Aesop Rock
None Shall Pass

Souvenez-vous : vous aviez choisi une idole et c'était lui. L'ado caisse à la voix caverneuse ne devait pas vraiment muter. Pourtant, l'appareil dentaire comme harnaché sur les joues, il a déçu. Et, malgré tout, il nous est venu cet été sous le même nom mais dans une nouvelle tenue. Dandy raté d'avance, c'est en en faisant trop qu'Aesop Rock a décidé de repartir de plus belle. Après des errements du côté de l'auto-caricature et des sirènes publicitaires sportswear, le New-Yorkais s'arme donc de son allié Blockhead pour nous balancer un véritable pralin via "son espace" au début de l'été. 'None Shall Pass' et son rythme martial nous plongent dans une cave hantée réaménagée en lounge-bar. Une voix implore qu'elle veut simplement nous venir en aide. On a vite compris le tableau : un MC plus taquin, plus dansant, répète ce qu'il estime avoir à redire.

Dans les albums "Float" et "Labor Days", Ian Bavitz alternait un velours sombre et une inspiration acérée par l'entaille du quotidien. Dès l'entame de ce nouveau disque, avec 'Keep Off The Lawn', Aesop annonce la couleur de son nouveau personnage. Sorte de caméléon fluorescent, il alterne des airs à la Mickey Avalon et ceux d'une icône modasse bientôt interrompue par les gazouillements de sa propre progéniture. Beatmaker inventif même s'il peut se montrer trop linéaire ('Citronella', 'Five Fingers'), Ian B. est avant tout un bon cracheur de rimes. Le timbre grave de son organe l'enveloppe et fait oublier qu'il est monocorde. Il appartient au cénacle de ces rappeurs donnant l'impression de pouvoir scander n'importe quoi avec un aplomb terrible. De fait, il est de plus en plus en dur de se concentrer sur son propos. On perd en richesse ce qu'on gagne en style. La note en haut à droite est moins bonne qu'au début, mais le marché terriblement actuel. Ce qui, à tout prendre, est bien vu.

Avec 'Bring Back Pluto', 'Fumes' et 'Getaway Car', l'ébéniste du rythme Blockhead nous offre une belle tranche de retrouvailles. Une trilogie dans laquelle Aesop se love tel le châtelain dans son fauteuil fétiche et se rappelle à ses indéniables talents d'enjoliveur vocal. Soudain transportés un jour de rentrée des classes, nous retrouvons l'orgue vaporeux et les cordes distendues de Blockhead et nous revoyons le radiateur du côté fenêtre. Assez au fond pour en jeter. Assez devant aussi. Les accords chevrotants font un chœur de mercredi après-midi passé à mimer les scènes d'Amityville – La Maison du Diable. Puis vient l'âge des premières cigarettes. Perdu dans les volutes d'une énième bouffée, Bavitz devise sur fond de basse suraiguë et de combats musicaux opposant scratches, cordes suggérées, flûte haut perchée et batterie niveau débutant. De quoi ça parle? "With the same speed / slow down" à l'envi, à mesure que le cendrier se remplit et que la cervelle s'évide. Après ces pralines acidulées, 'The Harbor Is Yours' fera presque tâche, brouillon, chute de menuisier. Mais passons.

Le producteur attitré d'Aesop Rock n'est pas le seul à faire briller l'affiche de cette galette. Les co-équipiers Def-Juxiens Cage et El-P sont aussi de la partie, ce dernier apportant à '39 Thieves' juste ce qu'il faut de torture mentale et de vivacité. Sur 'Gun For The Whole Family', les productions d'El Producto sont toujours aussi paranoïaques et contrebalancent plutôt bien un album par ailleurs moins ravagé. On peut y voir une version plus incisive du Aesop des débuts, brut et pourtant élégant. Force est de l'admettre, avec cet album, l'artiste ne se présente plus vraiment sous le même jour. Il a gagné en efficacité... et il signe au passage son meilleur essai depuis un "Daylight" EP qui a déjà 6 ans. Flanqué d'une personnalité égale, d'atouts et de tics qui sont restés intacts, il a voulu apprendre à dominer toutes les facettes de sa musique. A en rester le maître. Il est désormais plus ripoliné diront certains. Ils ont toujours dit. Ils ont même parfois raison. Nous ne vous en voulons pas d'aller fureter vers d'autres cieux. Mais gare à ne pas changer trop souvent d'idole. Promis?

Billyjack
Septembre 2007
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Label: Def Jux
Production: Aesop Rock, Blockhead, El-P, Rob Sonic
Cuts: DJ Big Wiz
Année: Août 2007

01. Keep Off The Lawn
02. None Shall Pass
03. Catacomb Kids
04. Bring Back Pluto
05. Fumes
06. Getaway Car (feat. Breezly Brewin & Cage)
07. 39 Thieves (feat. El-P)
08. The Harbor Is Yours
09. Citronella
10. Gun For The Whole Family (feat. El-P)
11. Five Fingers
12. No City
13. Dark Heart News (feat. Rob Sonic)
14. Coffee (feat. John Darnielle)

Best Cuts: 'None Shall Pass', 'Bring Back Pluto', '39 Thieves'

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