radio pour annoncer les concerts de la semaine, les news ou encore votre playlist. On finira quand même aussi bien qu'on avait commencé en se laissant entrainer par cette saveur moite qui transpire des accords soul de l'ouverture de 'Spanish Bells' pour se quitter en laissant carillonner le son des cloches invoquées par Madlib.

Malgré quelques sursauts jouissifs, il faut reconnaître que Madlib et Stones Throw échouent tout de même à nous proposer ici un projet cohérent et de qualité. De la part d'un artiste de ce niveau (auteur récemment d'une suite respectable des aventures hallucinés de Quasimoto), on est en droit d'attendre un disque qui ait un peu plus de direction, et qui ne se transforme pas en un fourre-tout au sein duquel les meilleurs morceaux peinent à flotter au milieu d'une mare de titres souvent insignifiants. A son crédit, Madlib a eu la présence d'esprit de ne pas prolonger le plaisir. Cela dit, un volume 2 est à venir; lui aussi d'abord en vinyl, et le tout fera l'objet d'une édition CD qui devrait voir le jour en fin d'année. Espérons que la suite viendra rééquilibrer une balance qui penche plutôt pour le moment du mauvais coté ou vers la banalité en tout cas. Encore une collection de pistes instrumentales me direz-vous? Bah oui.

Finesse
Octobre 2005
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Label: Stones Throw
Production: Madlib
Année: Septembre 2005

Side A (Ill Side)
01. The Comeback (Madlib)
02. The Payback (Gotta)
03. Face the Sun (Africa)
04. Open (Space)
05. Tape Hiss (Dirty)
06. Sir Bang (Bounce)
07. Third Ear (More)
08. Stax (Strings)
09. Electric Company (Voltage-Watts)

Side B (Dope Side)
01. Left on Silverlake (Ride)
02. Painted Pictures (Art)
03. Gold Jungle (Tribe)
04. Offbeat (Groove)
05. Pyramids (Change)
06. Eternal Broadcaster (Authentic)
07. Spanish Bells (High Dreams)

Best Cuts: 'The Comeback'; 'Stax'; 'Spanish Bells'

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