Capital D

Depuis le classique "No Additives, No Preservatives", All Natural (Capital D & Tone B. Nimble) n'ont eu de cesse de promouvoir un hip-hop authentique, honnête, puriste et chargé en émotions qui n'a pas pu laisser insensibles les amateurs de bon rap. Que ce soit avec "Second Nature" ou avec l'album du collectif "Family Tree", leurs projets ultérieurs n'ont fait qu'embellir leur CV et les imposer comme l'un des groupes à la discographie la plus flatteuse de ces dernières années. Alors que Capital D s'est associé au Molemen cet été pour nous offrir un des tous meilleurs disques de 2002 "Writer's Block", il était grand temps pour Hip-Hop Core de rencontrer le chef de file d'All Natural Inc. : Capital D lui-même.

Hip Hop Core : Pour commencer, une question rituelle, quel est le disque "révélation" qui t'a mis une vraie claque et t'a donné l'envie de te lancer dans le rap de manière sérieuse ?



Capital D : "By All Means Necessary" de Boogie Down Productions. Les beats agressifs, le nouveau style de rimes, les lyrics positifs et conscients. Ca m'a littéralement scotché et ça m'a ouvert l'esprit sur ce qu'il est possible de faire avec cette forme d'art. D'autre part, cet album constituait une réelle évolution pour BDP vis-à-vis de leur premier album "Criminal Minded"… En parallèle, il m'a aussi fait évoluer en tant qu'auditeur.



HHC : Comment t'es tu impliqué dans le hip-hop au début ? Peux-tu nous raconter un peu comment se sont déroulées tes premières années dans le rap ?



D : Bien avant de m'investir dans le hip-hop, j'avais l'habitude d'écrire des nouvelles et de la poésie. Mes premiers pas dans le hip-hop, je les ai fait en tant que DJ. Tone et moi, on s'entraînait ensemble. On allait acheter des disques; on les écoutait dans ma cave; on apprenait à scratcher et à mixer des disques. Puis, vers 1986, j'ai commencé à écrire quelques rimes. Au début, je n'avais pas assez confiance en moi pour rapper devant qui que ce soit... mais avec le temps j'ai commencé à prendre de l'aisance. Dans la décade suivante, j'ai décidé de réellement m'impliquer dans la production tout en essayant de créer mon propre flow et mon propre style. J'ai essayé de m'affranchir de l'influence de tous les rappers qui étaient déjà dans les bacs. A cette époque, il y avait beaucoup de soirées "open mic" à Chicago et à Atlanta (où j'étudiais). Ces soirées mais aussi ma grande exigence dans l'écriture des textes m'ont aidé à me forger un style vraiment personnel.



HHC : A propos de la production, Tone et toi êtes tous les 2 des producteurs de grande classe. Comment avez-vous appris la technique ?



D : Pour la technique, c'est venu peu à peu en essayant plein de trucs et en voyant si le résultat sonnait bien. Et puis, l'écoute prolongée du travail de Prince Paul ou de Large Professor nous a donné des indications sur la marche à suivre, même si on a tenté de se démarquer de leurs touches sonores.



HHC : Où trouvez-vous l'inspiration pour créer des instrumentaux si remplis d'âme ? Il y a définitivement une ambiance jazzy qui règne sur tous vos albums. Est-ce que vous appréciez le jazz ?



D : Je suis un fan de jazz. Je suis vraiment un adepte de John Coltrane, Pharoah Sanders, Yusef Lateef et de tout ce genre de jazzmen. On a vraiment l'impression qu'ils racontent une histoire ou qu'ils peignent un tableau avec leur musique.. En plus, leur technique est incomparable. J'aime aussi beaucoup la manière dont Ramsey Lewis mélange le jazz avec un son funk bien gras. Mais mon inspiration ne provient pas que du jazz, elle trouve ses racines dans plein de musiques différentes. Je n'écoute plus trop de hip-hop maintenant parce que je trouve que trop souvent les lyrics sont vraiment creux. J'écoute beaucoup de soul des années 70, de jazz bien entendu et beaucoup de rock (Nirvana, Rage Against The Machine, Black Crowes).



HHC : Capital D, au cours de ta carrière, tu as toujours privilégié les textes profonds en livrant souvent des visions très pertinentes sur l'état actuel du monde et sur ton propre état psychologique. Tu as aussi écrit un livre remarquable. A mon sens, tu es un peu comme l'héritier "officieux" au trône de "teacher" de KRS de ce point de vue. En ce moment, plus encore que pendant la période Puffy, il semble y avoir un gouffre énorme (conceptuellement, économiquement et artistiquement) entre des artistes underground tels qu'Atmosphere ou toi et des rappers matérialistes couverts de succès comme Ja Rule. Le vrai hip-hop s'éloigne de plus en plus du grand public. Les 2 albums d'All Natural font partie de mes albums favoris et pourtant la reconnaissance tarde à venir pour vous. A sa sortie cet été, il était même très difficile de se procurer ton "Writer's Block" en France. Alors que c'est un des meilleurs Lp's de l'année, c'était une lutte de se le procurer alors que les daubes de Nelly sont disponibles un peu partout. Compte tenu de ta position, que penses-tu de cette situation ?



D : C'est frustrant. Mais en même temps, c'est la vie ! Il y a tellement d'artistes dans l'histoire de la musique (au-delà des frontières du hip-hop) qui n'ont jamais été reconnus à leur juste valeur… Mais ce qui a fait qu'ils étaient bons, à l'origine, c'est justement qu'ils ne se focalisaient pas sur la reconnaissance. Ils se focalisaient sur la musique et communiquaient leur vision des choses. Je pense que, quand les artistes se centrent trop sur l'obtention d'une certaine reconnaissance, ils courent le risque de faire n'importe quoi pour l'obtenir : simplifier leurs textes, suivre les modes... Alors que, si tu fais du hip-hop simplement par amour pour cette forme d'art, tout l'argent et toute la reconnaissance que tu recevras seront des bonus, de l'amour que tu obtiendras en retour. Si All Natural peut continuer à garder ça à l'esprit, je pense qu'on pourra toujours arriver à avoir une bonne appréciation de notre position sur l'échiquier rap et qu'on pourra garder ce quelque chose qui a séduit le public dès le début.
Ceci dit, c'est très important pour moi d'avoir une vie en dehors de la musique… pour que je n'ai pas à reposer entièrement sur la musique d'un point de vue financier. Je peux faire la musique par passion tout en ayant un boulot comme les 'vrais' gens. Cependant, il est clair que certains artistes n'ont pas ce luxe.



HHC : Votre label All Natural Inc. est présent sur le marché depuis un bon bout de temps maintenant. Vous avez été parmi les premiers à prendre la voie de l'indépendance de manière si radicale. Maintenant, tout le monde semble faire pareil. Ca a clairement généré une amélioration de la qualité globale des disques mais en même temps ne penses-tu pas que ça commence à aller trop loin ? Depuis 2 ans, on dirait qu'un nouveau label est créé toutes les 5 minutes et ça devient vraiment dur pour les amateurs de rap de faire leur choix parmi les centaines de disques qui inondent les bacs chaque mois.



D : Je suis content que nous nous soyons engagé dans l'indépendance avant que ça devienne une mode. On l'a fait parce qu'on savait qu'on était au moins aussi bons que tout ce qui sortait sur le marché. Mais, avant ça, ça nous a pris des années avant d'arriver au point où l'on a envisagé de faire un album. De nos jours, des gosses qui rappent depuis un an ou deux sortent des disques remplis de morceaux qui n'auraient même pas leur place sur une cassette démo. C'est vraiment dangereux parce qu'il n'y a plus aucun contrôle qualitatif et que les consommateurs commencent à être réticents vis-à-vis des projets indépendants (à cause de toute la merde qui sort). Aujourd'hui, tout ce qui peut sauver la scène ce sont les consommateurs éclairés qui parlent avec leur argent, qui écoutent vraiment la musique et qui se refusent à acheter des albums juste parce qu'ils ont une couverture brillante ou que l'artiste a un nom qui claque…



HHC : Pour en revenir à ton actualité, comment s'est établie la connexion avec les Molemen ? Comment l'idée d'un projet commun a-t-elle vu le jour ?



D : Je connais les Molemen depuis presque dix ans. Ils font partie de la scène hip-hop underground de Chicago depuis très longtemps. Nous (All Natural) avons collaborés avec eux sur notre premier album pour des chansons comme 'It's OK' ou 'Prime Suspect' mais nous n'avions jamais évoqué l'idée d'un album commun. L'année dernière, ils m'ont donné une cassette de beats et les beats étaient tellement visuels… J'avais déjà pensé à faire un album "Writer's Block" et c'est juste que ces beats semblaient parfaits pour l'occasion.



HHC : Qu'est-ce qui t'as donné envie de faire un album-concept sur la vie dans le quartier ?



D : L'idée m'est venu de ma vie quotidienne et des contacts que j'ai eu avec certaines personnes dans mon propre quartier. Dans l'album, il y a un condensé de plein de petits bouts d'histoires vraies mais il y a aussi une part de fiction. Au niveau artistique, j'ai puisé mon inspiration dans des films comme "Grand Canyon" ou "Pulp Fiction" où l'histoire ne se déroule pas de manière chronologique et où l'on saute constamment d'un personnage à l'autre. Je pensais que ce serait innovant de faire ça sur la durée d'un album en laissant à chaque personnage l'occasion d'être vu sous un éclairage particulier.



HHC : La religion tient clairement une place centrale dans ta vie et dans ta musique. A un moment, il circulait même une rumeur disant que tu étais sur le point d'arrêter le rap. Qu'en est-il exactement ? Qu'est-ce qui a donné naissance à cette spiritualité omniprésente ?



D : En fait, j'ai arrêté le rap pendant un an, juste au moment de la sortie de "Second Nature". Je pense qu'à l'instar de beaucoup de gens j'ai toujours été à la recherche d'un sens à la vie, d'une vérité… J'ai toujours cru en Dieu sans pour autant faire partie d'une organisation religieuse. Cependant, quand j'ai lu le Coran, il m'est apparu évident que c'était la vérité que j'avais cherché toute ma vie. Ca a confirmé tout ce que j'avais toujours cru tout en me forçant à injecter un peu plus de discipline dans ma vie. Quand je suis devenu musulman, on m'a dit qu'un musulman n'avait pas le droit d'écouter ou de faire de la musique (ce qui explique ma retraite momentanée). Mais en rencontrant beaucoup de musulmans et en lisant plus d'informations à ce sujet, j'ai commencé à entrevoir une façon constructive d'utiliser la musique tout en étant en accord avec ma foi. Alors maintenant, j'ai trouvé mon but… Utiliser la musique pour communiquer quelque chose d'important aux personnes qui m'écoutent.



HHC : Pour en revenir à la musique, quel est ton avis sur la scène de la "Windy City" (Chicago) ?



D : C'est une scène intéressante mais ça pourrait être meilleur encore. Il y a beaucoup de emcees et de producteurs hyper motivés et c'est une bonne chose. Mais il y a un vrai manque d'organisation et de concentration pour les plus jeunes acteurs de cette scène. Si l'unité se fait et que tout le monde travaille sa musique à fond, la scène pourrait enfin vraiment décoller.



HHC : Quels sont tes albums favoris ces jours-ci ?



D : Je n'ai pas acheté beaucoup de musique ces derniers temps. J'aime "Deadringer" de RJD2 mais en dehors de ça je reste bloqué dans une autre époque. J'écoute encore "Black On Both Sides" de Mos Def, "Things Fall Apart" des Roots, "Dummy" de Portishead et Jill Scott. Mais sinon, j'apprécie le nouveau Red Hot Chili Peppers et le dernier Blackalicious est superbe.



HHC : Il y a quelques années tu es venu en France. As-tu aimé la France ? Est-ce que tu penses qu'on peut espérer te revoir ici dans un futur proche ?



D : J'ai vraiment apprécié la France. J'ai seulement été à Paris et nous n'avons pas fait de concert mais c'était super. Je me suis perdu dans Paris une fois alors que je faisais une petite ballade à pied et c'était cool parce que ça m'a permis de voir une bonne partie de la ville. J'ai même été voir le show des Roots à l'Elysée Montmartre. J'étais au premier rang donc c'était génial. Ils avaient tout déchiré ce soir-là. Après le concert, j'étais monté au sommet de la butte Montmartre pour voir la ville de nuit. C'était impressionnant. J'espère vraiment pouvoir revenir et faire un concert sous peu… Peut-être après la sortie du prochain album d'All Natural.



HHC : Quels sont les projets d'All Natural Inc. et du collectif Family Tree ?



D : On vient juste de sortir un album instrumental de No I.D. et Dug Infinite appelé "The Sampler". Ca réunit une partie des beats classiques qu'ils ont produit quand ils travaillaient avec Common, plus des tas de nouveaux instrus. Tôt dans le courant de l'année prochaine, on va sortir un album commun Family Tree/Molemen que j'attends avec impatience. Après ça, il y aura les albums de The Daily Plannet et Iomos Morad pendant l'été. Tous ces albums sont presque bouclés et ils sont vraiment mortels alors je suis vraiment excité à l'idée de les sortir. Sinon, on veut terminer l'année 2003 avec le troisième album d'All Natural. On veut vraiment s'investir à fond dans ce Lp et se lâcher… pour qu'il soit encore supérieur aux deux premiers albums. Il y aura aussi quelques surprises dessus en ce qui concerne les emcees invités. Avec tous ces projets, Inch'Allah, 2003 sera une très bonne année pour All Natural Inc.



HHC : Merci beaucoup pour cette interview. Voilà, je te laisse libre d'ajouter tout ce que tu veux si tu as un message.



D : Tout d'abord, merci pour cette interview, Cobalt. Peace à Ananta de Paris pour s'être occupé de moi la dernière fois que je suis venu. Peace à Cut Killer aussi pour nous avoir accueilli dans son émission à l'époque. Peace à tous les fans français de hip-hop. Salaam.



Interview de Cobalt
Novembre 2002

Note : Plus d'infos sur Capital D et All Natural Inc. sur www.allnaturalhiphop.com. Et, pour tous ceux qui ne l'ont pas encore, ruez-vous sur "No Additives, No Preservatives" qui se voit réédité ce mois-ci avec quelques bonus tracks…

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