Quand l'un des meilleurs lyricistes de sa génération s'associe au meilleur team de producteurs de tout Chicago, on peut s'attendre à des étincelles. Il faut dire que la synergie n'est pas nouvelle. Même avant "No Additives, No Preservatives", les liens entre All Natural et les Molemen ont toujours été forts. La poésie des textes de Cap D convient en effet parfaitement aux symphonies grandiloquentes de PNS, His-Panik ou Memo. C'est donc logiquement que "Writer's Block" voit le jour. Capital D n'a donc pas pris sa retraite et c'est tant mieux... car à chaque nouvelle sortie il s'affirme comme un des rappers les plus intelligents de sa génération. Ses propos sont réfléchis, pesés et souvent inédits là où l'on n'a, la plupart du temps, le droit qu'à des réflexions prépubères de la part de ses concurrents. Même si son impact sur le paysage hip-hop actuel n'a rien de comparable, on pourrait avancer (osons!) que Cap D est un peu le nouveau Krs-One!

Sur "Writer's Block", Cap D s'attaque au genre hip-hopera dans lequel "A Prince Among Thieves" de Prince Paul reste la référence absolue. Pour se démarquer de ses prédécesseurs dans ce domaine, D peint des fresques en mouvement plutôt que de s'enfermer dans la structure linéaire d'un récit déjà vu. Un Short Cuts rapologique en quelque sorte. Il se pose en observateur des moeurs du ghetto esquissant en quelques rimes les caractères et les histoires sans jamais forcer le trait. Installant le cadre de son histoire avec 'Writer's Block Pt. II', il enchaîne ensuite les instantanés en se concentrant sur plusieurs personnages issus du même block mais dont les destinées ont divergées.

Il y a la fille en galère, les petits voyous, le bon élève, les femmes seules, les pères indignes, les policiers corrompus, l'ex-bandit converti à l'Islam en prison, les familles tranquilles, l'agent de sécurité, les escrocs... et Mrs. Manley, la vieille toujours prête à rendre service pour combler l'absence de son fils incarcéré. Il y a aussi les scènes de la vie quotidienne où les parcours s'entrecroisent : les rencontres inopinées, les soirées entre amis, les règlements de compte, les voyages, les coups foireux, les histoires de famille et d'amour... Intelligemment, Capital D met de côté les acrobaties flowistiques et débite ses textes d'une voix claire, sans fioritures, sans misérabilisme mais avec une émotion, une objectivité et un sens du détail sans égal. En 14 titres, il dépeint probablement le tableau le plus juste et le plus complet qui ait jamais été réalisé sur la vie dans le ghetto, confirmant ainsi son statut de lyriciste majeur.

Comme prévu, les nappes de violons cinématographiques des Molemen se marient à merveille aux thèmes abordés par Cap D. Les productions se font moins "rentre-dedans" qu'à l'habitude pour s'imprégner d'une certaine mélancolie ('Cause & Effect'). La recette employée est connue mais elle fait une fois de plus son effet et parvient à canaliser les émotions retranscrites dans les textes. Seul 'Final Judgement' sonne un peu forcé. Capital D met lui aussi la main à la pâte avec 2 sons délicieusement jazzy où les lignes de pianos nostalgiques à la 50 Years abondent.

Sur "Writer's Block", l'harmonie entre Capital D et les Molemen saute réellement aux yeux. Cette union nous donne l'un des meilleurs albums de cette année 2002. Un bijou conceptuel d'une grande cohérence qui ne prendra cependant toute son ampleur que dans l'oreille des anglophones, tant les textes jouent une part importante dans la complète appréciation de cet essai virtuose.

Cobalt
Septembre 2002