Parmi les compagnons de route de Kool Keith, rares sont ceux qui ont réussi à se défaire de l'ombre du maître sans tomber dans l'oubli. Motion Man fait partie de ceux-là. Grâce à un talent microphonique réel, à une personnalité forte et au soutien musical de Kut Masta Kurt, Motion Man a laissé son empreinte sur "Masters of Illusion" mais aussi en solo avec "Clearin' The Field". Alors que le californien au physique de pilier était de passage dans nos contrées, il nous a semblé important de nous entretenir avec lui pour parler un peu de sa collaboration durable avec le Funky Redneck, de son passé mais aussi de ses projets… C'est attablé dans le café du Nouveau Casino que Motion nous a chaleureusement accueilli, posé mais prompt à blaguer et visiblement peu affecté par le décalage horaire. English version

Hip-Hop Core: Peux-tu nous dire comment tu es rentré en contact avec Kut Masta Kurt ?

Motion Man : J'étais DJ pour un groupe appelé Zero Tolerance et, pour faire court et vous donner la version Reader's Digest, le MC pour lequel j'officiais était un bon copain du MC dont Kurt était le DJ. Il s'appelait Style. Ils se sont donc rencontrés et j'ai à mon tour rencontré Kurt. Je me rappelle que la première fois que j'ai vu Kurt j'ai pensé qu'il était beaucoup plus vieux que moi parce qu'il avait déjà son propre show radio. A l'époque j'avais ce vieux poste, cette radio, avec laquelle j'essayais d'écouter son show en orientant l'antenne dans tous les sens, en utilisant des feuilles d'alu pour améliorer la réception, etc… J'enregistrais le show de Kurt à la radio avant même de l'avoir rencontré. Dès que je l'ai rencontré, le courant est bien passé entre nous. On était tous les 2 des amoureux du hip-hop et c'était super parce qu'on parlait des mêmes disques. Je lui ai parlé de cette émission radio que j'enregistrais toutes les semaines et il m'a dit: "Mais c'est mon show!" Je lui ai dit que ça faisait des années que j'enregistrais son émission sur mon vieux poste et que je venais d'acheter le maxi de 'Plug Tunin' (ndlr: de De La Soul) après l'avoir entendu pour la première fois dans son émission. C'est comme ça qu'on s'est rencontré. Ca devait être vers 87 ou 88. Ca fait donc un bon bout de temps qu'on se connaît.

HHC : Quand as-tu travaillé pour la première fois avec lui ? La première fois qu'on vous a entendu ensemble, c'est sûr "Sex Style" je crois.

MM : J'avais fait d'autres trucs avant. Au sein de Noggin' Nodders par exemple. La première chanson sur laquelle j'ai été, c'était un titre pour le "Wake Up Show" de Sway & Tech. Ca s'appelait 'Bust Your Rhymes'. Ensuite, j'ai sorti un single sur Stepson (une sorte de division locale de Tommy Boy) composé de 'More Life Flows On' et de ce titre intitulé '93 Swing'. Après ça, j'ai enregistré un morceau avec DJ Vadim 'The Terrorist'. Et je me rends compte que vous connaissez tous ce titre par ici. Je n'en avais aucune idée.

HHC : Oui, beaucoup de gens connaissent 'The Terrorist'. C'est un petit classique dans nos contrées.

MM : Je ne l'aurai jamais imaginé et pour vous dire je ne l'ai même pas avec moi ce soir. Je suis en train d'essayer de trouver quelqu'un qui a le vinyle pour pouvoir le faire pendant le concert. Il faut que je voie si je m'en rappelle bien aussi. Je vais devoir répéter un peu. C'était il y a longtemps. Pour en revenir au fil de l'histoire, la première chanson que j'ai faite avec Kool Keith, c'est bien 'Sly We Fly' par contre. C'est le premier titre qu'on ait enregistré ensemble.

HHC : Alors à cette époque, tu t'occupais principalement de faire des titres avec Noggin' Nodders ou pour le Wake Up Show. Est-ce que tu envisageais déjà de faire un LP solo ?

MM : Ouais. C'était vers 1990, au début des années 90. Je voulais déjà sortir un album. Mais comme tu le vois cet album n'est sorti que 12 ans plus tard. Ca faisait longtemps que j'attendais mon tour. Le premier album que j'ai sorti n'est même pas mon solo. C'est le "Masters of Illusion" que Kurt, Keith et moi avons enregistré ensemble. "Clearin' The Field" est mon premier LP solo et je me sentais déjà prêt à le sortir en 1990. Mais je n'en ai tout simplement pas eu l'occasion. Parfois, les choses prennent du temps à se faire.

HHC : Te reste-t-il des titres de cette époque ? Comptes-tu les sortir un jour ?

MM : Ca dépend de la direction que prend ma carrière. J'en suis encore au stade où j'essaie de m'imposer un peu plus sur l'échiquier rapologique. Ce serait vraiment cool si j'avais une bonne grosse base de fans et si je n'avais plus besoin d'aller au boulot tous les jours. Si ça se passait comme ça, je lâcherai sûrement des les bacs quelque chose du style "Motion Unreleased Tracks". Mais donnez-moi encore un peu de temps. Après tout, je n'ai sorti qu'un seul album solo! Donnez-moi encore un ou deux albums avant que cette démarche ait vraiment un sens. Vous n'avez pas déjà envie des inédits de Motion?! Vous n'avez qu'un album pour le moment.

HHC : En parlant des "Masters of Illusion", comment est venue l'idée ?

MM : On voulait surtout amener un peu de versatilité dans le paysage du rap. Keith et moi, on a juste écouté ce que nos cœurs nous disaient. Une des raisons pour laquelle j'ai toujours voulu faire mon album, c'est que Keith était là à me dire: "Motion, tu as ton propre style. Faisons ce disque et bottons quelques culs!" Ca a vraiment été marrant de faire "Masters of Illusion". C'est le projet où je me suis le plus amusé de toute ma carrière. On venait en studio pour rapper. On se posait à un bout de la pièce. Il rappait son couplet. Je rappais le mien. On rigolait. Je crois qu'il y a, quoi? 5 titres qu'on a écrits loin l'un de l'autre. Mais tout le reste de l'album a été fait là, dans le studio, à un rythme de 2 chansons par jour environ. Ca se devait d'être un gros projet. C'est un classique, mec! (ndlr: tout le monde acquiesce) Et je ne dis pas ça pour me la raconter. Quand je l'écoute, je me dis: "Putain, on a assuré!".

HHC: Quelle est la différence entre Motion Man et Clifton Santiago ? Peux-tu nous en dire plus sur Noggin' Nodders aussi ?

MM : Il y a une grosse différence. En premier lieu, Clifton Santiago, c'est mon partenaire. Il boit de la bière, parle espagnol, à l'air irie. Motion Man, c'est le mec qui parle dans le micro en ce moment. Celui que vous voyez en public. En fait, vous voyez plus ma figurine que moi dans les événements publics (sourire). Noggin' Nodders, c'est un groupe que j'avais formé avec quelques gars mais qui n'a jamais vraiment eu la chance d'être exposé… On y travaille. Je compte sortir un album de Noggin' Nodders. J'ai déjà fait quelques titres pour le compte de Noggin' Nodders cependant. L'une d'elles est 'Magnum B.I.' qui se trouvait sur "Masters of Illusion". L'autre était sur la B.O. de ce film "Sprung" (il y avait Jay-Z sur cette B.O.) et s'intitulait 'Bounce'.

HHC : Après tout ça, comment as-tu envisagé ton premier album solo ?

MM : En fait, on avait déjà enregistré la plupart des morceaux de "Clearin' The Field" avant même d'envisager d'en faire un album. On a juste eu besoin d'enregistrer quelques titres de plus et c'était bouclé. Tu vois sur l'album, il y a quelque chose comme 23-24 chansons... En fait, c'est plutôt 20 titres et 4 interludes. On a juste sélectionné les titres que l'on voulait mettre sur un album. Mais le concept derrière "Clearin' The Field" est très 70's. Je suis un gars des années 70 et ma musique est donc plus "à l'ancienne", quand tout était plus direct, "in your face". Toute l'ambiance des comic books…

HHC : Ca nous amène justement à parler de ta fameuse figurine. Quel est le concept ?

MM : Et bien, je suis quelqu'un de très occupé. J'ai des boulots donc je n'ai pas la chance de pouvoir aller partout où je voudrais. C'est pour ça que je l'envoie pour faire mes vidéos à ma place (rires). Comme ça, je n'ai pas besoin de me faire chier à sortir du travail et de pointer. Je la fous dans un colis et je l'envoie par la poste.

HHC : Que penses-tu de la scène de la Bay Area en ce moment ? Tout l'underground californien est en train de percer.

MM : Tu sais quoi ? Honnêtement, j'écoute les radios sportives en ce moment parce que c'est la saison de foot américain. Du coup, je ne sais pas vraiment ce qui se joue sur les radios underground. Je ne sais même pas ce qu'ils jouent sur les radios universitaires ou même sur les grandes stations. Cependant, pour ce que j'en pense, c'est clair qu'il y a beaucoup de gars dans la Bay Area qui ont du talent et des munitions. Il y'en a partout là-bas. Mais pour ce qui est de l'état de santé de la scène, je ne… Je veux dire, je ne fais pas de concerts là-bas. J'ai des fans mais c'est tellement dur d'organiser un concert, d'en faire la promotion correctement et de pousser les gens à sortir de chez eux. Il faut vraiment s'investir à fond et avoir du pognon, mec. Tu sais, c'est vraiment galère.

HHC: Est-ce que tu penses travailler dans le futur avec d'autres producteurs que Kut Masta Kurt ?

MM : Oui. Bien entendu. Pour le premier album, je voulais juste sortir un truc avec Kurt. C'était le meilleur moyen d'être assuré de faire un bon album sans courir trop de risques. Tu sais, pourquoi dépenser plein d'argent ? On est les 2 faces de la même lame. Mais pour le nouvel album sur lequel je travaille, j'ai un gars qui s'appelle Dramatic. Il m'a envoyé quelques instrus. Mon pote Bukue m'a fait un titre, Bukue 1 (ndlr: proche d'Abstract Rude). Donc je vais peser le pour et le contre, tu vois. J'ai encore en stock pas mal de titres que j'ai fait avec Kurt. Mais je ne veux pas postuler bêtement que je vais juste bosser avec lui. Je vais juste aller là où sont les bons titres. De temps en temps, des gars viennent me voir pour me proposer des beats. Il y a quelques mecs qui font ça mais, bon, personne du calibre des Neptunes ou de ce genre…

HHC : Est-ce que tu comptes sortir ton nouvel album prochainement ?

MM : Je ne pense pas que ça sera prêt pour cette année. J'ai déjà un titre et tout pour ce LP mais je ne veux pas le dire à tout va. Parce qu'il arrive que mes projets prennent trop longtemps à se concrétiser et je ne veux pas parler de ce LP partout dès maintenant pour qu'après, d'un seul coup, tu sais… Il y a donc certaines choses que je compte faire ou que je suis déjà en train de faire et que personne n'a encore entendues. Enfin, il y a bien quelques gars qui l'ont entendu mais je ne veux pas faire tourner ça maintenant pour que plus tard tout le monde soit là à dire: "Putain, j'ai déjà entendu ce titre". Donc cette fois, je ne dirai rien quant au concept, au titre, etc. Je veux que mon projet soit vraiment prêt et, là, quand j'aurai une date de sortie à annoncer, je commencerai à en faire la promotion. Mais, compte tenu de ma carrière actuelle, je ne veux pas parler de ce projet maintenant pour qu'au final le disque dont je parlais dans un café à Paris aujourd'hui sorte en 2007. Je ne veux plus faire ce genre de choses. Quand ça sortira, boom!, je commencerai vraiment à en parler.

HHC : Qu'est-ce que tu comptes faire avec ce second solo ?

MM : Et bien, j'ai déjà le titre mais je ne sais pas encore précisément quelle direction je vais prendre. J'ai déjà une bonne idée de ce que je vais faire mais, comme je te l'ai dit, je ne veux pas donner plus d'informations (sourire).

HHC : Avec un peu de recul, quel est ton avis sur "Clearin' The Field" ?

MM : J'aime ce disque! C'est le mien. De toute façon, il faut que tu aimes ce que tu fais. Si tu n'en es pas content en tant qu'artiste, retire-le de la distribution! En fait, je pense que lorsque j'écoute les 2 albums, certains jours j'aime plus "Masters of Illusion" et d'autres je préfère "Clearin' The Field". "Masters of Illusion", c'est mon petit trésor. Je peux l'écouter à n'importe quel moment. Pareil pour "Clearin' The Field". Mais il y a des jours où je n'ai pas envie d'entendre "Clearin' The Field"… Je veux écouter du Van Halen! (rires)

HHC : Le prochain album sera-t-il aussi sur Threshold ?

MM : Ouep, je suis toujours signé sur Threshold.

Propos recueillis par Cobalt et Blaze
et traduits par Cobalt
Septembre 2003