Sans vraiment faiblir, All Natural continue depuis la seconde moitié des années 90 d'utiliser son label comme un tremplin pour nous abreuver des potions délicieuses que l'underground chicagoan sait mettre au point. Après une discographie irréprochable, capital D et Tone B. Nimble semblent aujourd'hui avoir vraiment décidé de pousser sur le devant de la scène le collectif à géométrie variable qui les entoure depuis leurs débuts. Après un "Planting Seeds" qui avait parfaitement joué son rôle en nous présentant tous les acteurs du Family Tree et en leur permettant de s'enraciner dans nos mémoires, All Natural Inc. a mis plusieurs fois à l'honneur dans les bacs les talents d'Iomos Morad ou de Mr. Greenweedz. C'est donc avec un timing approprié que le Family Tree revient au grand complet pour un album choral qui les voit profiter de la connexion officialisée lors de "Writer's Block" pour s'offrir des productions des Molemen.

Ce sont ici des Molemen revigorés qui prennent les commandes. Memo et His-Panik opèrent dans le domaine qui leur sied le mieux, à savoir des productions pêchues et efficaces qui ne laissent pas de répit au cou du pauvre auditeur. Distillant un boom-bap de haute qualité qui fait la part belle aux boucles de violons et de pianos découpées à la hache de façon Premieresque et accolées à des rythmiques percutantes ('Spit It', 'I Am', 'Virgo'), ils exploitent une formule qui a déjà fait ses preuves ailleurs et qui continue heureusement de porter ses fruits. De son côté, PNS sort un peu plus des sentiers battus et frappe un grand coup avec son 'Rocks for You'. Commençant tranquillement par quelques notes d'orgue discrètes, l'instrumental prend son envol lorsque PNS fait entrer une boucle de saxophone swinguante et tout simplement magnifique. Il n'en faut pas plus pour faire immédiatement sortir le titre du lot. Bon point de départ donc : les Molemen sont en forme.

Une fois ces considérations "molemeniennes" prises en compte, quelques constats s'imposent d'emblée concernant le Family Tree. Outre le changement de patronyme de notre ami capital D (rebaptisé D. Rashad), un nouvel élément a intégré les rangs de la famille. Et c'est une femme! Une fois débarrassé du côté exotique de cette inclusion, le talent de Rita J apparaît comme une évidence ('Simple Words') et la demoiselle fait plus que tenir sa place aux côtés des 6 autres membres. L'autre révélation de ce nouvel opus, c'est l'éclosion au grand jour du nouveau producteur Madd Crates. Chargé de la confection de 5 titres, il se démarque par une touche organique et des ambiances plus posées et chargées en émotion que celles affectionnées par les Molemen. Il apporte ainsi des espaces de respirations bienvenues au milieu de la machine de guerre mise en place par Memo et ses compères. De la basse fretless de 'Flow' à la guitare acoustique syncopée de 'Blow the Spot' en passant par les cordes crépusculaires de 'Motive', il montre que sa palette de styles est d'ores et déjà large et maîtrisée. Bref, avec Rita J et Madd Crates, All Natural a enrichi son roster judicieusement et préparé le futur en douceur.

En dehors de ça, le collectif garde la ligne de conduite qu'il a suivi depuis ses débuts en nous servant des textes qui alternent entre egotrips, confessions, déclarations d'intention et éveil à la conscience politique. Entre un pladoyer en faveur des artistes hip-hop élevés à la scène et aux classiques ('Flavor'), une battle impromptue ('Horse') et quelques diatribes destinées aux emcees de pacotille, on distingue clairement quelques passages hors du commun. Il y a d'abord cette personnification du 'Flow' qui permet à Mr. Greenweedz et Allstar de détailler leur relation torturée mais passionnée avec le micro. Mais il y a aussi comme toujours les interventions extrêmement justes et mesurées de capital D. Lorsqu'il se place en observateur critique et avisé des travers d'une société américaine qui a fait de l'hypocrisie un art en déclarant des guerres préventives tout en gardant une partie de son peuple dans un état d'esclavage mental latent; lorsqu'il en démonte les rouages sous nos yeux pour mieux en montrer le machiavélisme, il est tout bonnement magistral ('The World Keeps Turning', 'Push, Move, Build').

On a plaisir à voir le crew montrer son union en proposant de multiples combinaisons entre ses différents membres… et des extraits de live chaleureux (à l'image de la réappropriation du classique de De La Soul sur 'Buddy Live'). N'ayant nul besoin de soutiens extérieurs au micro pour nous garder en éveil au long du disque, le Family Tree prouve aussi son autonomie et la diversité de ses talents. Le seul intervenant microphonique extérieur est Prime, personnage notoire de l'underground chicagoan qui vient se greffer sans mal sur cet arbre généalogique dense. En guise de conclusion, on notera que le groupe Daily Planet (Spotlite & Allstar) est enfin mis à l'honneur. Ses membres sont en effet présents sur 70% des titres de l'album. Et ce n'est que mérité quand on connaît la fidélité du groupe à la structure de Chicago et sa maturation évidente ces dernières années.

Alors, il est clair que l'on ne trouve rien dans le fond ou dans la forme qui soit en mesure de changer le rap de ces prochaines années mais pourquoi s'en plaindre? No Additives, No Preservatives, comme le veut la tradition. On a le droit une fois de plus à un très bon album de rap aux effluves classiques, tout simplement. Un de ceux qui raviront les amateurs de flows carrés, de beats 4/4 addictifs, de scratches bien posées (merci Tone B. Nimble) et de lyrics intelligents… Un album qui ne décevra pas les adeptes de l'école All Natural, qui montre que le Family Tree contient en son sein une brochette d'artistes enviable et qui constitue une belle rampe de lancement pour l'avalanche de sorties qui nous attend ces prochains mois. A savoir les albums de Daily Planet, Iomos Morad, Mr. Greenweedz, D. Rashad et bien entendu All Nat… Pour patienter, "Tree House Rock" sera plus que suffisant.

Cobalt
Juillet 2003