Maintenir l'adversaire au sol. Ne pas lui laisser le temps de se relever et de reprendre son souffle. L'achever avant qu'il ait pu retrouver l'intégralité de ses capacités. C'est visiblement la nouvelle tactique offensive adoptée par Weightless Recordings. Ainsi, une poignée de semaines après nous avoir terrassé par l'excellence de sa production sur toute la longueur du "Celestial Clockwork" d'Illogic, Blueprint remet le couvert en solo avec un EP inattendu. Réunissant une poignée d'inédits et quelques dépoussiérages de titres remarqués par le passé, cette première sortie sous le pseudonyme de Printmatic prend à la fois la suite de "The Weightroom" et son contrepied. Conçu à l'origine comme un tour CD réservé aux fans et pressé à 1000 exemplaires, "The Vitamins & Minerals EP" permet en effet à Blueprint de faire le point sur la carrière tout en dévoilant discrètement de nouvelles facettes de son talent.
Au cours des 7 titres au programme, on retrouve ces midtempos travaillés, sombres et finement arrangés qui nous ont toujours séduit depuis "Unforeseen Shadows". Les inédits et les réinterprétations portent tous le sceau reconnaissable de Blueprint et des différentes phases de sa carrière. Pour autant, les confections de la face sombre de Soul Position se teintent ici d'une couleur plus brute, plus rentre-dedans qu'à l'accoutumée. Dès le démarrage, la rythmique étrange de la mise en jambe 'Vitamins & Minerals' donne le ton: rugueux et corrosif. Confirmant la tendance, l'imposant 'Catch 20' mais aussi la guitare électrique massive et la basse sous pression de 'Yo Yo' font remonter inconsciemment quelques pulsions primitives plutôt jouissives. Réjouissons-nous: Blueprint ne s'est pas contenté de sortir des fonds de tiroir. Les guitares entrelacées et le final extatique sur fond de voix arabisantes d'un 'Time Management' revu et corrigé pour le meilleur sont d'ailleurs là pour le prouver. Cette version revisitée surpasse en effet clairement l'original qui brillait pourtant sur "The Weightroom". Un bon point. A côté de quelques passages bien référencés, ce EP contient de plus quelques surprises sympathiques. La plus importante est incontestablement le superbe spoken-word 'One Step For Every Tear'. Sur un décor improbable à base de tambours et de nappes intrigantes, Blueprint y passe au crible ses faiblesses, ses erreurs, ses déceptions et ses pensées sombres
"to purge myself from the pain that poisons me and weakens me". Ce titre introspectif hanté par le spectre de la dépression et du suicide nous prend par surprise et laisse des traces… Blueprint a clairement pris de la bouteille.
On notera d'ailleurs son importante présence microphonique; lui qui avait jusqu'ici souvent préféré rester en retrait sur ses propres productions. Choisissant de s'entourer de ses collègues de Greenhouse Effect par le passé, il aura visiblement fallu Soul Position et la rencontre avec RJD2 pour que Blueprint change la donne et assume ses origines de emcee. Sûrement mis en confiance par le bon accueil réservé à "8 Million Stories", il prend ses responsabilités, conscient du fait que :
"Whatever the language, Blueprint freaks it well / From Visual Basic bound to speak and spell". Et il a bien raison, car il se montre aussi à l'aise lorsqu'il évoque son statut d'artiste underground méconnu que lorsqu'il verse dans l'introspection ou qu'il dépeint cliniquement les rues semées d'embûches des ghettos américains
"where kids slang cracks, hang out like stray cats, smoke weed and play craps and try to make the paper stack" (cf. l'angélique 'Holding Tank'). De son flow élastique et expressif, modulé au gré des rythmiques et des thématiques, il montre que sa collaboration au long cours avec Illogic a eu des effets positifs sur son écriture. Ses nouveaux textes, parsemé de scénettes bien trouvées, prennent ainsi une dimension plus cinématographique. Cependant, Blueprint compte bien montrer que sa métamorphose en lyriciste reconnu ne lui a pas fait perdre son énergie et son goût pour les battle rhymes incisives (
"You got loose lips but your music ain't tight"). Roi des punchlines et des métaphores alambiquées, il garde le sens de la phrase qui fait mal et rebondit sur le beat,
"smackin' crews who thought they was running shit but only in the bathroom". Du coup, malgré sa courte durée, ce petit EP donne une vision d'ensemble assez complète de tout ce qui définit Blueprint. D'autre part, pour ne rien gâcher et finir les choses en beauté, le chef de file de Greenhouse Effect laisse à nouveau filtrer de ses archives personnelles un extrait de The Orphanage. Diss-track nerveux à souhait rempli à ras bord de hip-hop quotables, 'Hold Mine' nous replonge quelques années en arrière à l'époque où Blueprint et Illogic s'étaient joints à Aesop Rock, Eyedea et Slug pour enregistrer un LP mort-né mais pourtant légendaire.
Même caché derrière le pseudonyme de Printmatic, Blueprint reste l'un des emcees-producteurs les plus constants et remarquables de ces dernières années. Une des rares valeurs sûres actuelles. De ceux dont chaque projet mérite le détour. "The Vitamins & Minerals EP" ne déroge pas à la règle et il satisfera à coup sûr tous les adeptes du fondateur de Weigthless. Trouvant un bel équilibre entre emceeing pur et moments autobiographiques, ce petit opus cadeau est un apéritif bienvenu en attendant la publication du quasi-mythique "Chamber Music". En effet, pour terminer le travail et achever définitivement la concurrence, Blueprint devrait finalement sortir son premier album instrumental le 2 Novembre. No rest for the wicked.
Cobalt Août 2004