"Being Kurtwood" est le fruit de la nouvelle collaboration du suédois Marcus de Stacs Of Stamina et du belge Siaz de Cavemen Speak. Il y a trois ans, les deux MC's hyper productifs avaient déjà enregistré un premier album aux sonorités hip-hop plutôt remarqué: "The World After 4/02", avant de se retrouver en 2004, en compagnie de Nomad (de Cavemen Speak) et Bleubird, au sein de Gunporn, le temps d'enregistrer l'indispensable "Pretty Pretty Please". Chacun de leur côté, Siaz et Marcus ont également connu une année chargée en 2005. Cavemen Speak a sorti "Tell All Residents" (leur cinquième opus en quatre ans), tandis que les Stacs Of Stamina déposaient l'album "Tivoli" dans les bacs. Compte tenu de cette prolifération de projets, on pourrait croire que Zucchini Drive n'est qu'une entreprise parallèle et secondaire. Il n'en n'est rien.

La réunion des deux MC's a de quoi faire saliver. Siaz et Marcus ont en effet de solides qualités vocales et des timbres de voix différents qui s'accordent à merveille. Pour mettre toutes les chances de leur côté, ils ont de plus su s'entourer. A la lecture du livret, la liste des producteurs impressionne: Marcus Archer (The Notwist), Alias d'Anticon, Lord Grunge de Grand Buffet... A ce joli monde, s'ajoutent notamment trois artistes du label electro-pop berlinois Morr (B. Fleichman, Populous et le belge Styrofoam) ainsi que les italiens de Giardini Di Miro. Même Nomad et Nuccini des Cavemen Speak sont de la partie. Sur le papier, autant dire que l'album promet.

Et dès le premier morceau, on rentre dedans tête baissée, instantanément immergé dans l'atmosphère créée par la formation post-rock transalpine Giardini di Miro. Deux guitares planantes jouent une mélodie répétitive sur un beat rapide et légèrement saturée. Un format qui laisse suffisamment de place aux MC's et qui permet d'apprécier la complémentarité des flows de Marcus (plus chantant) et de Siaz (plus grave et haché). Ce disque va sonner "post-hop", on le sent. Sentiment confirmé à l'écoute de l'excellent 'Sombre City'. La présence de Markus Acher au chant pour un refrain sublime et minimal (une voix, deux accords de guitare sèche, du bruit blanc) apporte un plus pop évident. Mais le morceau fonctionne aussi parce qu'il recolle rapidement à un format hip hop plus académique. Parce que Siaz et Marcus sont offensifs sur le micro.

Un peu plus loin sur la route, les morceaux ‘Vagabondage' et 'Good Music & Indian Food' confirment la capacité des deux MC's à rapper avec brio sur les instrus réalisés par les membres de l'écurie Morr. Siaz avait déjà assuré le rôle de MC sur la tournée de Styrofoam (auteur du bon "Nothing's Lost") en 2005 et l'on peut penser que cet album ne serait pas né sous cette forme sans leur complicité. L'hymne electro-pop lancinant 'Vagabondage' fonctionne ainsi comme la pierre angulaire d'un "Being Kurtwood" qui fleure bon l'Europe. Pour le meilleur, Siaz parvient par son flow tranché à apporter une tension bénéfique à l'ensemble.

Car on l'a compris, Marcus s'éloigne lui de son flow conventionnel et veut montrer qu'il est aussi capable de chanter. C'est net et plutôt réussi sur la ballade rafraîchissante 'Good Music & Indian Food' qui conclue l'album. Sur 'Earth to Kurtwood', on ne peut malheureusement pas en dire autant. Malgré ses jolis arpèges de guitares (production de Kaeoflux), on s'éloigne ici trop franchement des codes du hip-hop alternatif pour rejoindre ceux de la pop indé sans saveur. Le refrain ne convainc pas. Pour le coup, c'est trop propre et pas particulièrement fun ou émotionnel...

Dans l'ensemble, on préférera d'ailleurs nettement les morceaux tels que 'Easy Tiger', 'Bonafield Gambler', '1000 Streets Beneath The Sky' ou encore 'Knucklesandwich' qui sonnent résolument plus hip hop. Sur 'Easy Tiger', la prod de Lord Grunge est d'une rare efficacité et l'apparition d'un Bluebird au flow impeccable nous ramène immanquablement aux meilleurs moments de Gunporn. Dans le même registre, le 'Bonafied Gambler' mis en musique par Alias est, comme on pouvait s'y attendre, le gros morceau hip hop de l'album. Sur une recette très simple (un sample de sitar, une grosse basse et un beat Shadowesque super efficace), Siaz et Marcus montrent toutes leur maîtrise au micro. Plus les écoutes de ce morceau se succèdent et plus on pense aux Beastie Boys période "Check Your Head" avec Siaz dans la peau de Mike D et Marcus dans celle d'Adam Yauch... 'Bonafied Gambler' a quelque chose d'un peu intemporel à vrai dire… C'est du lourd!

Being Kurtwood n'est jamais aussi bon que lorsque Siaz et Marcus parviennent à maintenir une certaine tension, une certaine lourdeur.... Sur l'explosif '1000 Streets Beneath The Sky' produit par Lauri, le mélange de plusieurs chœurs, de grosses nappes et de scratches cosmiques crée un magma sonore et atmosphérique vraiment intéressant. On pense à l'outro de 'I Promise Never To Get Paint On My Glasses Again 2' de CLOUDDEAD tandis que Marcus et Siaz se répondent avec une belle énergie. Même chose avec 'Banned From Poland', dans un style plus électronique toutefois, tout en effets travaillés et bidouillages expérimentaux. La production conjointe de B. Fleichman et de Nomad sonne un peu comme le meilleur de M83 en plus nerveux. Particulièrement à son aise, Siaz y dévore le micro avec l'appétit de l'outsider qui a tout à prouver.

Globalement, "Being Kurtwood" tient donc toutes ses promesses et constitue une belle porte d'entrée pour ceux qui ne sont pas encore familiarisés avec les travaux de Cavemen Speak ou Stacs Of Stamina. On pourra néanmoins regretter l'absence d'interludes (qui auraient permis de relier un ensemble assez hétérogène). Dommage aussi que l'album ne soit pas un peu plus conceptuel et qu'Alias et Nomad ne prennent pas le micro. Mais mis à part la faute de goût 'Earth To Kurtwood', l'ensemble convainc sans mal. Marcus rachète ici de belle manière le dernier Stacs Of Stamina (plutôt passable). En outre, l'omniprésence de guitares raffinées fait de "Being Kurtwood", un album quasi-indispensable pour tous les amateurs de fusion post-rock/rap/electronica, qu'ils soient fans de Soso, de Brad Hamers ou du dernier Boom Bip… ou qu'ils s'intéressent de près au label Morr et à Marcus Archer (vu récemment avec Dose One et Jel d'Anticon sur le projet "13 & God").

Kid Charlemagne
Avril 2006