Inimitable, incomparable, inclassable, inarrêtable… Tel est Kool Keith. Pas besoin de plus de présentations. Si vous lisez nos pages, vous connaissez déjà par cœur la discographie pléthorique de l'ancien Ultramagnetic MC aux multiples personnalités, aux idées tordues et au génie incontestée. La sortie de "Diesel Truckers" était l'occasion idéale pour enfin avoir l'occasion de nous entretenir en toute franchise avec le maître de l'abstract rhyming. Une occasion inespérée pour éclaircir quelques points d'ombre et pour lui dire notre admiration mais aussi nos griefs à son encontre. Entretien sans filet avec l'équilibriste de la rime. English version
Hip-Hop Core: Honnêtement, qu'est-ce qui te plait tant dans le fait de rapper sur des pratiques sexuelles exotiques, sur la scatologie ou encore le cannibalisme?
Kool Keith: Ca me fait tripper de parler de sujets dont personne d'autre ne parle. Les gens ont peur de parler de ce genre de choses.
HHC: Toi qui est originaire du Bronx, pourquoi es-tu si critique du mode de vie new-yorkais et des rappers de la Grosse Pomme depuis quelques années?
K: C'est à New York que la culture hip-hop, le break dancing et le style vestimentaire qui va avec ont vu le jour. Or, j'ai l'impression que les new-yorkais sont restés enfermés dans le même style depuis cette époque et qu'ils suivent la meute… Ils agissent comme s'ils venaient de Los Angeles, s'habillent comme s'ils étaient dans le Sud et copient les mimiques des gangs de LA en portant des salopettes… Je suis juste surpris que New York ait pris autant de retard et soit devenu spectateur de ce qui se passe dans d'autres villes...
HHC: Après le succès de "Dr. Octagon" et de quelques autres projets extraterrestres, on a l'impression que tu as souhaité te refaire une "street credibility" en devenant plus terre-à-terre et en t'en prenant plus prosaïquement à l'industrie du disque et aux wack emcees. On a senti que tu voulais rendre tes opus plus accessibles d'un point de vue lyrical. Qu'est-ce qui t'as poussé à faire ça?
K: Octagon était un projet à portée fantastique qui n'était en aucun cas un reflet de ma vie quotidienne. C'était juste un projet "café / croissant" sur lequel les gens se sont focalisés et ont commencé à penser que je vivais comme un petit martien vert alors que ma réalité, c'est les rues pleines de pisse. Parce que je suis toujours quelqu'un qui arpente les rues de la ville. Je n'ai pas grandi à San Francisco. Je suis désolé mais je viens du Bronx, de New York, des projects…
HHC: Puisqu'on y est, est-ce que tu pourrais clarifier un peu pour nous l'imbroglio qui entoure le retour de Dr Octagon que tu préparais avec Fanatik J? Est-ce que ce projet verra la lumière du jour?
K: Je déteste Octagon. Ce n'est pas mon meilleur projet. Et oui, probablement que ça sortira sous plusieurs formes avec d'autres labels qui essaieront de le remixer, de le réinterpréter à leur sauce en utilisant ma voix. En posant mes vocaux sur des beats que je n'aime pas, avec des producteurs que je n'ai jamais rencontré dans ma vie. Préparez-vous. Je suis aussi surpris que vous.
HHC: Dans le rap, on peut dire que tu es plus ou moins à l'origine de la mode des pseudos multiples, des costumes extravagants, des flows off beat, des concepts barrés, des rimes abstraites… Mais, malgré tous ces apports, ton nom est souvent oublié quand vient le temps des bilans. Par exemple, tu es absent des pages d'un "Vibe Hip-Hop History Book" et n'occupe que quelques lignes dans maintes publications. Ca fait quoi d'être une légende underground ?
K: Tu sais, je dois me contenter de ce que je peux obtenir maintenant. Je ne peux rien faire pour changer ça. Même si je trouve déplorable la façon dont je suis traité.
HHC: Après avoir amené tous les éléments qu'on vient d'évoquer au hip-hop, quel sera ton prochain apport?
K: Des films. Plein de films. Sur plein de sujets différents. Des films théâtraux.
HHC: On a l'impression que Sun-Ra, grand jazzman s'il en est, a eu beaucoup d'influence sur toi…
K: En fait, je n'ai jamais vraiment prêté attention à Sun Ra. J'ai toujours été quelqu'un de différent. C'est vrai que les gens me comparent assez naturellement à Sun Ra mais je suis quelqu'un de différent. Je n'ai jamais copié Sun Ra. Cependant, j'ai vu Sun Ra et c'est une personne assez intéressante.
HHC: Comment as-tu développé ce phrasé à la fois complexe et ultra-spontané? Qui est-ce qui t'a poussé à rapper de cette façon à une époque où quasiment tout le monde rappait sur les temps?
K: Moi. Juste en écoutant des beats. Je me suis essayé à différents styles vocaux sur chaque beat et peu à peu c'est devenu ce phénomène à part.
HHC: Récemment, "Clayborne Family" a été une très bonne surprise pour tous tes adeptes. Comment as-tu rencontré ce Crashman qui produit toute la première partie de l'album?
K: Crashman est de Chicago. Il a juste donné à Marc Live quelques beats pour qu'il rappe dessus et comme moi et H-Bomb étions dans le coin au moment de l'enregistrement on a posé sur quelques titres… On s'est laissé porter par le truc et c'est devenu un album.
HHC: A l'opposé, on peut légitimement considérer que "Thee Undatakerz" est le projet le plus faible / mauvais auquel tu aies jamais participé. Que penses-tu de cet album de ton côté?
K: "Undatakerz" n'est pas mon projet à la base. Les gars ont utilisé mon nom pour faire vendre le disque alors que je n'avais rien à voir avec ça… Surtout que je n'ai posé qu'un couplet par chanson. C'était juste un projet créatif mais, dans mon esprit, ça n'a jamais été un album de Kool Keith… Et puis, merde.
HHC: Junkadelic Zikmu a fait pas mal de boulot pour promouvoir ta musique en France et en Europe depuis la fameuse "Space Tape". Comment envisages-tu votre collaboration?
K: Ca fait des années qu'ils font des remixes pour moi et ils font bien leur job. Ces mecs ont une idée assez claire de ce que je fais. Ils sont funky et je n'ai rien à leur reprocher. Ils n'essaient pas de refaire Octagon comme tant d'autres.
HHC: Pour beaucoup de monde, tu es bien moins doué en tant que producteur qu'en tant qu'emcee et on ne peut que constater que pas mal de tes fans (même les plus dévoués) se sont désintéressés de tes derniers albums depuis que tu as décidé d'en produire la majorité. Que penses-tu de ces remarques?
K: Je pense que les mecs qui pensent ça sont débiles. Ils pensent qu'un rappeur ne peut pas se produire lui-même; alors que Parrish Smith et Erick Sermon (aka EPMD) l'ont toujours fait, tout comme Pete Rock… Tout ça, c'est des conneries. Les gens pensent que tu dois forcément être avec un producteur. Ils ne peuvent pas se faire à l'idée que j'ai grandi en écoutant des groupes de funk comme Slave, Cameo, Brass Construction, The Dazz Band, Undisputed Truth, Roger & Zapp. Ils préféreraient m'entendre sur je ne sais quel beat suisse pourri pondu par un producteur underground tout naze. Ca les fait bander. Ca n'a rien à voir avec l'intensité de mes lyrics. Ils préfèrent me voir avec un mec qui sample des sons pour les gosses à la Sesame Street alors que ça ne colle pas du tout à mon mode de vie fait de projects plein de pisse… Alors, qu'ils aillent se faire foutre parce que quand je prendrai ma retraite ils en seront réduits à écouter de la musique pop pour le reste de leur putain de vie!
HHC: Les Ultramagnetic MC's étaient considérés comme des maîtres du sampler. Pourtant, en tant que producteur, tu as rarement utilisé beaucoup de samples et tu as au contraire opté pour un son beaucoup plus synthétique. Pourquoi as-tu changé ton fusil d'épaule?
K: Parce que le sample, c'est vraiment du vol. Je n'ai pas envie de voler la musique de ces gars qui, pour une bonne partie, sont morts et enterrés. Je préfère faire ma propre musique, totalement nouvelle, et être heureux.
HHC: Au cours de ta carrière, tu as connu pas mal de problèmes avec les maisons de disques. Est-ce que tu as été contraint de choisir la voie de l'indépendance?
K: Tu sais, je retournerai sur une major s'il le faut. J'irai chez un indépendant aussi. A vrai dire, tout ça ne me pose aucun problème.
HHC: Est-ce que tu es toujours en contact avec la scène underground californienne? A un moment, on t'entendait avec Awol One et quelques autres et c'est vrai qu'il y a un lien de parenté entre ces emcees inventifs et toi…
K: L'underground n'existe pas. Il n'y a pas d'underground. Tout est une question de combien de personnes te connaissent et c'est tout.
HHC: Euh… Ok, si tu veux. Pour changer de sujet, tu as souvent été très critique du travail des producteurs avec qui tu as collaboré alors qu'au contraire tu t'es toujours montré très enthousiaste vis-à-vis de tes collaborations avec Prodigy. De tes participations à "The Fat of the Land" aux nouveaus titres que tu as récemment enregistrés avec eux, qu'est-ce qui leur vaut ce traitement de faveur?
K: C'est parce qu'ils font quelque chose de différent. Ils me font écrire des trucs différents de d'habitude, des trucs nouveaux.
HHC: Est-ce que tu ne penses pas que ce serait un beau geste de rééditer le "Big Willie Smith EP" et l'album des Cenobites que tant de tes fans cherchent désespérément? Ca ne pourrait qu'aider à consolider ton statut de légende…
K: Je n'en ai rien à foutre de ces disques. Je suis passé à des choses meilleures.
HHC: Dommage. A propos de ton actualité, peux-tu nous dire quelques mots sur le projet "The 7th Veil" que tu concoctes avec Jacky Jasper et qui s'annonce plein de surprises et de collaborations inattendues (de Ike Turner à Rick James en passant par Chilly Chill de Tha Lench Mob)?
K: J'en ai marre du rap standard. Je suis impatient de travailler avec Patty La Belle. C'est pour ça que je fais des disques plus slow, pour moi, comme "The Personal Album" que j'ai sorti récemment. Le rap commence à m'ennuyer. C'est comme si je bossais à Mc Donald's tous les jours et que je faisais tout le temps le même Big Mac de 9h du matin à 5h du soir… Au point où j'en suis, je m'en foutrai de bosser avec Vanilla Ice. J'essaierai de faire quelque chose de neuf.
HHC: Pour terminer, une question nous taraude. Qui est ce mec étendu sous tes pieds sur la pochette de "Critical Beatdown"?
K: Sérieusement, je n'en sais rien. Il faudrait demander à Moe Love.
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