Après un premier album de la trempe de "Mind Over Matter", la seconde livraison de Zion et Amp Live avait, malgré ses nombreux atouts, eu du mal à nous combler du fait d'inégalités criantes. Si "Deep Water Slang V2.0" valait le détour et reste objectivement un album de bonne facture avec son lot de franches réussites, on en attendait un peu plus de la part des auteurs d'un 'Inner Light'. Alors que la sortie de "Deep Water Slang V2.0" avait été maintes fois repoussée et que le groupe s'était longtemps retrouvé empêtré dans les mailles de l'industrie discographique, l'annonce d'un nouveau projet intitulé "Curb Servin" à peine 6 mois après ce dernier acte enthousiasmait et rassurait quand à l'état de santé de Zion-I.

Présenté comme une réunion de faces-B et d'inédits, "Curb Servin" arrive donc dans les bacs ces jours-ci et se veut une sorte de compilation réunissant quelques raretés et nous faisant mieux découvrir l'entourage du duo (déjà entrevu sur 'Le, Le, Le'). Pour satisfaire la base, Zion-I nous fournissent quelques titres de leur cru comme on les aime. Tout d'abord, on a le droit à l'inclusion de quelques remixes qui font plaisir (sauf aux diggers). Si les modifications apportées au superbe 'Flow' sont minimes et peinent à trouver une justification, la mise à jour réussie de 'Cheeba Cheeba' avec son riff de guitare laid back et sa basse épaisse donne enfin la saveur que méritait cette alliance Zion/Aceyalone. Un hit en puissance voit le jour. De son côté, Madlib réinterprète 'Critical' avec génie, décomposant le morceau en une suite de mouvements antagonistes pour 4 minutes de bonheur. Un piano minimaliste et déstructuré laisse la place à un vibraphone sec puis à une ambiance plus intrigante, le tout ponctué par des interludes dialogués décalés et par des percussions pour le moins variées.

A côté de ces remixes de qualité, les inédits sont un peu plus en demi-teinte. On sent que l'investissement n'a pas été maximal sur ces titres. 'Speakers' manque de finesse et de personnalité, 'Do It' est un cran au-dessus au niveau lyrical mais reste plutôt banal malgré son introduction grandiloquente… Seul 'Mighty Onez' marque durablement l'esprit. Il y a d'abord cette ligne de basse irrésistible dénichée par Amp Live et mise en valeur par quelques djembés et une flûte imperceptible. Il y a aussi un grand Zion qui illumine le titre de son flow savoureux… Malheureusement le titre est quelque peu entaché par un refrain chantonné hors sujet. Mais ne faisons pas les difficiles; s'ils ne sont pas renversants, les titres de Zion I restent cependant tout à fait respectables et devraient quand même satisfaire tous leurs adeptes…

Ce qui n'est pas le cas des morceaux offerts par leurs collègues. En voulant donner une chance à leurs affiliés, Zion I font incontestablement une erreur. Un exemple illustrant parfaitement ce propos est 'Curb Servin'. Arrivant dans nos oreilles dès la troisième plage, il ne laisse aucun doute quant au peu de talent de l'entourage zionesque. Cet egotrip de bas étage plombé par le flow monolithique de D.U.S.T. et des rimes ultra-prévisibles établissant un parallèle lourdingue entre les artistes indépendants et les hustlers du coin de la rue reflète le piètre niveau des protégés du groupe. 'Same Cycle' confirme d'ailleurs l'indigence de D.U.S.T. et de son flow monolithique. On passera sous silence les freestyles inutiles qui ne font qu'ajouter à l'embarras… Compte tenu de cette donne un peu particulière, l'album oscille constamment entre bons titres (en provenance de Zion et Amp Live) et ratages (en provenance des autres). Mais la "perle" qui tire l'album vers le bas est ailleurs et prend des proportions inattendues dans le mauvais goût. La réunion de D.U.S.T., Balance et Frontline sur 'Came 2 Bust' est en effet l'occasion d'un bal des idiots grand guignolesque mené par un D.U.S.T. jouant la racaille écervelée et nous gratifiant d'un refrain qui restera dans les annales de l'ignorance : "We're killer emcees who came to bust/ Better watch what they say to us"…Pas besoin de s'étendre plus.

'Came 2 Bust' est d'ailleurs doté d'un instrumental proprement horrible qui semble tout droit issu d'un Bontempi bon marché. Le synthé vomitif du refrain de 'Curb Servin' ou le break squelettique de 'Same Cycle' sont tout aussi consternants. On peine à croire qu'Amp Live se soit abaissé à produire de telles erreurs de la nature… et pourtant c'est bel et bien son nom qui apparaît au tracklisting! Les nouvelles "découvertes" de Zion I ne sont donc pas les seuls à nous laisser sur notre faim ici : Amp Live vient aussi mettre son grain de sel. Ses nouvelles productions manquent ici clairement d'âme et d'émotion et on ne retrouve pas la touche audacieuse et aventureuse qui l'a toujours distinguée de la masse. Les inédits sont pour la plupart dotés de productions plates et faciles qui laissent pantois. On ne le reconnaît plus…

Heureusement, pour nous remonter le moral, Zion-I ont eu la bonne idée d'inclure des bonus DVD de qualité avec cette nouvelle sortie. On appréciera les 3 versions live de 'Fingerpaint' ainsi que le court documentaire sur les coulisses de la release party de "Deep Water Slang V2.0" (ponctué par de nombreux extraits de la soirée et par des interventions de Pep Love ou Rasco) mais le réel intérêt de "Curb Servin" réside dans le documentaire de 18 minutes qui constitue le cœur de ces suppléments vidéos. De leur fief d'Oakland, Zion et Amp Live nous y détaillent en effet tout leur parcours, de leurs premières rimes/productions à la sortie de leurs albums en passant par leur rencontre et leurs pérégrinations et en nous livrant leurs réflexions sur la scène indépendante californienne. Ce documentaire de très bonne facture permet de mieux connaître le groupe et son histoire et en intéressera sûrement plus d'un.

Cependant, au bilan, on reste dubitatifs. En voyant le tracklisting totalement dans le désordre qui orne la pochette de "Curb Servin", on se dit que le projet a du être bouclé dans l'urgence et enregistré à la va-vite pour s'en tenir à la date de sortie fixée par Raptivism… Du moins, on veut y croire. Car on ne conçoit pas comment les auteurs de "Mind Over Matter" peuvent nous présenter aujourd'hui un opus de 32 minutes aussi inégal et clairement bâclé. L'étiquette 'mixtape sessions' n'est pas une excuse valable. En effet, en dehors des remixes déjà disponibles, quasiment aucun nouveau titre proposé ne fait honneur à la réputation de Zion et Amp Live. Ce sont même les bonus DVD qui s'avèrent les plus intéressants. Un comble. Parfois mieux vaut prendre son temps avant de revenir dans les bacs. "Curb Servin" en est la preuve. Espérons que Zion-I retiendront la leçon.

Cobalt
Août 2003