Colombus, Ohio berceau d'un hiphop toujours percutant et authentique voit naître un atout de taille en la personne de Blueprint. Après avoir écumé les battles à travers le pays (on se souvient de sa défaite en finale du Scribble Jam 2000 contre Sage Francis), celui-ci établit son propre label Weightless au sein duquel il inscrit sa première signature sur "The Up To Speed EP" des Greenhouse Effect. Ses premières foulées de producteur synonymes de réussite, se voient également couronnées par son travail livré sous le costume de beatmaker, sur les deux remarquables LP's de son comparse Illogic. Après Soul Position, EP fort remarqué en 2002 par son admirable alchimie entre RjD2 et Blueprint (le emcee cette fois-ci), il lance son album solo "The Weightroom" qui devrait faire parler de lui très prochainement avec notamment les participations de Greenhouse Effect, Illogic, Aesop Rock, Slug ou encore Vast Aire. Un petit entretien avec l'intéressé nous éclaire davantage quant à l'avenir de Weightless et ce "Weightroom", premier essai solo à la fois intriguant et alléchant.
Hip-Hop Core : Quel a été ton premier contact avec la culture hip-hop ?
Blueprint : Mes premiers souvenirs remontent à l'époque où j'étais en primaire et que mon cousin le plus âgé me faisait des mix-tapes. Il avait 7 ou 8 ans de plus que moi et il était DJ. A chaque fois que j'allais chez ma tante, il était sur les platines en train de s'entraîner alors je lui ai demandé de me faire des cassettes. Je ne me rappelle plus exactement l'année mais c'était au moment ou 'Planet Rock' et 'Scratchin'' étaient à la mode. C'était à l'époque où les disques hip-hop n'avaient pas nécessairement un mec qui rappait sur l'instru. Je me passais ses cassettes en boucle et après j'ai commencé à enregistrer les shows rap à la radio le vendredi soir sur mon petit poste stéréo.
HHC : Qui t'as donné envie de devenir emcee ET producteur ?
B : Au départ, j'ai commencé à freestyler et à rapper avec mon crew Greenhouse Effect et je ne faisais pas de beats. En fait, je me suis mis à la production uniquement parce que personne autour de nous ne pouvait nous faire des sons. A l'époque, je pensais que ce serait juste quelque chose de temporaire mais, en m'améliorant au fil du temps, ça a commencé à vraiment me passionner. Maintenant, je sais que je ferai probablement toujours des 2.
HHC : Quel est ta relation avec Illogic ? Ensemble, vous nous avez donné 2 albums incroyables et votre duo semble fonctionner à merveille. Peux-tu nous expliquer comment vous travaillez et nous dire la façon dont tu envisages "Got Lyrics ?" et "Unforeseen Shadows" avec quelques années de recul ?
B : Illogic est vraiment un ami très proche. On s'est rencontré en 1997 et on a commencé à faire de la musique en 98 lorsqu'il a déménagé à Cincinatti, Ohio pour y aller à l'école. Pour ma part, je venais juste de déménager là-bas aussi alors on est entré en contact et on a commencé à travailler sérieusement ensemble. A partir de là, on a abouti à "Unforeseen Shadows". Je pense pouvoir dire qu'on a une bonne et saine relation de travail au niveau de la musique. Je veux dire que l'un peut tout à fait dire à l'autre ce qu'il aime ou n'aime pas chez les rimes ou les beats de l'autre lorsqu'on collabore. Ca crée une atmosphère de travail très créative et ouverte. Sinon, on parle aussi ouvertement du type de disque que l'on veut enregistrer avant même de se mettre à l'ouvrage ; ce qui, à mon sens, nous donne une assez bonne vision d'ensemble du projet lorsque vient le moment de créer.
Quand on a fait "Unforeseen Shadows", on essayait juste d'expérimenter et de faire des chansons qui échappent aux étiquettes et aux classifications. Je pense qu'on a réussi de ce point de vue. Pour "Got Lyrics ?", on avait décidé de faire un disque plus conventionnel qui serait plus facile à faire sur scène pour Illogic. Je pense qu'on a aussi réussi à atteindre notre objectif avec cet album. Globalement, je suis assez content de mon travail sur ces 2 albums. Chacun d'eux marque une étape dans mon évolution en tant que producteur et je pense que ces 2 opus ont vraiment contribué à la vision que j'ai aujourd'hui de mon travail.
Le seul petit regret que j'ai vis-à-vis de ces disques, si tu veux, c'est que je n'ai pas nécessairement été très ambitieux au niveau de la production. Je n'ai pas laissé une empreinte profonde sur le genre. J'entends par là que je n'ai pas choisi un style de beats particulier et essayé de m'y restreindre et d'explorer toutes les possibilités qu'il offrait… Mais, dans le futur, je ferai plus de trucs de ce genre dans mes disques.
HHC : Peux-tu nous donner plus d'informations sur "Celestial Clockwork" ? Quand va-t-on finalement le voir atteindre nos bacs de disques ?
B : "Celestial Clockwork" sera terminé d'ici la fin de ce mois et il devrait sortir au début du mois d'Août. Je suis en train de le peaufiner depuis 2 mois. C'est un album très conceptuel, vraiment opposé à tous les disques battle actuels… et je pense que c'est un de nos meilleurs travaux communs jusqu'ici. C'est assez sombre et changeant mais en même temps c'est funky aussi.
HHC : Il y a plus de 2 ans, tu parlais déjà d'un album instrumental de ton cru "Chamber Music". Est-ce un projet que tu as toujours ? Pourquoi prend-il tant de temps à boucler ? Est-ce parce que tu souhaites travailler chaque titre avec attention pour que le résultat soit plus que parfait ?
B : Pour tout te dire, j'ai terminé "Chamber Music" depuis à peu près un an mais je ne suis pas tout à fait sûr de vouloir le sortir, parce je ne pense pas nécessairement qu'il représente encore là où j'en suis au niveau de la production. J'ai commencé à bosser dessus en 2000 en utilisant mon 12 pistes, une platine qui n'avait aucun contrôle de la rythmique et un EPS 16+ qui avait seulement 22 secondes de temps disponible pour les samples… Alors il y avait de sérieuses limitations au niveau du matériel. Maintenant, je pense ne plus avoir aucune limite de ce type dans ce que je fais. J'ai une MPC qui a 2-3 minutes de sampling time, des platines Technics et Pro Tools. Si je devais faire un autre album instrumental, il serait bien plus compliqué et du coup je me demande vraiment si je vais sortir "Chamber Music" un jour. Il y a des trucs biens dessus mais je sais qu'il va y avoir des gens qui remarqueront que ce n'est pas aussi élaboré que mes nouvelles productions et qui en seront un peu déçus. Alors quand tu prends en compte tous ces facteurs et que tu leur ajoutes le fait que les albums instrumentaux doivent être plus profonds que les disques "normaux", tu comprendras que je suis assez réticent vis-à-vis de "Chamber Music". Je pense qu'il va sortir quand même mais je n'en suis pas sûr…
HHC : Parlons de Greenhouse Effect maintenant. Quelle est l'histoire complète du groupe ? Quels sont les projets en cours avec Inkwell et Manifest ?
B : Greenhouse Effect est mon crew originel. Celui avec lequel j'ai commencé à rimer au collège. La base de Weightless Records. Cependant, il y a 2 semaines, Inkwell s'est complètement retiré du hip-hop pour des raisons religieuses… Alors on en est au point mort ces derniers temps. On a un album terminé qui s'intitule "Life Sentences". Il devait sortir l'an passé mais il a été repoussé à cause de mon travail avec RJD2 sur le projet Soul Position. Néanmoins il devrait sortir plus tard cette année. A cause du départ d'Inkwell, on était prêts à dissoudre Greenhouse Effect mais Manifest et moi avons décidé de continuer l'aventure et de sortir ce nouvel album. Après la sortie de ce LP, on va sûrement entrer en studio pour redéfinir le son et le style de Greenhouse parce que Inkwell jouait un rôle énorme dans le groupe. Il rappait sur chaque chanson de chacun des albums qu'on a fait. Mais je pense que Manifest et moi avons déjà une idée de la direction que nous voulons prendre et je pense que les gens vont aimer ce que nous allons faire dans le courant de l'année prochaine pour rétablir le nom et le style Greenhouse Effect. Ca fait un moment qu'on a été inactifs mais je pense que cette année va être excellente pour le groupe parce que "Life Sentences" est vraiment un album fort et qu'il constitue une progression énorme comparée au EP "Up To Speed" qu'on a sorti il y a quelques années.
HHC : Qu'est-ce qui t'as poussé à créer ton propre label, Weightless ?
B : Disons qu'à l'époque je ne pensais pas avoir le choix. Dans l'Ohio, il n'y a pas vraiment de labels capables d'envoyer ton disque dans les magasins de New York ou Los Angeles. Alors j'ai commencé à enregistrer des cassettes chez moi après qu'on ait enregistré le EP de Greenhouse Effect et j'ai commencé à les vendre dans les concerts à Columbus ou Cincinatti. Puis on a commencé à vendre des K7 d'Illogic et tout est parti de là. Il n'y avait pas réellement beaucoup de crews qui faisaient ça par chez nous à cette période mais je savais qu'il y avait des gens qui étaient très doués sur la West Coast pour la vente de K7 et le business indépendant… Ca m'avait mis en confiance.
HHC : Tu étais d'abord connu comme un battle emcee mais dernièrement ton travail sur le "Unlimited EP" de Soul Position ou sur l'album de Greenhouse Effect ont montré que tu étais un vrai lyriciste capable d'écrire aussi bien des récits émotionnels que des punchlines frappantes. Est-ce quelque chose que tu voulais prouver avec ces projets ?
B : En ce qui concerne les battles, je les ai faites en premier lieu parce que je voulais me faire un nom et que j'avais envie de voir comment je pouvais me débrouiller dans le contexte des battles organisés. Au fil du temps, tu deviens connu pour ça. C'est encore plus vrai pour moi comme je n'avais aucun disque dans les bacs (même si j'avais déjà plein de matériel enregistré). Pourtant, j'ai toujours été plus intéressé par l'écriture de textes à thèmes et par les titres conceptuels… totalement à l'opposé des titres orientés battle en fait. Les battle rhymes, je voyais plus ça comme un moyen de rester affûté et de travailler son flow… mais ce n'était pas du tout ma spécialité. Greenhouse était, et est, un groupe qui a toujours été considéré comme étant plus intéressé par les commentaires sociaux que par les joutes verbales. Certaines personnes dans notre scène nous considéraient même comme des emcees 'conscients'… alors qu'il est vrai que les personnes extérieures voyaient mes performances dans les battles et pensaient que c'était mon dada. Mais tous nos disques sont très conceptuels et je me sens bien plus à l'aise lorsque j'écris sur des choses concrètes. Cependant, je sais que je dois une bonne part de ma notoriété aux battles alors j'essaierai toujours d'en mettre un peu dans mes disques.
HHC : Choisirais-tu toujours le micro plutôt que la MPC ?
B : A l'heure qu'il est, oui… Mais sur le long terme je choisirais la production parce que je vois plus de longévité dans ce domaine qu'au micro.
HHC : Penses-tu faire des productions pour des artistes hors du cercle Weigthless dans un futur proche ? Je crois que tu as fait quelques sons pour le solo à venir de Vast Aire de Cannibal Ox…
B : Oui, je pense que je vais sortir un peu de ma bulle… mais pas trop non plus. J'ai fait des trucs avec Vast pour son solo et aussi avec Cryptic One pour son album. Mais, en général, je ne suis pas très branché pour faire de la musique avec des gens que je ne connais pas. En plus, j'ai rarement des beats prêts sous la main, à faire écouter aux gens qui me le demandent. C'est la raison pour laquelle je fais rarement des productions pour des inconnus… mais j'aimerai essayer d'en faire un peu plus dans le futur. En ce moment, je suis tellement occupé à préparer la prochaine vague d'albums Weightless que je n'en ai pas vraiment le temps. Je suis vraiment à fond sur le prochain Illogic ces jours-ci et je commence aussi un projet avec CJ the Cynic qui est de mon crew alors je suis overbooké.
HHC : Quel est ton avis sur la prolifique scène de l'Ohio (Five Deez, Lone Catalysts, MHz, Mood…) ? Est-ce qu'il y a une sorte d'amitié commune entre tous les groupes de cet état ?
B : Je suis content de ce qui se passe dans l'Ohio et la façon dont on est en train de gagner en exposition au niveau national. Je pense qu'il y a une vraie amitié entre les gars de Columbus mais à Cincinatti ce n'est pas vraiment le cas. Je m'entends bien avec les gars d'ici comme Mr. Dibbs, Definition ou les Supapowers mais je ne pense pas qu'il y ait vrai sens de l'unité ou un réel goût de la collaboration comme je sens que c'est le cas à Columbus.
HHC : Je pense vraiment que le "Unlimited EP" de Soul Position est une des meilleures sorties de l'an passé. Pourrais-tu nous donner plus d'infos sur l'album à venir ?
B : L'album devrait être dans les bacs d'ici cet été et il est vraiment différent du EP. Je pense qu'il est dix fois mieux parce qu'il est bien plus conceptuel et que je dis bien plus de choses de valeurs. alors que le EP cherchait plus à être accrocheur et efficace. C'est vraiment mon premier vrai album "solo" alors je suis curieux de voir quelle vont être les échos mais je suis très confiant. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis prêt à ce qu'il sorte.
HHC : Comment es-tu rentré en contact avec RJD2 tant qu'on y est ?
B : Moi et RJ sommes tous les 2 des produits de la scène hip-hop de Columbus, Ohio. Il est membre de MHz. J'avais mon crew Weightless. La connexion s'est faite naturellement.
HHC : Qu'en est-il du projet Orphanage (ndr : super groupe composé de Blueprint, Slug, Aesop Rock, Illogic et Eyedea) ? J'ai entendu des rumeurs comme quoi l'album n'allait jamais sortir de manière officielle.
B : En effet, je ne pense pas que ça va sortir en tant qu'album car certains membres du groupe ne pensent pas que c'est vraiment un album en tant que tel. Je pense que les chansons vont surgir au fil des mois sur des singles ou des faces-b de maxis. Il y a un titre d'Orphanage sur "The Weight Room" et il se peut qu'il y en ait un autre sur le prochain LP ou single d'Illogic. Et je suis sûr que le reste fera surface dans le courant de l'année, c'est juste qu'ils ne seront pas tous réunis sur le même disque.
HHC : Quel est ton titre favori, toutes époques confondues ?
B : Putain, c'est une question hyper ardue ! Je ne pense pas en avoir un en particulier mais ça serait sûrement quelque chose de KRS-One ou 0Public Enemy.
HHC : Qu'est ce que tu écoutes ces jours-ci ?
B : Au cours du mois, je me suis écouté des vieilles cassettes comme "Edutainment" de Boogie Down Productions, "It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back" de Public Enemy, "Business As Usual" d'EPMD et une vieille mixtape de Tony Touch de 1998. J'ai une vieille Cadillac et je n'y ai qu'un lecteur de cassettes alors je suis toujours en train de m'écouter des vieux trucs. J'écoute beaucoup de Radiohead et Ben Harper sinon.
HHC : Quels sont tes plans pour les 2 prochaines années ?
B : Faire autant de tours que possible et établir Weightless comme un label plus fort et couvert de succès. J'espère que d'ici l'an prochain Weightless sera en mesure d'avoir un vrai agenda de ses sorties et aura plus de ressources et d'influence.
HHC : Ton nouvel album "The Weight Room" sort ces jours-ci. Peux-tu nous dire ce que tu attends de cet album ? Pourquoi as-tu choisi ce titre au passage ?
B : J'ai choisi ce titre parce qu'en gros tous mes gars de Weightless sont sur le disque et que c'est moi qui fais toute la production, c'est-à-dire le son Weightless. C'est notre domaine quoi. Vous pouvez vous attendre à un son très rugueux et sale. Plus que sur tous mes autres disques, j'ai essayé de donner une couleur à ce LP. J'ai choisi un thème ou une tendance pour les beats et j'ai tenté de piocher dans mon stock des prods qui collent bien à cette ambiance. L'avantage, c'est que si quelqu'un aime le feeling qui se dégage d'un des titres, il va aimer tout le reste du LP… Par contre, s'il n'aime pas le côté sale du projet, il se peut qu'il soit complètement hermétique à ce projet. Pour ma part, je suis content de la production et des rimes présentes sur "The Weight Room". Il y a beaucoup de gens qui ne savent pas encore que je fais aussi des beats alors ce disque est aussi une introduction à mon travail pour eux. Ce n'est pas un solo de emcee. Ce serait plutôt un solo de producteur. Je fais tous les sons sur cet opus mais je rime simplement sur 5 ou 6 chansons. Tous les invités ont été libres de parler de ce qu'ils voulaient sur "The Weight Room". Il y a des titres orientés battle et des titres qui parlent de la vie. J'espère avoir réussi à trouver un équilibre entre battle rhymes et contenu "sérieux".
HHC : Tu dois savoir que "The Weight Room" a été piraté sur le net depuis plus de 2 mois alors qu'il n'était pas encore sorti en magasin. Que penses-tu de cet état de fait ?
B : Ca m'a énervé parce qu'en tant qu'artiste, tu as envie que la première fois que les gens écoutent ton disque ce soit lorsqu'ils posent le CD sur leur platine après avoir arraché le plastique protecteur… mais maintenant je vois ça de manière différente. Quand j'ai décidé de faire ce disque, c'est parce que je voulais faire une compilation de productions et que j'avais envie de faire connaître le son Weightless et notre crew au maximum de personnes possible. Alors quand je regarde les faits, le bootlegging m'a aidé en fait à accomplir la mission que je m'étais fixée. Ca a créé un environnement qui a permis à mon crew d'être entendu par beaucoup de gens qui n'auraient probablement jamais eu l'idée d'écouter ce que nous faisons… C'est plutôt une bonne chose. Je savais que les gens allaient se ruer pour bootlegger "The Weight Room" alors je n'en ai fait aucune version alternative parce que je voulais capitaliser sur cette envie des gens d'entendre de nouveaux sons. Pour le moment, ça a fonctionné. Bien entendu, chaque artiste a besoin de faire des ventes pour survivre mais je pense que le mieux pour Weightless maintenant c'est d'être dans la lumière et d'être plus visible… les ventes viendront plus tard. Cependant, j'ai fait une nouvelle chanson solo qui n'est pas sur la version originale (du fait du bootlegging) afin de le rendre un peu plus intéressant pour tous ceux qui l'achètent vraiment.
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