Percy Carey est un survivant. Revenu d'une mort clinique en 1994, hémiplégique depuis, pourvoyeur de maxis légendaires pour Fondle'em, incarcéré depuis l'an 2000, ce vétéran méconnu de la scène rap new-yorkaise a orchestré avec DJ Fisher son grand retour au premier plan par le biais de son label Day By Day Ent. 2002 a enfin vu la sortie du premier album de MF Grimm : le superbe et sombre "The Downfall of Ibliss". Pour faire connaître MF Grimm comme il se doit, Cobalt a contacté MF Grimm par courrier pour une interview exhaustive couvrant l'ensemble de sa carrière. Grimm a gracieusement accepté de consacrer un peu de son temps à Hip-Hop Core. Voilà le résultat !
Hip-Hop Core : Quel a été ton premier contact avec l'univers hip-hop ?
MF Grimm : A l'origine, je dirais que ce sont Frosty Freeze du Rock Steady Crew et Louie Loo qui m'ont converti au hip-hop au début des années 80. Mais ma passion pour le rap n'est venue qu'avec l'arrivée de King Sun, Kool G Rap et Slick Rick. Ils m'ont vraiment montré la voie à suivre. En les écoutant, j'ai su que c'était ce que je voulais faire.
HHC : Quel est l'artiste qui t'as mis le pied à l'étrier ?
MF Grimm : Large Professor. Mais on n'a pas eu la possibilité d'enregistrer ensemble. J'aurai du être sur le 'Live At The Barbecue' de Main Source normalement (ndlr : aux côtés de Nas, Akinyele et Joe Fatal) mais je me suis retrouvé incarcéré pour une connerie au moment de l'enregistrement.
HHC : Après ce rendez-vous manqué, ta première apparition discographique remonte au "A Constipated Monkey" de Kurious. Es-tu toujours en contact avec Kurious depuis cette époque ? Il devait sortir un album dernièrement mais rien ne semble se passer…
MF Grimm : Je correspond toujours avec Kurious mais je ne peux pas te dire ce qu'il en est de sa musique parce qu'on n'en parle pas.
HHC : Pourquoi as-tu changé de nom ? Au début des années 90, tout le monde te connaissait sous le pseudo de Grimm Reaper puis tu es soudainement devenu MF Grimm.
MF Grimm : Grimm Reaper était un battle MC. MF Grimm est un artiste qui enregistre des disques. Grimm Reaper est parti… mais il peut revenir à la moindre occasion si le bouton est enclenché !!
HHC : Quel est ton point de vue sur le quartier de Manhattan où tu as grandi ?
MF Grimm : Manhattan est un bel endroit. J'aime tout ce qui fait Manhattan : le bon comme le mauvais. Manhattan, c'est tout ce que je connais.
HHC : Depuis l'époque de KMD, tu as toujours été affilié à MF Doom. Vous avez enregistré un EP commun pour Brick Records. Tu étais sur le classique "Operation : Doomsday". Il a produit une grande partie de ton "The Downfall of Ibliss". Quelle est la source du lien profond qui semble vous unir ?
MF Grimm : La source doit être l'amour qu'on a tous les deux pour la musique. Je suis d'ailleurs producteur exécutif d'"Operation : Doomsday" et du "Black Bastards" de KMD. Mais je pense qu'aujourd'hui MF Doom et MF Grimm vont dans deux directions différentes. L'attention et la loyauté de MF Doom vont vers Metal Face Records alors que je me concentre sur Day By Day Entertainment. C'est une évolution naturelle. Nous ne sommes plus des enfants et nous devons tracer nos propres routes… C'est ce que nous sommes en train de faire.
HHC : En 1993, dans la "Battle for World Supremacy", il s'en est fallu de peu pour que tu l'emportes. Tu n'as perdu qu'en demi-finale contre le légendaire Supernatural. Quels souvenirs gardes-tu de cet événement ?
MF Grimm : Avec le recul, je me dis que j'aurais dû faire confiance à mon intuition et l'atomiser… mais j'ai voulu montrer aux juges que je pouvais rimer afin d'obtenir un deal. J'aurai dû le démonter avec une Battle Rhyme. Cette défaite est entièrement ma faute. Il a gagné. J'ai perdu.
HHC : Au milieu des nineties, tu as posé ton flow sur de nombreux titres du "4,5,6" de Kool G Rap. Comment l'as-tu rencontré ? Lui parles-tu encore aujourd'hui ?
MF Grimm : C'est Large Professor et Joe Fatal qui nous ont mis en contact. Maintenant, je n'ai plus de lien avec G Rap. Rien de personnel mais là je suis en mission. J'ai faim de couronnes et de titres. Je ne fais pas de discrimination. Je suis en quête de tous les titres, celui de G Rap compris. Nas, Jay-Z, 50 Cent, DMX, n'importe qui… Tous ceux qui sentent qu'ils doivent m'arrêter ou se mettre en travers de mon chemin je les détruirai. Je me sens comme Roy Jones en boxe. Je veux des titres, des ceintures et tout ce qui va avec. J'ai vraiment faim. J'ai été au paradis et en suis revenu. J'ai été en enfer et en suis revenu. J'ai l'impression que G Rap a donné sa couronne à Nas parce qu'il est du Queens alors que je crois que je la méritais. Les choses ne sont pas dans l'ordre où elles devraient être… et peut-être qu'elles ne le seront jamais.
HHC : Depuis la même époque, tu continues de travailler régulièrement avec le producteur Dr Butcher. Est-ce purement professionnel ou y a-t-il une amitié là-dessous ?
MF Grimm : Dr Butcher est comme mon frère. C'est une amitié de longue date qui nous unit. Il ne m'a jamais lâché alors que beaucoup l'ont fait… trop pour que je les cite tous ici.
HHC : Par la suite, tu as enregistré de nombreux maxis pour Fondle'em. Qu'est-ce qui t'as mené à collaborer avec le label de Bobbito ?
MF Grimm : Bobbito est mon ami alors je l'ai fait. Le seul truc qui m'a déplu dans cette aventure, c'est que pendant que Bobbito travaillait pour le magasine VIBE, il n'a JAMAIS joué le moindre de mes morceaux aux personnes qu'il interviewait pour ses blind tests. Il leur passait du Mos Def, du Ol'Dirty Bastard et plein de trucs différents puis leur demandait (à des gars style Bill Clinton) s'ils avaient déjà entendu ces morceaux et les reconnaissaient. Ca m'a fait flipper ! Je bossais avec lui et c'était l'occasion idéale pour faire découvrir ma musique… Mais bon, c'est du passé. Fuck it.
HHC : J'aimerais parler de 'Scars & Memories' (ndlr : MF y raconte les événements et les conséquences de la fusillade qui l'a laissé paralysé). C'était un titre profondément personnel et à mon sens un classique. Peux-tu nous dire pourquoi tu avais décidé de parler de manière si franche de ta propre expérience de la violence sur ce morceau ?
MF Grimm : J'avais besoin de ce titre pour garder ma santé mentale. J'avais besoin de laisser sortir tous ces moments forts. C'était le seul moyen que je connaissais qui me permettait de me libérer de ce poids.
HHC : En parlant de textes forts, sur ton album "The Downfall of Ibliss", il y a beaucoup de rimes autobiographiques et de messages dirigés vers la jeunesse. Est-ce que c'est ta façon de partager la souffrance de ta vie dans la rue et en prison ('I.B.'s') avec les jeunes ? Est-ce une façon de leur dire : "Prenez bien le temps de penser aux conséquences de vos actes" ?
MF Grimm : C'est exactement ça. Tu as parfaitement compris ma démarche. C'est la seule chose que je peux offrir à la nouvelle génération : mes erreurs dans la vie.
HHC : Comment as-tu choisi les producteurs qui interviennent sur ton album ?
MF Grimm : Ils ont été les seuls à rester à mes côtés et à garder foi en moi. Les autres m'ont lâché.
HHC : Où as-tu trouvé l'inspiration pour écrire 'Life And Death' ?
MF Grimm : C'est l'histoire de Percy Carey, la mienne. Ca a été facile à écrire parce que c'est la réalité. En ce qui concerne la structure du récit, j'aime bien créer de nouvelles choses. J'ai utilisé des femmes pour représenter la vie et la mort parce que les femmes sont le plus grand cadeau que le Créateur est donné aux hommes… comme le sont aussi les 2 étapes par lesquelles passe un être humain : la vie et la mort. Sinon, je me suis amusé à glisser des références à des chansons et à des films dans le texte. Sur "The Downfall of Ibliss", c'est mon titre préféré (ndlr : moi aussi !).
HHC : En studio, comment enregistres-tu tes prises vocales ?
MF Grimm : J'aime bien tout faire en une prise puis doubler ma voix. Je prends du plaisir à enregistrer.
HHC : Est-ce que tu as la possibilité d'écouter de la musique depuis ta prison ?
MF Grimm : Je pourrais mais je ne le fais pas. Les seuls artistes que j'écoute, ce sont les artistes Day By Day. A ce sujet, je veux travailler avec Rayna Shine, Lightheaded et Prophetix. Faites un tour sur www.daybydayent.com pour en savoir plus à leur sujet.
HHC : Est-ce que tu écris des rimes tous les jours ?
MF Grimm : Non.
HHC : Pourquoi as-tu décidé de créer Day By Day ? Comment vous répartissez vous les rôles DJ Fisher et toi ? [Day By Day a sorti beaucoup de très bons albums cette année en plus de ton propre LP. J'ai particulièrement aimé l'album de Count Bass D.]
MF Grimm : Day By Day s'est créé de lui-même. C'était un besoin. Personne ne voulait dealer avec moi alors il était naturel que je prenne la voie de l'indépendance. On connaît la musique de toute façon. Pourquoi est-ce qu'on aurait besoin de quelqu'un pour nous dire ce qu'on doit faire ? Maintenant, je peux dire que c'est la meilleure chose qui me soit arrivée. Mais tout le crédit en revient à DJ Fisher. Il fait TOUT !!! Rappelle-toi que je suis en prison depuis l'an 2000 (que pourrais-je faire ?). C'est le président. Je lui fais confiance pour tout. S'il est partant pour quelque chose, je le suis.
En ce qui concerne Count Bass D, nous n'avons plus de lien professionnel… Maintenant, tout comme MF Doom, il est affilié à High Times Records. Ils pensaient que c'étaient dans leur intérêt à tous les 2 de rejoindre High Times. Moi, je préfère être indépendant et pour être honnête je dois dire que ça ne serait pas en faveur des intérêts de Day By Day Ent. d'être affilié avec High Times ou avec quoi que ce soit de "high". C'est trop simple de faire rentrer le hip-hop dans les stéréotypes et de se la jouer cool avec une imagerie basée sur le cannabis… Et puis je ne fais pas confiance à "High Times", ça pourrait être des fédéraux déguisés. Je leur souhaite bonne chance mais je pense que les départs de MF Doom et Count Bass D vont faire plus de mal que de bien (je pense aux enfants). Mais seul le temps le dira.
HHC : Qu'est-il arrivé à "The Lost Files" ? Cet album va-t-il sortir un jour ?
MF Grimm : Il va sortir bientôt. J'ai changé le nom, maintenant, c'est "Scars & Memories (Vol. 1) : The Prequel". Cet album exposera aux gens les événements qui ont amené à ma chute et ma façon de penser sur cette époque que je situe entre 1988 et 1994 (ndlr : l'année où on lui a tiré dessus).
HHC : Penses-tu toujours que tu ne vas sortir que 2 albums de plus avant de prendre ta retraite rapologique ?
MF Grimm : Oui !!! Si l'on ne compte pas "The Prequel"… J'ai un album intitulé "E-mail From Purgatory (Vol. 2)". "The Downfall of Ibliss" est en fait le volume 3 de cette aventure même s'il est sorti en premier. Je sortirai ensuite un quatrième volume dont j'ai décidé de ne pas révéler le nom maintenant. Ce sera mon dernier album. J'ai d'autres passions que je veux vivre pleinement.
HHC : Que peut-on attendre de toi dans les prochains mois ?
MF Grimm : Je serai libéré en Janvier 2003 alors attendez-vous à ce que je fasse du bruit dans le petit monde du Hip-Hop.
HHC : Merci beaucoup d'avoir pris le temps de répondre à mes questions. As-tu quelque chose à ajouter ?
MF Grimm : Je voudrais juste te remercier ainsi qu'Hiphopcore.net et les magnifiques français. J'espère pouvoir venir en France un jour.
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