Kool Keith & Kutmasta Kurt
Diesel Truckers

They're back! Il en aura fallu du temps pour voir à nouveau l'incomparable Kool Keith et l'indéboulonnable Kutmasta Kurt ensemble sur un même disque… Depuis "Masters of Illusion", on espérait sincèrement que, le temps aidant, Keith mettrait son ego de côté et accepterait de confier une nouvelle fois les rênes d'un de ses projets au funky redneck. Il faut dire que les collaborations entre les deux collègues sont souvent entrées dans la légende. Les fantômes de "Sex Style", "Big Tyme" et "First Come, First Served" continuent de hanter les carrières respectives des 2 compères et squattent encore activement nos platines. Il faut dire aussi que depuis que Keith s'était mis dans la tête de s'occuper de la mise en musique de ses projets solo, ses balbutiements synthétiques avaient plus souvent été le sujet des railleries que des louanges, et qu'ils n'ont jamais été capables de remplacer le funk solide de Kurt. Mais cette année, Keith a l'air d'être dans une bonne passe. Entre un "Clayborne Family" qui a rallumé la flamme et un passage à Paris qui restera gravé dans nos mémoires, Black Elvis semble enfin être à l'écoute de ses fans et de son art. Le temps aura donc eu raison des petites rancoeurs et aura doucement fait son œuvre pour réunir ces sacrés Diesel Truckers.

Plus dynamiques que Batman et Robin, le duo de chauffeurs poids lourds a donc mis ses différends de côté pour écrire un nouveau chapitre d'une aventure commune déjà riche en rebondissements. Kurt en profite pour tomber le masque (ainsi que la barbe) pour la première fois mais aussi pour revenir un peu aux sources. S'adaptant au style particulier de son partenaire favori, il change un peu ses habitudes et replace son travail dans la continuité d'un "Sex Style". A leur meilleur, ses productions minimalistes sont gorgées de ce funk synthétique primaire, épais et basique à l'efficacité rarement égalée. La marque de fabrique du funky redneck, c'est en effet cette mécanique bien huilée et rugissante: des mélodies simples, brutes, rentre-dedans et sales mais jamais racoleuses; des beats imperturbables à l'énergie débordante et une volée de scratches frénétiques pour faire bonne mesure. C'est ce "Trunk funk for the Jeeps" dont parle le fidèle Marc Live. Des sons simples mais plein d'à-propos délivrés avec une régularité de métronome. Les modèles du genre ne manquent pas. De 'Break U Off' à 'Serve'Em A Sentence' en passant par un 'Bamboozled' au minimalisme addictif, les bangers attendus sont bien là. Et puis il y a ces petits détails décalés qu'on aime, comme ces klaxons et ces quelques notes de guimbarde cachés sous la batterie imposante et les claviers écrasants du thème des Diesel Truckers. De quoi confirmer que Kurt reste le seul beatmaker à avoir vraiment compris les besoins et les attentes de Keith. Pourtant, à côté de ces moments de pur bonheur, on trouve un Kurt en petite forme sur quelques titres. C'est alors un boom-bap solide mais monotone qui nous est proposé dans le ventre mou de l'album ('Diesel Truckin', 'The Legendary'). En choisissant souvent de se passer des possibilités offertes par le sampling, les Diesel Truckers souffrent d'autre part des plaies récurrentes qui touchent les adeptes des sonorités digitales : simplisme rageant, synthés cheap au mauvais goût gênant, caricatures dirty south peu reluisantes… La route est semée d'embûches. Alors, oui, on pourra arguer comme certains que le Kutmasta régresse quelque peu et n'a plus la même constance que quelques années en arrière. Mais un constat s'impose quand même : servi par les productions sur-mesure de Kurt, Kool Keith n'a plus rappé aussi bien depuis des lustres (si l'on excepte le retour en grâce observée récemment sur quelques plages de "Clayborne Family").

Off-beat mais toujours dans la course et dans le coup, joueur mais pas roublard, il retrouve sa maîtrise d'antan, zigzaguant sur le beat en dessinant ces arabesques dont il a le secret. Concentré sur ses phases plutôt que sur la production, Keith retrouve de sa superbe au lieu de rapper en roue libre et de tomber dans l'auto-parodie (comme ce fut souvent le cas sur ses projets récents). Encadré par Kurt, contraint de ranger ses élucubrations scatologico-sexuelles et son costume de vétéran aigri au placard, il propose enfin un éventail de rimes rajeuni mais toujours aussi unique. Du genre à péter un cable en plein milieu d'une diatribe contre l'état du rap actuel pour lancer: "Everybody need Arrid Extra, under the arms / to scope with Sterling, flashin off your charms / Relaxed by the nature pills, I'm on two calms / Sleep with the Calvin Klein silk pajam's / Behind my pillow, Bath & Body Works coconut lime / gettin rubbed on my arms - y'all ring the alarms". Métaphores filées délirantes, égotrips déroutants, refrains addictifs : Platinum Rich se fait plaisir. Collant plus ou moins au concept de l'album, il nous fait découvrir le charme rustique et tout en finesse d'un énorme truck 18 roues propulsé par un diesel gourmand et dévorant les kilomètres des interminables autoroutes américaines à vive allure, "runnin' over deers and queers". La vie palpitante des truckers contient ses lieux de passage obligés que Keith nous fait découvrir au fil de l'album : stations d'essence, restos routiers, strip clubs, livraisons minute dans les supermarchés, traversées de contrées désertiques… Tout un programme.

Mais Keith se permet aussi quelques incartades plus personnelles. A l'occasion, le voile de mystère et la carapace qui entourent sa personnalité tombent même un peu. Inspiré par les samples un peu lounge et les nappes atmosphériques de 'Takin It Back', Keith retourne même un instant en enfance pour nous conter les débats de cours de récréation, les super-héros et leurs pouvoirs mais aussi l'ambiance des premières soirées hip-hop dans les parcs new-yorkais. Ailleurs, Keith se montre même romantique! Bon, bien entendu, la majorité des rimes du révérend Tom sont encore salaces et teintées d'un voile de perversion diffus mais, à la faveur d'un instru adapté, Keith peut passer en mode lover. Dans l'ambiance ouatée, confortable et délicieusement ringarde de 'I Love You Nancy', il emmène alors l'élue de son cœur en ballade sur son yacht privé, la couvrant de perles et de mots doux. Mais, malgré tout, Keith reste un électron libre, un emcee incontrôlable. Sans prévenir, il peut s'en prendre à nouveau à sa tête de turc, Andre 3000, accusée d'imposture ("In your mind, you think you're incredible / But Benny, I wore the Black Elvis wig / Now you wear it / I took off the wig, you just puttin it on / I got bored and left L.A. / I'm very impressed, Benjamin, you just movin into L.A."). Il peut aussi replonger dans un univers SF; se mettre dans la peau d'un alien dont la Terre est le terrain de jeu (le génial 'Kenworths With Wings') ou bien nous emmener avec Motion Man dans un New York ultra-sécuritaire où les sentences sont appliqués avec sadisme ('Serve'Em A Sentence'). La question posée par Fat Hed trouve donc rapidement une réponse. "Who's cooler than Kool ?" Platinum Rich indiscutablement.

Critiquables sur pas mal de points, objectivement inégales, ces retrouvailles attendues n'en restent donc pas moins un sujet de satisfaction. A défaut de tenir la comparaison avec ses faits d'armes les plus glorieux, "Diesel Truckers" est en effet incontestablement (et d'une bonne longueur) la meilleure livraison de Keith depuis le début du millénaire. Armé d'un 'Break U Off' qui a tous les attributs d'un futur classique de Dr. Dooom et d'une poignée de titres imparables qui donneront des frissons de bonheur à tous les adeptes du master flower, ce LP enregistré soi-disant au fin fond du "Kansastucky" ne finira pas en quelques heures au fond d'un tiroir, comme ce fut le cas pour "Spankmaster" ou "Matthew"... Au chaud dans sa cabine, Kurt peut tracer la route sans se retourner. Le temps de cette réunion éclair lui aura suffi pour remettre un peu de lustre sur la discographie déviante de l'Ultramagnetic MC en chef et pour le lancer sur de bons rails. Un horizon dégagé s'ouvre maintenant devant lui. Espérons qu'il ne se perde pas à nouveau en chemin.

Cobalt
Octobre 2004
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Label: Funky Ass Records / Threshold Recordings / DMAFT Records
Production: Kutmasta Kurt & Kool Keith
Année: Août 2004

01. Diesel Truckers Theme
02. The Orchestrators
03. Break U Off
04. Takin' It Back
05. Mental Side Effects (feat. Fat Hed & H)
06. I Love You Nancy
07. Diesel Truckers (feat. MC Dopestyle)
08. The Legendary
09. Can I Buy U A Drink ?
10. I Drop Money
11. Mane
12. Bamboozled (feat. Marc Live & Jacky Jasper)
13. Serve'Em A Sentence (feat. Motion Man)
14. Kenworths With Wings
15. Game [Bonus Track]

Best Cuts: 'Break U Off', 'Kenworths With Wings', 'Diesel Truckers Theme'.

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