Alias

Pilier de la maison Anticon, Alias a tout vécu, de la connexion avec Sole au fin fond du Maine à l'ascension fulgurante sur l'autre côte, du rang de pape du goth rap à des instrumentaux résolument tournés vers l'electronica... Entretien par mail sur le passé, le présent et le futur du monsieur. English version



Hip-Hop Core: Avant tout, raconte-nous un peu à quoi ressemblait ton enfance…



Alias: J'ai d'excellents souvenirs de mon enfance. Mes parents venaient de la classe ouvrière, mon père était pompier et ma mère bossait dans un magasin qui vendait du matériel d'art. Mon père était aussi batteur, j'ai donc grandi dans un environnement musical. A 14 ans, mes parents m'ont offert ma première boîte à rythme pour Noël. Il n'y avait qu'une seule sorte de kick, de snare, etc, mais ça m'a permis d'apprendre la programmation de beats.



HHC: Parlons des débuts d'Anticon... Quel a été le déclic qui t'a poussé avec Sole à créer ce label?



A: Eh bien, à l'origine le nom Anticon est une trouvaille de Sole et Pedestrian, en plus de quoi ils ont beaucoup bossé pour que l'on ait une base dans la Bay Area. Je pense que toutes les personnes impliquées dans Anticon désiraient faire quelque chose de différent, et les amateurs de hip hop n'aimaient pas trop notre son. Alors au lieu de faire face seuls, on s'est soutenus mutuellement pour devenir un crew d'artistes. Ca s'est simplement monté par nécessité.



HHC: Il semble que l'enregistrement de l'album des Deep Puddle Dynamics ait énormément compté pour vous tous. Peux-tu nous décrire l'ambiance qui régnait à l'époque? Je n'ai jamais compris pourquoi Slug vous a tourné le dos par la suite...



A: Je peux seulement parler en mon nom, mais faire cet album a été pour moi le déclic qui a enclenché ma carrière musicale. Pendant l'enregistrement de ce projet j'ai réalisé que je pouvais peut-être faire cela à plein temps et je m'y suis appliqué. C'était une période très excitante pour moi, parce que nous enregistrions ces morceaux avec une approche nouvelle et des styles différents, différents de tout ce que j'avais fait avant. Etre au milieu de tous ces gars m'a aussi donné l'envie de faire plus de trucs avec eux, ils étaient tous dope à mes yeux. ils ont ouvert des portes dans ma tête. Quant à Slug, il avait déjà largement contribué à la construction de Rhymesayers à l'époque. Je suppose qu'il n'a pas voulu abandonner tout cela. J'ai lu et entendu des interviews dans lesquelles il dit qu'il n'aime pas cet album et ne comprend pas un mot de ce que tout le monde raconte. Je ne suis pas d'accord. Je pense qu'il a écrit quelques uns de ses meilleurs textes sur "The Taste Of Rain". Mais les gens font leur chemin. Les choses se font, puis disparaissent. C'est inhérent à la musique et à l'amitié je suppose.



HHC: Puis vous avez tous déménagé à Oakland.. Quels souvenirs as-tu de cette période? Vous viviez tous plus ou moins les uns sur les autres à ce que j'ai compris... En plus de quoi tu venais de te marier...



A: Oui, ma femme Jenn est avec moi depuis le début, mais tous les gars d'Anticon l'ont accueilli les bras ouverts. Avec le recul, c'est fou de penser à nos conditions de vie à l'époque. A la base nous étions neuf à vivre dans un deux pièces. Cétait une situation totalement folle. Ensuite nous avons emménagé dans un entrepôt amménagé à East Oakland, dans un environnement très industriel. Des impacts de balles aux murs. Des chiens enragés qui bouffaient les ordures et pourchassaient les gens; des flingues et tout le reste... Ce n'était pas l'endroit le plus gai au monde, mais cette expérience m'a permi de me construire, donc je n'en garde pas des souvenirs négatifs.



HHC: Parlons maintenant de la façon dont les gens percevaient Anticon... A l'époque où 'Divine Disappointment' est sorti, certains ont cru que vous étiez un collectif catholique... Sans compter le diss d'El-P par Sole... Pleins de personnes vous ont instantanément haïs à cause de ça, sans même écouter ce que vous faisiez... Avec le recul, as-tu des regrets sur certaines sorties qui auraient pu vous éviter plein d'ennuis?



A: Il y a toujours eu des gens qui détestaient ce que nous faisions, mais si c'était à refaire je ne changerais rien de ce que j'ai fais. Pourquoi devrais-je me soucier des gens qui détestent ma musique? Il y en a plein qui l'apprécie, et tant qu'il y en aura, je me sentirai chanceux. Je fais de la musique pour moi. Je ne fais pas de morceau ou d'album en me demandant quel type de personne va l'apprécier ou si ça va plaire. Si les gens apprécient la musique que je fais pour moi, ça me suffit. C'est comme un bonus.



HHC: Comment vois-tu l'évolution d'Anticon jusque ici? Tous ces problèmes semblent oubliés et vous êtes bien distribués désormais, mais paradoxalement les gens ne semblent plus aussi intéressés par vos sorties qu'ils l'étaient il y a quelques années...



A: J'aime ce qu'est devenu Anticon et je suis impatient de voir ce que nous réserve le futur. Notre public a toujours été composé de personnes très diverses. Je pense que le feedback est moins rapide qu'à l'époque car les gens qui achètent notre musique ne passent pas leurs journées devant internet, donc l'engouement n'est pas aussi immédiat. Mais nos ventes de disques ne cessent d'augmenter depuis quelques années. Je pense même que l'engouement est probablement plus grand maintenant.



HHC: Maintenant sur un plan personnel... "The Other Side Of The Looking Glass" est un album où il est beaucoup question de sentiments personnels, il est assez dépressif et effrayant. L'as-tu créé comme une sorte de psychothérapie? N'as-tu pas eu peur un moment que de livrer autant d'informations personnels se retourne contre toi, surtout dans le milieu du hip hop, ou il n'est quasiment question que d'égo?



A: Encore une fois, je fais de la musique pour moi. Faire cet album a eu des effets thérapeutiques a bien des niveaux. Je voulais retranscrire les choses qui se passaient dans ma tête, et les faire sortir d'une façon originale. Mais c'est commun à tous les humains de traverser des mauvaises périodes et d'en parler. Je pense que c'est pour cela que ma musique parle à tant de personnes, c'est parce que je parle de choses qui leur sont familières, et de façon à ce que chacun comprenne. Pour ce qui est des histoires d'égos, ça m'est égal que d'autres rappeurs disent que je suis triste ou déprimé. C'était vrai à l'époque où j'ai enregistré ça, que peuvent-ils y répondre? J'ai vécu ça. Tout le monde est amené à vivre ça un jour ou l'autre, même les rappeurs qui jouent les gros durs.



HHC: Au même moment est apparu le terme "emo rap" dans lequel on y a compris Slug ou Awol... Qu'en penses-tu?



A: Emo rap, goth rap, nerd rap, etc... Elles me font toutes marrer. Ce sont juste des termes accrocheurs pour que les gens situent cette musique de façon facile. Tupac faisait passer beaucoup d'émotion dans certains de ses morceaux. Serait-il considéré emo rap?



HHC: Sur tes albums plus récents tu as laissé tombé le emceeing pour faire des prods plus electro. Etais-tu las des vieilles formules du hip hop?



A: Je ne me suis jamais lassé du hip hop, ça m'a juste semblé naturel. J'aime la production, bien plus que l'écriture de lyrics. J'écris encore de temps en temps mais je ne me lasse jamais de faire des beats. J'écoutais pas mal de musique électronique à cette époque et ça m'a fatalement influencé. Déjà sur "The Other Side Of The Looking Glass" on peut ressentir ces influences. J'ai juste progressé dans ce sens je suppose.



HHC: Comment en es-tu venu à travailler avec Markus Archer des Notwist?



A: Markus est venu à un de nos concert à Münich, durant la tournée Themselves/Alias. Nous écoutions tous Neon Golden durant la partie US de cette tournée. Le jour où nous l'avons rencontré nous étions tous un peu nerveux. Nous avons parlé un peu, je lui ai proposé de faire une collaboration ensemble et il a paru très excité par cette idée. Quand j'ai commencé à bosser sur "Muted", je lui ai envoyé des ébauches de morceaux pour voir ce qu'il pouvait en faire, et il a ajouté ses paroles et des parties de guitares. Il me les a renvoyées et j'ai fini le morceau en une journée. Je suis ensuite parti en tournée avec Lali Puna quelques temps l'an dernier. Markus est quelqu'un que je considère comme un ami proche désormais. C'est quelqu'un qui m'inspire beaucoup du point de vue musical. Il s'investit dans tellement de projets, et il continue de développer à chaque fois de bonnes idées. Et maintenant avec l'album de 13&God, Themselves et Notwist prouvent que deux groupes peuvent parfaitement travailler ensemble sans que le son de l'un des deux prenne le dessus.



HHC: Comment travailles-tu et avec quel équipement? Es-tu un gros collectionneur de disques?



A: Je n'ai pas fait les magasins de disques depuis un moment. J'ai environ un millier de disques. J'ai fait du tri récemment et gardé seulement ceux qui possédaient des breaks de batteries, ou des sons vraiment cools à sampler. J'utilise une MPC 2000XL principalement, mais aussi quelques claviers ces derniers temps. La plupart des arrangements se font sur la MPC et Digital Performer.





HHC: Décris-nous une journée typique d'Alias. Arrives-tu à vivre de ta musique? Quel est ton rôle au sein d'Anticon, hormis le statut d'artiste maison?



A: Je n'ai pas eu de "job normal" depuis quatre ans. Je me lève à sept heures et je fais du café. Je vais dans mon studio et je bosse sur ma musique pendant quelques heures, je fais un break puis je me remet au boulot. Parfois je me rend dans les bureaux d'Anticon pour filer un coup de main pour les promos ou les tournées. Je suis un des huit propriétaires donc j'essaie d'aider autant que possible sur toutes les sorties du label. Mes journées ne sont pas plus excitantes que ça en général. L'aspect répétitif est seulement interrompu par les tournées.



HHC: Tu as produit des morceaux pour des gens comme Thesis Sahib, Subtitle ou Bleubird... Comment se sont faites les connexions?



A: Ce sont des gens que j'ai rencontré sur ma route et qui m'ont beaucoup apporté. J'aime beaucoup discuter avec eux, en plus de quoi ils sont tous très talentueux. J'aime travailler avec des gens dont l'énergie positive transpire dans leur musique.



HHC: Un mot sur la fondation Dax Pierson?



A: Vous pouvez vous rendre sur www.daxpierson.com pour toute information sur une des meilleures personnes au monde. Dax est quelqu'un avec lequel j'ai eu de grandes conversations et c'est un musicien incroyable. C'est la personne qui m'a motivé à incorporer des claviers dans ma musique, après l'avoir vu faire sur la tournée Themselves/Alias. Jetez un coup d'oeil sur le site pour voir comment l'aider.



HHC: La question subsidiaire: ton meilleur et ton pire souvenir lié au hip hop?



A: Meilleur souvenir: avoir amassé une grosse collection de tapes au début des années 90, à l'époque où chacun avait son propre son et ne copiait pas le premier venu pour devenir connu. Pire souvenir: voir quasiment toute la musique tourner en rond dans la seconde moitié des années 90. Puis voir se répéter le phénomène sur la scène hip hop indé.



HHC: Tes futurs projets?



A: J'ai un nouvel album instrumental qui va bientôt sortir avec mon petit frère Ehren. Ca sort en Août et ça s'appelle "Lillian", qui était le nom de ma grand mère. Je suis aussi en train de finaliser un album que je produit pour une chanteuse de Brooklyn. Elle fait partie du groupe Healamonster & Tarsier et vous pouvez écouter ce qu'ils font sur www.17ftjellyfish.com. Ca sortira début 2006. Les deux sur Anticon. J'ai aussi un cd autoproduit, "All Things Fixable", qui sort cette semaine. Vous pouvez le commander sur www.anticon.com.



HHC: Ok... Merci pour tes réponses. Un dernier mot?



A: Ecoutez la musique avec un esprit ouvert.



Interview de Pseudzero
Juin 2005

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