Avec "Butter For The Fat" et le parachutage d'une poignée de productions meurtrières, Tacteel - ancien ATK - s'est révélé être un des beatmakers français les plus prometteurs et les plus habiles dans le maniement des machines. Porte-parole, avec Institubes, d'une assemblée de terroristes du rap, représentant français de la dream-team Lex Records et moitié de FuckAloop, le bonhomme est devenu en très peu de temps l'une des valeurs sûres de la chanson française. Quelques jours après qu'il ait enflammé la "Guinguette pirate" avec son acolyte Para One, et alors qu'il arpente le pays pour promouvoir son "Blame It On The Music", le directeur artistique et co-fondateur du label le plus excitant de l'hexagone se livre et répond aux questions indiscrètes d'Hip-Hop Core. Baise une boucle !
Hip-Hop Core : Avant toute chose permets moi de t'infliger la nécessaire question de présentation, car ici-bas certaines personnes ne te connaissent pas, ou trop peu.
Tacteel : Je me surnomme Tacteel, je viens d'avoir 27 ans, je suis brun et je mesure un mètre soixante dix-huit, yeux verts. J'ai autrefois fais partie du groupe ATK. J'ai réalisé fin 2001 un Ep solo intitulé "Butter For The Fat". Je suis membre du duo FuckALoop, avec ParaOne. Je fais également partie du collectif SuperFamilleConne. Je suis le co-fondateur d'Institubes. Mon prochain projet sortira chez Lex Records.
HHC : Quel regard portes-tu sur l'aventure ATK ? Quels enseignements en as-tu tiré ?
T : En remettant ça dans son contexte, on se rend compte de deux choses : avec ATK nous avons eu à un moment donné deux cartes en main : pléthore de rappers et DJ's parmi lesquels il y avait des gens très doués, et la possibilité de faire nos premières armes directement dans des studios professionnels. Or en 95/96, faire des morceaux de façon un peu aboutie n'était pas encore chose courante quand tu n'étais pas signé quelque part. Ce sont ces deux éléments dont je garde un très bon souvenir.
HHC : Ton actualité est plus que chargée ces temps-ci, le point d'orgue est sûrement la concrétisation du projet "L'Atelier". L'album est enfin sorti après moult déconvenues, c'est avant tout un disque de producteurs avec une ambiance unique et une patte reconnaissable. De quelle manière avez-vous réparti le travail, comment s'est construit l'album ?
T : Un des principes de l'Atelier a été justement de ne pas répartir le travail. Lorsque nous avons commencé le projet, nous nous retrouvions tous ensemble sans savoir à l'avance ce que l'on allait faire. Pas de "thème", pas d'instru sélectionné, pas de "16 mesures" déjà écrits. C'est ainsi qu'on a réalisés 'Le Hip Hop C'est Mon Pote', 'Sans Fin', 'La Ville En Juin', 'Je Pense Cependant…', 'Collier De Nouilles' et 'La Fête De La Musique'. Ceux-ci ont tous été réalisés très rapidement, dans un laps de temps très court et constituent la base du projet l'Atelier. Parallèlement, Para et moi nous nous voyions beaucoup. Et nous avons commencé FuckALoop à ce moment-là. Une façon pour nous de décliner cette recherche de spontanéité et d'immédiateté propre à L'Atelier, mais axée sur la production, sans voix. C'est ainsi que nous avons notamment produit 'Inexact Order', 'All About Yves' et 'Accapellas…'. Enfin des morceaux comme 'Yaourt…', et 'Ne Sois Pas Triste' ont été produits de façon plus classique. Des morceaux réalisés très spontanément , des parties instrumentales très libres, d'autres morceaux réalisés de façon plus traditionnelle, voilà donc de quoi est composé l'Atelier. Ce sont les trois couches qui le constituent. L'enjeu a été ensuite de rendre le tout homogène à l'écoute : il s'agissait de réaliser un véritable album et pas simplement une suite de morceaux sans queue ni tête. Ca a été la grande difficulté lorsque j'ai établi le tracklist. Mais finalement chaque morceau de l'album s'écoute aussi en fonction des morceaux qui l'entourent et le précèdent. Et c'est là un grand avantage pour l'Atelier. C'est un disque court mais qui offre une grande variété dans son écoute.
HHC : Tu as rejoins les rangs du prometteur label anglais Lex Records, comment s'est passée la connexion, qu'est ce qu'on peut espérer de ta part après cette signature-surprise ? (LP, collaborations avec artistes maisons…).
T : C'est Teki Latex qui a été le premier à attirer mon attention sur ce label, alors que la compilation "Lexoleum 001" venait à peine de sortir. Il avait par ailleurs le contact du responsable du label. Nous n'en avons plus trop reparlé jusqu'au jour où mon EP "Butter For The Fat" a été finalisé. Il a eu la bonne idée de me souffler de lui envoyer un exemplaire. Les échanges que nous avons eus ensuite ont été bons, il m'a demandé un des morceaux du EP pour le troisième volet de sa compilation. Je travaille en ce moment sur un EP prévu chez Lex pour fin 2003. Récemment j'ai remixé le morceau de Tes 'New New York' qui devrait sortir en maxi chez Lex à la rentrée avec d'autres remixes et des inédits. Mis à part cela oui, ce serait formidable de pouvoir travailler avec d'autres artistes du label. Mais je roule encore dans la catégorie des rookies. Je me concentre sur la production du EP avant tout. De cela dépendront d'éventuelles participations et rencontres ou si on me jettera des canettes à la gueule dès que je poserai un pied à Londres.
HHC : Qu'est ce qui a motivé la création du label Institubes ? Peux-tu présenter l'équipe et parler des projets en cours ?
T : Institubes est le fruit de longues discussions avec Teki Latex. D'une certaine manière on peut dire que les prémisses remontent à l'époque où je réalisais "Butter For The Fat". Pour cet EP j'avais tout fait tout seul (hormis la pochette, réalisée par Ra, que je salue ici) : trouver une usine, payer le mastering, trouver un distributeur… Or l'expérience s'est avérée concluante : d'une part parce que l'objet final est (à mes yeux, du moins) beau et de bonne qualité, d'autre part parce que les retours ont été bons. Il était donc possible, même si la sortie de ce disque s'est faite de manière confidentielle, de sortir un disque tout seul, et ensuite de le diffuser et de le vendre assez rapidement. Parallèlement nous nous rendions compte que les labels, petits ou gros, que nous approchions (pour l'Atelier comme pour d'autres projets) manquaient généralement de réactivité. Tout traînait pendant mille ans. Persuadés que nous étions de la qualité des musiques que nous et nos amis faisions et égarés par tout ce temps perdu, nous avons décidé de faire tout nous-mêmes. Institubes est donc composé de Teki Latex, OrioG, Etienne aka Aaron Krickstein, JR Etienne et moi- même. Quant aux projets : nous finalisons actuellement la production exécutive du maxi solo de ParaOne, prévu pour septembre. Sont ensuite prévus un 12'' de Cuizinier, "The Industrial Pimp EP" produit par ParaOne et moi-même ainsi qu'un maxi de TeamTendo. Nous prévoyons aussi l'album solo de ParaOne pour 2004. On aimerait bien sortir des morceaux de FuckALoop également. Le principe aujourd'hui est en effet de travailler avec des gens que l'on connaît personnellement. D'une part parce que nous sommes entourés de gens doués, d'autre part parce que c'est plus simple ainsi. Mais à l'avenir nous aimerions élargir nos sorties à des gens que nous ne connaissons pas forcément mais dont la musique nous a touché.
HHC : Quel est ton rôle concret au sein de cette structure ?
T : Je m'occupe de la production exécutive de chaque sortie. Je suis sensé aussi être également D.A., mais ce titre ne veut pas encore dire grand chose pour l'instant. En fait j'attends surtout d'avoir un grand bureau et des cartes de visite avec mon nom dessus.
HHC : Jusqu'à l'Atelier et hormis 'En Soulevant Le Couvercle', tu ne t'es que très rarement essayé à l'exercice de la production pour MC's, pourquoi ce choix ?
T : Je reste encore un peu traumatisé par cette époque où il fallait faire non pas de la musique mais "des instrus". C'est sans doute pour cette raison que mes collaborations avec des voix sont rares. Je crois que je suis beaucoup moins à l'aise avec des voix, c'est tout. Par contre j'aime bien les remixes, je garde un bon souvenir et suis fier de ceux que j'ai produit pour TTC, Abstrackt Keal Agram et Tes. Je m'y sens plus à l'aise sûrement parce que le processus est alors inversé. Cela dit j'aimerais faire plus de morceaux avec Cyan, et je prépare des morceaux avec TTC pour leur prochain album.
HHC : Sur "Buffet Des Anciens Elèves", tu partages les machines avec Para One, Delleck et même Tekilatex (à l'origine du morceau 'Bean Bogs'), quelle différence as-tu ressenti par rapport au travail personnel fourni sur "Butter For The Fat" ? En d'autres termes, es-tu plus à l'aise quand tu es seul aux manettes ?
T : Non, pas spécialement. Disons que l'émulation est différente, donc ce n'est pas vraiment comparable. Le travail à plusieurs a une dynamique que le travail en solo n'a pas. C'est son principal intérêt. Que ce soit lorsque nous nous passions les bandes les uns les autres, ou avec FuckALoop on travaille alors aussi en fonction de ce que les autres apportent. C'est alors un véritable échange et ça donne un coté "ping pong" assez ludique et enrichissant. Mais on finit tous par avoir envie à un moment de retourner travailler dans notre coin.
HHC : A chaque fois qu'un producteur estampillé "hip hop" sort des sentiers battus et balisés, on a tendance à comparer son travail à celui de Company Flow et consorts (pour réduire). Tu n'as pas échappé à la règle et même si je crois que le rapprochement n'est pas systématique, il me semble inévitable sur un morceau comme 'En Soulevant Le Couvercle'. Est-ce dû à une réelle influence ou à quelque chose que l'auditeur hâtif n'aurait pas saisi ?
T : Je n'aurais pas pensé que ce morceau en particulier subirait cette comparaison. Ce serait mentir de dire que l'écoute attentive de Co-Flow n'a pas été importante pour moi. Disons que ce qui m'a intéressé dans leur travail c'est avant tout un rapport voix/son très original. Même si c'est quelque chose que j'ai trouvé ailleurs également. Mis à part cela, et comme c'est le cas pour toutes les musiques qui me touchent, je n'essaie pas de décoder les systèmes et astuces de production pour les recracher ailleurs. Quant à l'auditeur hâtif, libre à lui de penser ce qu'il veut de tel ou tel morceau. De toutes façons je ne crois pas être très bon pour produire des morceaux à effet instantané - je le regrette un peu d'ailleurs, et je me soigne -. Actuellement les morceaux de musique ont une durée de vie de plus en plus courte. L'oreille des gens est tellement sollicitée et saturée de musiques et sons divers que les morceaux les moins catchy ont parfois le moins de chance d'être retenus. J'essaie juste de faire en sorte que chacun de mes morceaux soit ré-écoutable le plus souvent possible, et ce en donnant la possibilité à l'auditeur de changer de niveau d'écoute à chaque fois.
HHC : Es tu un "loopdigga" ? Est ce que la recherche de samples et de boucles est quelque chose qui te prend beaucoup de temps ?
T : On ne peut pas dire. J'ai beaucoup acheté de disques "à-une-époque". Je me suis pas mal calmé. Je n'ai rien contre les chercheurs de samples, mais ériger ça au statut de méthode de production me déroute un peu. Et au fur et à mesure je découvre de plus en plus les joies de la composition. C'est quelque chose d'assez nouveau pour moi (je procède généralement par collages), et c'est assez drôle de s'y essayer.
HHC : Qu'en est il de FuckALoop ?
T : FuckALoop c'est un grand terrain de jeu, avec beaucoup de sable, quelques vieux caddies, et un immense dragon en bois avec une immense gueule dont sort une langue en forme de toboggan. FuckALoop c'est un peu le terrain de La Villette avant qu'ils ne construisent la Cité des Sciences.
HHC : Quels sont les artistes actuels dont le travail t'intéresse le plus ?
T : Je ne suis pas vraiment ce qui se fait. D'une part parce que ça me saoule de courir, et parce que j'aurais sans doute peur de me retrouver influencé, sans avoir vraiment digéré quoique ce soit. Je préfère donc écouter ce que font mes amis, dont j'apprécie le travail. Et le rapport humain prévalant, je suis sur de ne pas tomber dans le piège de l'influence dévorante.
HHC : Tu viens également de livrer un mix-cd avec Screwy Truant ("Blame It On The Music"). Peux tu nous parler de la sélection, du co-auteur du projet et du concept-même de ce premier mix estampillé Institubes ?
T : "Blame It On The Music" est un bel objet. Screwy et moi avions envie de mixer des sons assez divers, quitte à faire un peu le grand écart. Ca représente nos goûts, qui sont assez éclectiques, et ça rend l'exercice du mix plus amusant que s'il s'agissait de mixer des morceaux d'un seul genre musical. On s'est aussi attaché à ne pas faire qu'une simple sélection, mais à vraiment mélanger le plus possible les morceaux entre eux, histoire de donner un vrai plus à l'auditeur. Screwy a une connaissance musicale très vaste, je découvre souvent avec lui pleins de sons que je connaissais mal ou même pas du tout. Le très bel artwork a été réalisé par notre ami Aboubabrar.
HHC : Quel est le dernier disque que tu as acheté ?
T : Penthouse Players Clique.
HHC : Pour finir, qu'est ce qu'on peut souhaiter à Tacteel et à Institubes ?
T : Récemment, le fondateur d'un label indépendant prestigieux a, à la faveur d'un coup de poker juridique absolument génial, revendu sa société (qu'il avait pris soin de fortifier tout au long de plus de 20 ans de métier) à une major pour un montant d'une indécence absolue. Pour situer je dirais que les seuls chiffres placés après la virgule suffiraient à te faire vivre toi et ta famille pendant au moins deux siècles. Voilà ce que l'on peut souhaiter à Institubes.
HHC : Merci Tacteel d'avoir consacré un peu de ton temps à Hip-Hop Core, longue vie à Institubes.
T : Merci à toi.
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