S'il y a un groupe de rap récent dont la discographie est exemplaire jusqu'ici, c'est bien Jurassic 5. 2 disques, 2 classiques, tout simplement! Le "EP" fondateur fut une claque énorme et "Quality Control" confirma de manière irréfutable le talent d'un crew au sommet de son art. Si l'on ajoute les fructueuses collaborations de membres du sextet avec Ozomatli et l'alliance de Cut Chemist à DJ Shadow, autant dire que les espoirs placés dans ce "Power In Numbers" étaient énormes après une année 2002 avares en classiques potentiels. La nouvelle scène californienne avait aussi bien besoin d'être relancée; elle qui peine à confirmer les attentes placées en elle depuis les premiers Lp's de Rasco, Lootpack, Dilated Peoples ou Zion I.

"Power In Numbers" commence en douceur. L'introduction 'This Is' nous met en jambes puis l'instru acid-jazz répétitif de 'Freedom' démarre. Jurassic 5 nous surprend d'emblée en se montrant plus engagé que jamais avec cet éloge à la liberté chargé en références à l'histoire afro-américaine. Mais, globalement, que les fans se rassurent, ce sont toujours les passe-passe vocaux bien rodés, les egotrips "bon-enfant", la nostalgie du golden age et les diatribes anti-matérialisme et anti-wack emcees ('Sum Of Us', 'One Of Them', 'What's Golden'...) qui prédominent. C'est juste que J5 ajoute une autre dimension, plus lyricale, à son tableau. Il y a d'abord ce titre au sens multiple "Power In Numbers"; il y a aussi le fait que les harmonies vocales à la Treacherous Three sont moins présentes que par le passé; il y a encore 'Freedom' ou 'Thin Line' avec Nelly Furtado... Il y a enfin 'Remember His Name'. Sur un tapis de samples remarquablement agencé par DJ Nu-Mark et sous la forme d'échanges téléphoniques, Akil, Chali 2Na, Marc 7 et Zaakir y évoquent de manière métaphorique l'omniprésence de la mort dans leur vie quotidienne. Un morceau de bravoure pour un groupe plus connu pour ses exploits flowistiques.

Le emceeing est par ailleurs toujours irréprochable. Chali 2Na reste la "star" du groupe mais ses compères sont bien plus que des faire-valoirs. Saluons au passage l'unité intacte d'un groupe qui a su rester soudé au fil des années et des tournées. La grande nouveauté de l'album c'est la présence d'un bon nombre d'invités, souvent inattendues. Avant tout, il faut citer les prestations mémorables des revenants Percy P et Big Daddy Kane sur la ligne de basse effrénée (empruntée à David Axelrod) qui sert d'ossature à 'A Day At The Races'. Kool Keith pose lui un a capella déjanté sur 'DDT'. Fait rare : deux titres ont été confiés à Juju des Beatnuts. Sans nous ramener à "Intoxicated Demons", il assure avec style. Le sample de flûte traversière fatal de 'If You Only Knew' nous redonne même foi en un Juju qui nous avait beaucoup déçu dernièrement.

Pour le reste, comme toujours, Cut Chemist et DJ Nu-Mark se sont partagés la production de l'album à part égale, se réservant un final scratché en duo avec un 'Acetate Prophets' qui s'inscrit tout à fait dans la suite de 'Swing Set' (sans l'égaler). La complémentarité de leurs styles est évidente. Le minimalisme funk-breakbeat d'un Cut Chemist qui s'en donne à cœur joie avec son set de batteries ('Break') alterne bien avec la tonalité rare groove des productions de Nu-Mark ('High Fidelity').

Bref, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes mais pourtant il manque quelque chose. Sans qu'on puisse vraiment désigner un fautif, il manque la chaleur inexplicable, le feu sacré qui suintaient de chaque note de "EP" ou "Quality Control". Quand les boucles sont moins marquantes ou que les instrus manquent de variations, l'ennui pointe même la bout de son nez ('After School Special', 'Sum Of Us', 'Hey'). Ce ne sont que des incidents isolés dans un ensemble très recommandable mais ils sont symptomatiques du manque d'innovation du Lp. Faute de vraie révolution au sein du groupe "Power In Numbers" est moins essentiel que prévu. Néanmoins, il reste un album très solide à ranger aux côtés de Blackalicious et DJ Shadow parmi les meilleures sorties récentes en provenance de la côte Ouest. Une très bonne sortie mais pas un classique quoi!

Cobalt
Octobre 2002