Avec "Soundpieces : da antidote", Wildchild, DJ Romes et le Beat Conductor Madlib avaient frappé un grand coup dans la morosité ambiante et avaient définitivement fait prendre conscience aux auditeurs en retard de la révolution qui couvait dans les profondeurs de la Californie. Tout de suite accueilli comme des messies par une frange de la presse de bon goût, Lootpack a fait d'Oxnard la plaque tournante de toute une nouvelle scène. Mais, alors que Madlib a pris une dimension quasi-légendaire après son invasion des bacs ces dernières années (Declaime, Yesterday's New Quintet et consorts) et surtout avec le fantastique "The Unseen" de son alter-ego Quasimoto, ses 2 compères se sont fait beaucoup plus discrets n'apparaissant que de manière aléatoire sur les projets de leurs affiliés… C'était pour mieux préparer la contre-offensive. Alors que le second Lootpack se retrouve repoussé du fait de l'emploi du temps surchargé de Madlib, Wildchild en profite pour nous lancer via Stonesthrow son opus solo en guise d'apéritif de poids.
Opus solo, c'est beaucoup dire à première vue. Car avec DJ Romes aux platines sur tous les titres et Madlib à la production de plus de la moitié de "Secondary Protocol", les ambiances et l'esprit de Lootpack semblent vraiment très proches. Cependant, c'est clairement Wildchild qui a décidé de la couleur à donner à son album. Et il le répète à maintes reprises au fil des titres : "Secondary Protocol" est son bébé. Dès le départ, Child brise la glace sur 'Code Red' en mettant fin aux rumeurs pernicieuses de séparation de Lootpack et en annonçant sa ferme intention de reprendre le contrôle des choses après son éloignement prolongé du studio. On connaissait déjà Wildchild pour son flow insatiable et spontané, pour ce déluge de mots s'échappant de ses lèvres par explosions sporadiques et semblant courir après le beat pour mieux s'en jouer, pour sa diction étonnamment claire malgré la vitesse d'exécution mais aussi pour cet enthousiasme évident à prendre le micro. Bien heureusement, on le retrouve ici fidèle à lui-même. Petit bémol : privé du contrepoids fourni autrefois par la voix traînante de Madlib, son débit incessant pourra en lasser certains du fait d'un notable manque de variations dans les flows utilisés.
A l'écoute de l'album, la filiation avec le Likwit Crew semble plus évidente que jamais. En effet, on ne compte plus les invitations à la fête ('Hands Up', 'Party Up') et les déluges de rimes entre amis ('Bounce', 'The Come Off' et le fameux 'Knicknack 2002' atomisé par le rhyme inspector Percee P). Toujours prompt à cracher sa haine au visage des wack et à balancer quelques punchlines érudites à la face de ses détracteurs, Wildchild semble néanmoins s'être souvenu des critiques qui avaient été formulées à son égard en 99 et il a voulu injecter un peu plus de profondeur dans ses textes. Au milieu des titres à vocation purement divertissantes, on trouve donc un pamphlet anti-média (avec le visionnaire LMNO), une évocation de la paternité ('Kiana'), quelques rimes autobiographiques ('Heartbeat') et un 'Wonder Years' très bien ficelé où Wildchild nous livre toutes les interrogations qui le taraudent depuis des lustres, qu'elles soient superficielles ou profondes, anecdotiques ou graves… Rien de bouleversant en soi mais Wildchild a fait des efforts notables qui permettront à ses adeptes d'apprécier ses performances avec moins de retenue.
Sous la houlette de Madlib et de son petit frère surdoué Oh No, "Secondary Protocol" s'écoute d'autre part comme un nouvel ode au sampling en provenance de Californie. Dénichant dans d'obscurs disques de funk des boucles poussiéreuses pour leur redonner vie, les deux frangins assemblent des compositions minimalistes mais riches en détails de second plan qui se démarquent du tout venant par une utilisation intelligente des percussions de tous bords (batteries, hand claps, tam-tams et autres gris-gris) pour mettre en relief les samples. Wildchild ayant voulu son LP universel et accessible, on a de plus le droit à quelques titres plus groovy qu'à l'habitude (même si la couleur reste assez proche des récentes aventures madlibiennes). Mais, si l'album bénéficie de productions travaillées et souvent diablement obsédantes, jamais les sommets de "Soundpieces : da antidote" ne sont vraiment atteints. En effet, Madlib évolue dans les terrains qu'il a inauguré sur ce LP fondateur sans y apporter de profonds changements et Oh No applique les règles édités par son aîné à la perfection mais sans grand apport personnel. On tombe donc logiquement sur quelques ratés en cours de route à l'image du très monotone et linéaire instru de 'Kiana' (sans parler de son refrain irritant) ou surtout de l'horrible production synthétique de 'Bounce' (qu'est-il passé par la tête de Madlib ce jour-là?). Cela dit, ces réserves en tête, on a quand même le droit à un quota non négligeable de bombes à fragmentation dévastatrices. Les cordes étrangement tournées de 'Code Red', le groove bancal multicouche agrémenté de craquements de vinyles de 'Hands Up', la guitare acoustique lancinante de 'The Movement Pt. 2', le trio basse/flûte/xylophone de 'Operation Radio Raid' ou le tubesque 'Party Up' devraient tous faire le bonheur du hip-hopper normalement constitué
Quand on fait les comptes, à défaut de pouvoir tenir la comparaison avec "Soundpieces", "Secondary Protocol" reste un album solide qui devrait satisfaire les inconditionnels de LP et du Likwit Crew même s'il n'est pas exempt de défauts. Wildchild est clairement dans son élément sur les instrumentaux de Madlib et Oh No et communique son enthousiasme de manière imparable. Le degré d'appréciation de l'album sera finalement en grande partie conditionné par votre goût pour la Madlib Invazion. Si vous êtes des inconditionnels, vous êtes de toute façon déjà en possession de cette galette. Sinon, à vous de voir en prenant en compte les remarques faites ici. Dans tous les cas, je dirai pour ma part que "Secondary Protocol" constitue un album de saison idéal.
Cobalt Juillet 2003