Raw Breed, KHM, Clayborne Family, Analog Brothers: le CV de Marc Live est chargé en expériences de valeur. Pourtant, treize ans après ses débuts au sein de Raw Breed, Marc Live reste un homme de l'ombre, un acteur trop souvent coupé au montage dans le grand film du rap, un nom connu mais rarement reconnu... Alors, après avoir œuvré en silence pour Ice-T et Kool Keith, l'ex-Marc Rippin' a décidé de prendre un peu la lumière pour rétablir sa part de vérité et récolter les fruits d'un travail de longue haleine. Pour goûter un peu au lot des "rock stars" en quelque sorte. En cet été 2004, dans la foulée d'un "Clayborne Family" qui l'a montré à son avantage, il débarque donc avec un premier album solo "Validation" qu'il nous parachute via sa propre structure Live Seven. Aidé dans sa tâche par Junkadelic Zikmu (toujours dans les bons coups) et avec le soutien de son ami de longue date Ariel Caban, Marc passe à l'attaque.
Le temps a passé depuis la fougue incontrôlable du premier album coup de poing de Raw Breed "Lune Tunz". Marc a toujours cette énergie inépuisable et cette envie insatiable de manger le micro mais il n'a clairement plus la même inventivité lyricale et la même inspiration que dans sa jeunesse. Ses textes sont trop souvent prisonniers des règles d'usage d'un thug rap représentatif et menaçant (
"the drugs, the women/ the evil we go through/ the money, the truth/ the ghetto I owe you")… Mais, les années qui passent ont aussi du bon. Abîmée par les concerts et les séances de studio, la voix de Marc est plus rocailleuse, râpeuse et rugueuse que jamais. Elle donne corps et sens aux rimes new-yorkaises acerbes qu'affectionne le frère Clayborne. Et puis, comme le disait Guru dans un éclair de génie,
"it's mostly the voice". On fera donc l'impasse sur quelques rimes limites pour ne retenir que les meilleurs moments de "Validation". Dans cette catégorie, on pense immédiatement à un 'Man Down' servi par une production classieuse et travaillée où des violons symphoniques croisent des boucles découpées avec précision sur un fond de guitare shaftien. 'Man Down' fait l'état des lieux d'un "monde libre" à la dérive: guerre sans but, règne de la peur, abrutissement collectif et rapt organisé des moyens d'expression rapologiques… D'un flow direct, intelligible, à l'épreuve du temps, Marc remet aussi les pendules à l'heure en racontant à maintes reprises (sur le tambour grandiose de 'Validation' par exemple) les aléas de son parcours: les rencontres prestigieuses, les rues sombres du Bronx, les accomplissements, les années passées avec le gratin hollywoodien, les tréfonds de l'underground, les soirées VIP, les pièges de l'industrie du disque… Offensif, Marc ne fait pas dans la dentelle ou dans l'introspection. Sans jamais vraiment se livrer, il donne pourtant un goût autobiographique à ce premier solo tardif. Celui d'un emcee qui regrette cette époque où New York transpirait le rap par tous ses pores,
"when nice kids had deals […],when a hot joint meant something […] and when you sampled a track somebody else did, you was wack whether you sing or you spit raps". La belle époque. Ponctuant ses couplets de
"Listen",
"Look" et autres
"Tell'em" plus énergisants qu'un bol d'EPO, Marc Live est pourtant loin d'être aigri malgré la colère et les ressentiments qui l'animent. Il ne peut plus perdre de temps comme l'annonce le 'Prelude' et il met toute sa rage dans le défi qu'il s'est fixé. Furieux du statu quo actuel, il attaque les clowns et autres
"puppet niggas" affabulateurs à la solde des labels. Pour relayer cette colère, il fallait des productions sur mesure.
Il fallait un son sale, brut et dynamique à l'image du flow et des mots de Marc. Plus proche d'un Raw Breed période "Blood, Sweat & Tears" que du minimalisme futuriste de KHM. C'est exactement ce que propose "Validation". Artisan de l'ombre, Ariel Caban dit The Cartel, ancien road manager de Raw Breed, est le principal responsable de cette tonalité "grunge" annoncée (il prend en charge 7 titres sur 21). A l'exception du sample cramé de 'Where's Your Hustle?', il rend une copie exemplaire dans la lancée d'un 'Welcome To My World' intense dont le sample vocal discret, le synthé lourd et la prestation animée d'un 50 Cent pré-Shady Records écrasent tout sur leur passage. Ses sons dynamiques et ouvragés (à l'instar des cuivres généreux de 'Bellevue') constituent un terrain de jeu impeccable pour le flow agressif de Marc Live. Producteur expérimenté, Marc met bien évidemment lui aussi la main à la patte sur son album. Mais, en se contentant d'une poignée de productions, il montre qu'il a retenu les leçons du passé. Il évite ainsi tout remplissage et donne le meilleur de lui-même. 'I'm Not Happy' (avec ses violons symphoniques et son solo de guitare rock fatal) et le foisonnement de détails du glacial 'Stars In The Ghetto' s'inscrivent ainsi dans le peloton de tête des confections de l'artificier des Analog Brothers. Dans ce contexte, que dire alors de l'unique intervention de KutMasta Kurt? Qu'elle constitue quand même le meilleur moment de "Validation". Régulier comme un métronome, Kurt accouche à nouveau avec 'This Is Street Music' d'une production rentre-dedans aux effets agitateurs garantis. Malheureusement, à côté de ces réussites, l'album est entaché par quelques productions peu inspirées dans lesquels Marc se débat difficilement; tels la resucée missy-elliotienne 'Cobracan 550' ou un 'Rush' un peu fouillis. Mais le pire vient du camp des 2 partenaires créatifs de Sa-Ra qui se fendent d'un 'Superstar' pompier, racoleur, creux et totalement hors-sujet… Le retour au bercail des 2 anciens de l'aventure Raw Breed est donc pour le moins terni.
Ce sont pourtant les seules retrouvailles qui nous laissent un goût amer. En effet, tous ceux qui ont marqué le cours de la carrière de Marc Live sont là et se sont mis sur leur 31 pour l'occasion. A commencer par Ice-T, l'imperturbable mentor, que Marc retrouve sur la production cuivrée efficace de 'The Lost Gangsters'. Les 2 frères Smoothe Da Hustler et Trigger Da Gambler, rois du broken language et accessoirement collègues de Marc au sein de SMG sont aussi au rendez-vous. La guitare nerveuse et la rythmique ample de 'Dreams' donnent même l'occasion à Trigger de lâcher quelques punchlines mémorables (
"My gun is like Kelly / It don't care about age"). Enfin, comme on l'espérait, l'inénarrable Keith Thornton est de passage... et pas uniquement pour un 'Clayborne Family' déjà connu (mais toujours aussi jouissif). Pour notre plus grand plaisir, la symphonie synthétique assemblée par Marc sur 'Star Warz' nous replonge en effet dans les ambiances de "Game" tandis que le bon docteur à huit faces aligne avec appétit les métaphores scato au côté du maître de maison (
"You motherfuckers know I come with the chocolate make-up"). Un délice.
Au bilan, "Validation" aurait clairement pu être allégé de quelques titres. Il n'en reste pas moins que ce premier album brut de décoffrage constitue un solide essai qui satisfera à coup sûr les adeptes de Raw Breed. Après tant d'années d'attente, "Validation" permet enfin à Marc de briller en solo tout en renfermant une poignée de bangers indiscutables. Alors qu'il est plus actif que jamais et que "Episode III: Rockstar" devrait voir le jour d'ici l'an prochain, Marc Live signe un opus de street music animal, bien construit et convaincant qui montre que 13 ans après ses débuts il a encore de beaux jours devant lui… Combien peuvent en dire autant?
Cobalt Juin 2004