Tsidi Ibrahim a.k.a. What What a.k.a. Jean Grae autant de noms pour la fille du grand Abdullah Ibrahim et de Sathima Bea Benjamin. Elle s'est fait connaître via le groupe Natural Ressource auteur du classique "Negro League Baseball", avant de se faire remarquer par ces diverses apparitions auprès d'artistes tels The Herbaliser, Mr Len, Masta Ace, Mr Lif, Apani B Fly et bien d'autres encore démontrant au public des grandes qualités de story-teller. Jean Grae produit également sous différents alias dont Nasain Nahmeen. Après avoir été unanimement saluée par la critique pour son album "Attack Of The Attacking Things" sorti chez Third Earth ; Rolling Stone magazine l'ayant par exemple qualifié de "best kept-secret on New York's indie Hip-Hop scene", elle a récemment signé chez Babygrandre et a sorti un nouvel opus : "Bootleg Of The Bootleg EP" annonçant ainsi la sortie de son second vrai album pour l'année prochaine… English version
Hip-Hop Core : Pourquoi avoir changé de pseudonyme il y a quelques années ? Du jour au lendemain, What? What? est devenue Jean Grae.
Jean Grae : Après Natural Ressource… En fait, juste avant que le groupe ne se sépare, j'ai juste eu envie de changement. Rien de particulièrement profond derrière ça. J'en avais marre d'être appelé "What?". La chanson de Noreaga 'Superstar' a été la goûte d'eau qui a fait déborder le vase. D'autre part, j'avais envie de repartir à zéro et de me réintroduire au public.
HHC : Entretiens-tu encore des relations avec les membres de tes anciens groupes Ground Zero et Natural Ressource (Ocean & DJ Aggie) ? Que deviennent-ils d'ailleurs ?
JG : Oui, je m'entends toujours très bien avec eux. Il n'y a aucune rancœur ou quoi que ce soit de ce style entre nous. Je n'ai pas vu Rithm de Ground Zero depuis des années mais je sais que tout va bien pour lui. Je vois Ocean assez souvent et Aggie de temps en temps. Tout le monde va bien.
HHC : Tu es originaire d'Afrique du Sud. Je crois que tu as été (en compagnie de Mr. Len et Bobbito) parmi les premiers hip-hoppeurs US à jouer là-bas. Y es-tu retournée récemment ? Connais-tu un peu la scène rap de ce pays ?
JG : Moi et mon fiancé, nous étions là-bas de Décembre dernier jusqu'au début de cette année. C'était son premier voyage là-bas. Ca a été une vraiment belle expérience globalement. Le fait que ce soit aussi la première fois que j'y allais en tant qu'adulte étant capable de voir les choses d'une manière différente et de vivre ça avec lui, ça a donné encore plus de valeur à ce voyage. Je dois dire que, en dehors de mon passage en 2000 et de quelques rencontres avec plein de gamins talentueux, je n'étais pas vraiment très au courant de tout ce qui se déroulait dans les scènes hip-hop et Kwaito là-bas avant cette année. Mais on a vraiment appris beaucoup de choses pendant le temps qu'on a passé en Afrique du Sud cette année. J'ai hâte d'y retourner et de pouvoir faire quelque chose qui profite vraiment à toutes ces communautés qui ont désespérément besoin d'aide. J'aimerai aussi essayer d'établir des ponts pour des collaborations entre les artistes sud-africains et les artistes américains.
HHC : Tu avais écrit un article pour le site allhiphop.com dénonçant l'ignorance et la vision réductrice que nombre d'américains ont de l'Afrique. Penses-tu que les choses changent ?
JG : Non. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de facile à faire. Ca ne va pas se faire miraculeusement du jour au lendemain. Mais je pense qu'il est grand temps que les gens se réveillent, de chaque côté.
HHC : Je crois que tu n'aimes pas spécialement les femmes qui, dans la musique, ont des positions féministes. Tu préfères être considérée comme une artiste à part entière et non comme une femme qui fait du hip-hop. Peux-tu nous parler un peu de ton idée ?
JG : Attends, ce n'est pas que je n'aime pas les femmes qui ont des opinions féministes. Je pense juste que c'est une honte que certaines personnes pensent que, parce que tu es une femme, tu dois nécessairement être féministe. Je n'aime pas du tout être affublée d'une étiquette qui ne me correspond pas. Je n'aime pas être étiquetée pour quoi que ce soit, en général. Je suis une femme; je suis un rapper. Aucun de ces 2 attributs ne fait automatiquement de moi une féministe. Par contre, je ne peux que souhaiter plus de pouvoir à tous ceux qui se battent pour leurs idées et leurs croyances, quelles qu'elles soient. Il est vrai cependant que je préfèrerai ne pas participer à des concerts alignant uniquement des artistes féminines ou dans des trucs qui m'ostracise en tant qu'artiste du fait de mon sexe. J'aimerais que la définition d'un dope emcee soit la même, que tu sois un homme ou une femme. Si vous m'aimez, vous m'aimez parce que vous pensez que j'ai le talent nécessaire pour représenter notre art. Si vous ne m'aimez pas, j'aimerai que ce ne soit pas uniquement parce que je suis une femme. D'autre part, ne m'appelez jamais "femcee". C'est tellement insultant. "Mancee" ? Ca ne se dit pas, hein ? Pourquoi avoir cette approche séparatiste alors ?
HHC : Ton père est un grand pianiste jazz. Tes deux parents sont musiciens. T'ont-ils influencé d'un point de vue strictement musical ?
JG : Bien sûr. Ils m'ont donné la force et la volonté d'être indépendant, que ce soit en tant qu'individu, en tant qu'artiste ou en tant que compositeur. De plus, j'ai toujours baigné dans la musique à leur contact. Le fait qu'ils poursuivent encore actuellement leurs carrières de manière active est aussi un exemple.
HHC : Qu'est-ce qui t'as donné envie d'écrire ?
JG : Le stylo!
HHC : En parlant de textes, sur 'Swing Blades', tu dis: "Another day with myself, another day without wealth/ There's got to be another way, I need help/ So I pray like I'm a Pentacostal, Sufi, Buddhist, Strict Agnostic/ Hoping one will hit its target/ take another sip of hypnotic and lay my head on the pillow and dream erotic scenes/ of killers spilling endless rounds and all of them shooting at me." Quel sens revêt ce passage ?
JG : Je voulais juste montrer l'écart qu'il y a entre un pessimiste chronique qui n'a pas perdu la foi et quelqu'un qui essaie de prier tous les dieux existants juste pour se donner l'impression que la vie est meilleure mais qui continue d'être hanté par des visions d'horreurs et de morts dans ses rêves.
HHC : Quand tu étais plus jeune, tu voulais être DJ. Quelles sont les pièces favorites de ta collection de disques ?
JG : Hmm… Elles sont rangées dans un coin pour la plupart. Je dirai le disque de Missa Luba, que je n'ai jamais pu retrouver. C'est un chœur d'enfants africains qui chantent du gospel dans leur langue natale. C'est vraiment sublime. Il faut que je trouve ce disque d'ailleurs. Merci de me l'avoir rappelé! Euh… Beaucoup des premiers disques de mon père que seuls quelques collectionneurs de jazz avertis doivent avoir (j'ai de la chance). Et aussi, beaucoup de vieilles perles rares de Thelonious Monk.
HHC : Parle nous de Run Run Shaw…
JG : C'est moi! J'ai produit sous ce nom sur quelques disques quand j'étais sur Makin' Records.
HHC : En plus d'être MC, tu fais donc aussi de la production. Quel(le) artiste aimerais-tu voir se poser sur une des tes compositions ?
JG : J'ai une liste, dans un ordre aléatoire. Ghostface Killah, Chrissy Hynde, Anthony Hamilton (sa voix est géniale). Si je continue à donner des noms, je vais juste m'énerver de ne pouvoir m'en payer aucun. Ha ha ha, les gens sont chers de nos jours… C'est marrant : c'est lorsque t'es célèbre que les gens veulent bien faire des choses gratuitement. Mais je n'en aurai pas besoin quand je serai célèbre. J'en ai besoin MAINTENANT!
HHC : Tu as l'air d'apprécier les productions avec des violons dramatiques et des mélodies mélancoliques, un peu comme ce qui se faisait au milieu des années 90. Mais, en ce moment, l'accent est plutôt mis sur les percussions. On entend tout le temps les mêmes caisses claires partout. La plupart des producteurs semblent appliquer des formules… Comment l'expliques-tu ?
JG : Les formules fonctionnent. Enfin, c'est vrai pendant un certain temps… Moi, je préfère la musique plus brute. Tout n'a pas besoin de sonner si proprement. Ca marche pour certains trucs mais ça n'a pas besoin d'être si policé et brillant. J'aime simplement ma musique plus crade, plus anguleuse. En arrondissant trop les angles, tu enlèves toute l'émotion et la vie de ta musique.
HHC : Je crois que tu avais fait quelques concerts avec Apani B Fly ainsi que quelques morceaux (dont 'Shut Da Fuck Up' sur l'album des Beatminerz "Brace 4 Impak"). Y a-t-il d'autres collaborations prévues entre vous deux ? Sur un long format, votre alliance pourrait donner naissance à quelque chose d'extraordinaire.
JG : On en a bien conscience. On a un titre ensemble 'The Epidemic' qui sera sur son prochain album "A Story To Tell". Mais, oui, dès qu'on en aura terminé avec nos albums solos respectifs, on vous mettra une grande claque dans la gueule avec un album commun. A ce moment-là, vous tomberez tous à la renverse et vous ferez "Aïe" et vous direz "Oh…oh… Wow!" C'est le plan. (rires)
HHC : Je trouve que tes collaborations les plus marquantes ont été celles avec Masta Ace, Mr. Len, Da Beatminerz et The Herbaliser (dont le récent 'Tea and Beer'). Quelles relations entretiens-tu avec chacun d'eux ?
JG : On compte faire quelques morceaux avec The Herbaliser pour un nouvel album. Je viens juste de faire un titre avec Ace pour son prochain LP. Len et les Beatminerz seront de retour pour le prochain album. J'ai donc plein de projets avec eux. Len vient juste de lancer son nouveau label et est accaparé par son nouveau rôle de dirigeant de label. Je suis très fière de lui. Kice Of Course, qui est vraiment, vraiment fort sera sur son label. Alors, soyez vigilants, s'il vous plait.
HHC : Qu'en est-il de tes liens avec Immortal Technique ?
JG : J'ai rencontré Teck dans un petit bar dans mon quartier où il démolissait des gamins qui se la jouaient sur scène. Ils étaient tellement embarrassés qu'ils devaient quitter le club après coup. C'est un de mes moments de hip-hop favoris. Ah ah. En assistant à ça, je me suis tourné vers Pumpkinhead et je lui ai dit: "Il faut que je le rencontre. C'était génial." Pour faire court, on a été mis en contact et j'ai produit 2 titres pour lui sur son "Revolutionary Volume 1". Il m'a appelé et m'a demandé de faire quelque chose pour son volume 2 cette année donc, évidemment, j'ai dit "OK." Teck est mon homie. Je suis honoré qu'il m'ait laissé participer à cette chanson (ndlr: 'You Never Know'). Je sais que c'était un sujet vraiment personnel. C'est tout simplement le meilleur. S'il vous plait, achetez "Revolutionary Volume 2". C'est de la bombe. Ca fait dire au feu: "Oh, c'est chaud!" (rires). C'est un LP important. Laissez les enfants l'écouter. Puis arrêtez d'écouter le CD et allez lire un livre. Les livres sont vos amis.
HHC : Peux-tu nous dire quelques mots à propos de ta collaboration avec Mr. Len sur son album solo ? Depuis tes apparitions sur ce LP, tu es réellement considéré comme un des meilleurs lyricistes.
JG : Blah, blah, Lenny, blah blah. Oui, Len est doué. Oui. Et alors? Non, sérieusement… Ca faisait longtemps qu'on voulait travailler ensemble. Donc, quand on en a eu l'occasion, c'est quand même super bien que ça n'ait pas été nul! Créativement, notre alchimie était incroyable. Je n'avais pas besoin de dire quoi que ce soit; il savait déjà comment les choses devaient sonner ou quels beats étaient appropriés… Et, tout comme moi, il est sous-estimé. Je ne comprends pas d'ailleurs. Je profite d'ailleurs de mon temps de parole pour répondre à certaines critiques qui ont été faites à l'encontre de l'album de Len… Comment peut-on ne pas aimer 'Force Fed' des Agents of Man???!!! (ndlr: titre métal inclus sur le LP de Mr.Len et qui en avait surpris plus d'un) Aww, mec, je pourrais tuer quelqu'un en écoutant ce titre. Si Linkin Park avaient sorti le même titre (ce qu'ils ont fait en gros, 2 ans après), tout le monde aurait dit que c'était génial. Len est un génie.
HHC : Tu devais faire quelques concerts avec Cannibal Ox. Je suppose que tu es très déçue par leur séparation récente. Est-ce que tu as cependant des projets de concerts actuellement ?
JG : Bien entendu. On est en train d'arranger quelques trucs pour cet automne/hiver pour essayer de faire la promotion du EP. Rien n'est vraiment confirmé pour l'instant alors je ne peux pas t'en dire plus en exclusivité… Mais je pense que quelques tours vont se mettre en place.
HHC : Peux-tu nous dire quelques mots à propos de "The Bootleg Of The Bootleg EP" que tu viens juste de sortir ? Quel est l'objectif de cette sortie ?
JG : C'est une sorte d'album 1.5. Un album pour annoncer l'album. En fait, non, c'est un album pour combler le vide entre le vrai LONG bootleg et le prochain album. Tu comprends ? (rires) C'est juste une manière d'avoir un peu de buzz, de faire savoir aux magasins et au public que j'ai changé de label, etc…
HHC : Comme tu viens de l'évoquer, pour ce nouvel opus, tu es signée chez Babygrande. Pourquoi ? J'ai entendu que le budget de ton premier album était vraiment restreint. Est-ce l'unique raison de ce changement de label ?
JG : Bingo. C'est une histoire d'argent.
HHC : Comment s'est passée la rencontre avec Kimani (boss de Third Earth Music et membre des Masterminds) ? J'avais cru comprendre qu'il y avait une histoire d'internet derrière cela…
JG : Pas vraiment en fait… Umm… Je crois qu'on s'était rencontrés avant ça dans quelques shows et soirées. Le monde de l'underground est petit, tu sais.
HHC : En dehors de 'Thank Ya', la plupart des titres de "Attack Of The Attacking Things" ne sont pas très joyeux (ce qui contraste d'ailleurs avec le titre assez marrant de l'album). Est ce qu'il faut s'attendre au même genre d'ambiance sur le prochain opus ?
JG : Pas du tout. Ce sera un album totalement différent. J'ai vraiment un point de vue différent sur plein de choses maintenant. Je suis toujours assez sombre cependant. Pas de titres dansants ou bêtement heureux, style "Mabrouk courant dans la prairie", au programme…
HHC : Les chroniques de ton premier album solo ont (logiquement) été positives. Le second album est souvent considéré comme l'étape la plus difficile dans la carrière d'un artiste. La majorité des artistes ne se remettent pas d'un mauvais second album. Est-ce que tu ressens une certaine pression avec l'approche de cette échéance ?
JG : Non. La plupart des artistes auxquels tu dois penser avaient vendu beaucoup d'exemplaires de leur premier album. Ce n'est pas comme si le mien avait été double platine et que je devais réitérer ces chiffres. Je n'ai pas de pression dans ce sens là. Je n'ai que la pression que je m'impose d'être encore meilleure et plus versatile.
HHC : Qui produira ton prochain album alors ? Qui pourra-t-on voir à tes côtés au micro ?
JG : Je ne peux pas trop en parler. Je veux garder un certain mystère autour de cet album.
HHC : J'avais entendu parler de plusieurs autres projets : an interactive CD , Brickface and Stucco (avec Mr Len) et un projet avec Murs des Living Legends qu'en est-il ?
JG : Oui, oui et oui. Ce sont tous des projets futurs.
HHC : Rien que dans cette interview, on a parlé de toi sous 5 noms différents. Est-ce que ces multiples noms correspondent aux multiples facettes de ta personnalité ? S'agit-il de brouiller des pistes ou autre chose ?
JG : C'est juste que je n'arrive pas à choisir un seul nom qui me convienne. J'ai constamment de nouveaux noms qui me viennent à l'esprit alors je les utilise tous dans tous les sens. Ne vous inquiétez pas, j'ai de nouveaux alias qui arrivent pour que vous ne vous ennuyiez pas! En ce qui concerne la production, je ne veux pas que les gens apprécient un son spécifiquement parce que c'est moi qui l'ai produit ou qu'ils se disent "pas mal pour une fille." C'est la raison principale pour laquelle je me suis souvent cachée derrière des pseudos lorsque je produis. Aimez juste la musique. On se moque de qui l'a faite. Les gens cherchent trop à mettre des noms sur les choses, au lieu de juste les apprécier pour ce qu'elles sont.
HHC: Le mot de la fin ?
JG : Amalgamer. J'ai toujours adoré ce mot. J'aime bien le prononcer. A-mallll-gaaa-mer. Tu vois ?
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