TTC
36 15 TTC

"36 15 TTC" est un album raté. Aucun doute, le troisième opus du groupe a visiblement été pensé, conçu et marketé avec un seul et unique objectif : élargir l'audience de TTC au prix d'un nivellement par le bas. Bourré de compromis artistiques et réalisé à la va-vite, "36 15" ne permet clairement pas au trio parisien de monter une marche supplémentaire dans l'improbable Hall Of Fame du hip-hop made in France. Si "Bâtards Sensibles" avait pour le moins divisé les auditeurs (les "pour" défendant le style unique d'un trio apportant un plus inédit dans le paysage sclérosé du rap français vs. les "contre" pourfendant le côté artificiel d'une démarche artistique s'éloignant résolument des bases du hip-hop), il y a fort à parier que la nouvelle livraison de TTC parviendra à remettre tout ce petit monde d'accord. Nonobstant certaines qualités, la nouvelle livraison du trio parisien flirte en effet le plus souvent avec un certain degré zéro de la musique. Il faudrait être sourd, ou alors ne pas avoir écouté le disque, pour soutenir le contraire.

Prenons un exemple symptomatique : l'insupportable 'Paris Paris', hymne d'une platitude absolue dédié à la capitale. Passant complètement à côté de son sujet, ce morceau racoleur à destination d'un auditoire juvénilo-boutonneux encanaillé par Skyrock ne donne lieu qu'à une description matérialiste de la ville aux lumières ("Pour dépenser ton cash, Paris est l'endroit parfait") qui n'évoque en rien ses singularités. Plombé par un refrain insipide resservi jusqu'à l'overdose, par une production d'Orgasmic d'une rare médiocrité et par des lyrics insignifiants et de mauvaise foi, derrière leur second degré sous-jacent ("La meilleure musique du monde sort d'ici, on est en avance de 10 ans dans la plupart des styles, je ne prends pas pour un imbécile"), 'Paris Paris' n'en mène pas large. Il s'agit d'une constante sur l'album.

Ce n'est pas pour rien que Para One avait affirmé voici quelques mois que "36 15 TTC" contiendrait au moins 8 tracks calibrés pour passer sur les radios généralistes. Parole tenue. 'Paris Paris' fait ainsi partie de ce noyau dur de morceaux qui arborent fièrement de larges concessions commerciales. Le putanesque 'Téléphone', en est lui aussi la triste et désagréable illustration, entre la voix criarde de Teki Latex et le martèlement incessant de sonneries de téléphones portables (en guise de pseudo-concept sonore). Pire encore, le stupide 'Frotte Ton Cul Par Terre', morceau "club" à destination des soirées d'écoles de commerce et/ou des 12-14 ans. S'il faut prendre ce titre comme un avant-goût du solo de Teki, autant dire que ce dernier s'annonce terrifiant… Au final, les trois emcees ne font rire qu'eux-mêmes. Plus que le manque de finesse, c'est bien l'absence de traits d'humour qui fait tomber le tout à plat. Seul le passage au micro de Tacteel provoque un léger sourire, mais plus pour la fausseté de son timbre que pour sa prestation lyricale : "Montre-moi ce dont tu m'as parlé. Tu sais ce je veux, donne-le moi, je suis affamé. S'il te plait, continue de le secouer, je sais que t'es douée, bouge ton cul comme une bouée".

A bien y regarder, "36 15" possède néanmoins quelques qualités. Para One, en premier lieu, apporte quelques productions réussies qui sauvent l'album d'un relatif néant. Sur le plan de la construction rythmique ou de l'agencement mélodique, 'Turbo' sort ainsi du lot. La lenteur du tempo - le beat étant traité d'une manière à obtenir un rendu glacial et strident - les hachures du son, la montée des claviers parviennent ainsi à créer une émotion étrange mais réelle. Dans un style plus minimal, l'introductif 'Quand Je Claque Des Doigts' ou 'Strip Pour Moi' fonctionnent aussi. Mais c'est surtout l'excellente production de 'Ambition' qui retient l'attention, évoquant par certains aspects les meilleures phases instrumentales du dernier Dabrye (avec une touche plus mélodique cependant). En fait, on en arrive à regretter que Para One n'ait pas produit l'intégralité du disque, tant l'écart est évident ici entre la qualité de son travail et celui d'un Tacteel ou d'un Orgasmic. Pour ceux qui n'auraient toujours pas compris pourquoi Fuzati ne souhaitait plus travailler avec ce dernier, laissons leur le soin d'écouter "36 15"...

Pour autant, les quelques bons titres produits par Para One sont dans l'absolu loin d'être des réussites totales, étant donné que les emcees peinent à répondre présents et à se hisser au niveau. C'est malheureusement vrai sur 'Ambition', où l'on finit par penser que l'apparition au micro du beatmaker reste paradoxalement le meilleur passage du morceau : "J'ai l'air sympa quand je souris, mais je souris pas. T'as une idée? Je l'ai déjà eu l'année dernière. T'en veux une autre? Je crois que tu peux aller te faire mettre". Sur 'Turbo', les couplets font peine à entendre tant leur vacuité est déconcertante : "Mitsubishi, Kawasaki, Pictionnary ; le rappeur de Paris, c'est monopoly, Jeopardy, hémorragies… Oooh, un véritable hymne à la vie : coup de pied dans le juke-box style Fonzarelli" (Teki). Ou encore : "C'est vroom vroom, zoom zoom, boop bap, clic clac, six pack" (Cuiz). En comparaison, Yelle, phénomène MySpace anti-TTC, possèderait presque une véritable plume d'auteur…

Reste que globalement, les trois emcees offrent de meilleures prestations sur des instrus de qualité moyenne, foncièrement moins enthousiasmantes. C'est le cas sur 'Travailler', morceau potache qui ironise sur l'image de glandeurs associée à TTC. Cuiz est, comme on pouvait s'y attendre, parfaitement à l'aise avec ce thème ("J'aime bien travailler, mais j'aime bien dormir aussi ; ce que je préfère, c'est quand je travaille au lit"). Même Teki s'en sort avec les honneurs: il utilise un timbre de voix rocailleux que l'on ne lui connaissait pas. Enfin, Tido rappe mieux. Et plus intelligemment. C'est d'ailleurs le cas sur tout l'album.

Car Tido est bien le deuxième homme fort de "36 15". Sur 'Travailler', le rappeur prend le thème de manière plus sérieuse : Tido bosse (un minimum) et explique pourquoi. Il est d'ailleurs le seul des trois emcees à signer des prods sur l'album. Celles-ci ne manquent d'ailleurs ni d'intérêt ni d'originalité, notamment 'Cé Pou Vou', titre à part combinant froideur des nappes synthétiques et groove. Signe d'une plus grande maturité, Tido revient à plusieurs reprises sur l'histoire d'amour qu'il vit actuellement. Il paraît plus posé et cela se ressent dans le contenu même de ces textes. Mais il paraît surtout plus habité et actif que Teki ou Cuiz, qui semblent subir le contrecoup de (trop nombreuses) soirées arrosées. Ainsi, 'Travailler' en dit long sur la trop grande décontraction du groupe, exposant involontairement, et sous prétexte d'en sourire, son manque de passion et son cynisme.

Ce n'est d'ailleurs pas pour rien si "36 15" est un album bâclé. Son contenu crie le manque de sérieux et de préparation. On regrette ainsi que TTC n'ait pas dépensé la même énergie à enregistrer des morceaux dans le souci de recherche sonore qui l'animait par le passé, préférant plutôt s'occuper de com' et de valoriser son image branchée auprès des jeunes "bourgeois rebelles"… En conséquence, "36 15" est un disque peu inspiré, assurément le moins bon du groupe, assurément parce qu'il a été réalisé (pour ne pas dire improvisé) en à peine deux semaines. A vouloir jouer sur la spontanéité, les emcees ont de fait régressé, expurgeant au passage toute dimension poétique et stylistique de leurs textes. En dehors de l'ego trip ou des meufs, pratiquement aucun sujet concret n'est abordé dans "36 15"... alors même que - et c'est un comble - rien dans le contenu de ce nouvel opus ne peut prétendre choquer la bien séance. "36 15" est à la fois propret et benêt, bien loin des excès d'un 'Girlfriend'.

On ne peut que retenir, à titre anecdotique, 'Antenne 2', morceau qui renvoie aux amours insouciants des adolescents. Cette séquence pop nostalgique (qui donne lieu à un "effort" textuel de la part de Teki) demeure sympathique par son côté régressif. Mais il ne s'agit plus vraiment de rap pour autant, tant l'univers de Para One y prime (les chœurs des enfants), le morceau se terminant d'ailleurs par une plage instrumentale d'1mn 20. Pourtant la lamentable prestation de Cuizinier nous empêcherait presque d'apprécier cette petite friandise. Visiblement complètement déboîté lors de l'enregistrement de sa partie, il éprouve les pires difficultés à caler, en 25 secondes chrono, les rimes les plus vaporeuses de la discographie de TTC : "Comme les filles sont belles sous le soleil de l'été. Je les regarde, je repense à mes premiers flirts ados. J'ai la chair de poule quand j'effleure sa peau. Tout cela me manque, alors j'y pense, et j'ai le sourire aux lèvres, les yeux en l'air. J'ai mal au ventre comme quand il pleut en mer".

Alors, même si 'Une Bande De Mecs Sympas' calibré pour les dancefloors par les berlinois branchouilles de Modeselektor (du label Bpitch Control) pourrait presque évoquer l'univers de "Bâtards Sensibles", il ne répond pas aux espoirs que l'on aurait pu placer en lui. Malgré l'abondance de breaks rythmiques (notamment sur l'introduction), et la prestation exemplaire de Tido (la comparaison avec ses compères ne laisse aucun doute sur ce titre), la mayonnaise ne prend pas ; la faute à son côté excessivement poussif… Surtout, lorsqu'on entend Teki répéter en boucle "TTC est une bande de mecs sympas", on n'y croit pas une seconde.

Au final, c'est une très petite note pour un album à la limite du foutage de gueule réalisé par un groupe emblématique d'une certaine scène que la rédaction d'Hip-Hop Core avait pourtant plutôt soutenu jusqu'ici. S'il ne fallait retenir qu'une chose de ce désastre inutile, disons que "36 15" a au moins le mérite d'apporter la preuve que TTC a peut être été un peu trop rapidement porté aux nues. Le public semble d'ailleurs s'en être rendu compte. Difficile dans ces conditions d'imaginer une suite à ce troisième opus en forme de véritable insulte au bon goût.

Kid Charlemagne
Mars 2007
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Label: V2 / Big Dada
Production: Para One, Tacteel, Orgasmic, Tido Berman, Modeselektor
Année: Décembre 2006

01. Quand Je Claque Des Doigts
02. Paris Paris
03. Turbo
04. Téléphone
05. Travailler
06. Cé Pou Vou
07. Antenne 2
08. J'ai Le Son
09. Frotte Ton Cul Par Terre
10. Strip Pour Moi
11. Ambition
12. Une Bande De Mecs Sympas

Best Cuts: 'Ambition', 'Cé Pou Vou', 'Travailler'

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