Jon Doe
Meet Jon Doe

Malgré une distribution inexistante dans nos contrées, l'album "High Risk" de Prophetix est parvenu à atteindre l'an passé quelques oreilles averties. Et toutes ont reconnu la qualité de la production fournie par l'un des membres du trio : Jon Doe. De son QG d'Atlanta, ce proche de Count Bass D avait su mettre au point un florilège d'ambiances attractives encore inégal certes mais ponctué de quelques tubes imparables et d'un vrai sens de la boucle. Après s'être attelé avec son ami Egon à parcourir les Etats-Unis à la recherche des perles rares vinyliques qui permettront d'assembler la compilation "The Funky 16 Corners" pour le compte du label Stones Throw, Jon Doe nous revient aujourd'hui avec un premier album solo qui lui permet d'étaler ses talents de DJ-producteur au grand jour tout en réunissant une brochette d'artistes pour le moins appétissante.

Un coup d'œil au track listing de "Meet Jon Doe" suffit en effet à faire saliver tout hip-hopper normalement constitué. Avec d'authentiques poids lourds de l'underground coast-to-coast (MF Doom, Declaime, J-Sands des Lone Catalysts, Count Bass D, 7L & Esoteric, Scienz of Life, C-Rayz Walz, Supastition), des espoirs en pleine ascension (Medaphoar, Rubix) mais aussi quelques talents maison de Day By Day (MF Grimm, Lost N Found Department, Binkis et bien entendu Prophetix), Jon Doe a réussi à réunir autour de lui la crème de l'indépendance actuelle. En introduction, un extrait de film nous explique que Jon Foster a choisi son pseudonyme (d'ordinaire réservé à l'identification des inconnus) car il se considère comme un homme ordinaire, sans talent particulier. Pourtant quelque chose doit bien le distinguer des autres pour qu'il parvienne à s'allouer les services de tels artistes? L'argent? Pas vraiment. Des relations? Quelque peu mais sans plus. Un don pour la production? Plus probablement.

En effet, à l'écoute de "Meet Jon Doe", il apparaît clairement que Jon a le don pour trouver des samples de choix et pour les arranger avec panache. Dès le départ, la vérité éclate au grand jour. Un harmonica perçant, quelques envolées de piano, un rythme aux petits oignons : Jon installe on-ne-peut-mieux le décor pour ses compères de Prophetix (Eddie Meeks et Mello) sur 'Gotcha'… Lorsqu'un petit sample vocal arrive pour parer le refrain d'une saveur inédite, on est conquis. Surtout que le titre suivant est un autre sommet. Pour faire honneur à Metal Face Doom, Jon a concocté un instrumental aux relents de blaxploitation 70's idéals : une ligne de basse imparable, quelques cuivres intelligemment découpés, une flûte sur le refrain… Au long de l'album, on a le droit à une multitude de petits moments de pur plaisir musical de cet acabit. Dans un déluge de scratches et de cuivres, 'Strong Black Rebel Rap' s'ouvre de manière grandiose et permet à J-Sands d'avoir toute notre attention lorsqu'il aborde sa condition d'homme noir aux USA. Rubix est à son tour gratifié d'un instrumental haute qualité pour 'Brave at the Heart'. Les 2 (brèves) alliances avec Count Bass D sont elles aussi à la hauteur de nos attentes, en particulier 'Exit 273' où la synergie entre les deux hommes est évidente et où les variations instrumentales apportées par Jon Doe sont remarquables.

Au milieu de ces très bons titres, 3 titres semblent néanmoins survoler l'album. 'These Bills' tout d'abord, qui constitue à n'en pas douter un des meilleurs morceaux de C-Rayz Walz. Alignant les punchlines comme si sa vie en dépendait sur un nid de violons grandiloquents et de pianos énergiques, le leader de Stronghold joue de son flow élastique tel un Superman de la rime, impressionne une fois de plus et trouve en Jon Doe un concepteur sonore de valeur. Dans un registre totalement différent, 'Death Becomes You' est tout aussi mémorable. Doucement mélancolique et caressant, l'instrumental semble tout droit sorti du paradis et a la profondeur nécessaire pour mettre en valeur le texte très personnel et émouvant de Declaime sur l'omniprésence de la mort et notre relation avec elle. Enfin, la perle évidente de l'album reste 'The Signature (Rock On)' du cruellement sous-estimé Supastition. Après son superbe "7 Years of Bad Luck", il confirme ici qu'il est un des meilleurs lyricistes actuels (même si personne ne le sait encore). Porté par des violons tout simplement magnifiques et des boucles de piano remplies d'émotion, Supastition nous conte avec honnêteté son statut de emcee underground fauché à grand renfort d'anecdotes cruelles qui sentent le vécu. Un grand moment de hip-hop.

Evidemment, comme on pouvait s'y attendre vu la diversité des invités, l'album n'est pas aussi parfait que ces quelques titres touchés par la grâce : le remix de 'Teach The Babies' de MF Grimm nous rappelle trop 'L'Or Noir' (les familiers de la légendaire tape "Opération Coup de Poing" s'en souviendront) pour qu'on l'apprécie vraiment; le sympathique 'Hot Night' de Scienz of Life est plombé par un refrain chanté horripilant… D'autre part, certains emcees semblent peu à leur place ici. Ainsi, Medaphoar peine vraiment à transcender l'instrumental de 'Let 'Em Know' avec ses rimes vaguement menaçantes et montre qu'il n'est clairement pas la recrue la plus passionnante à sortir des rues d'Oxnard, fief de Lootpack. Il en va de même pour Lost-N-Found Department sur leur très jiggy 'Ain't Really'. Mais tous ces titres restent plaisants. La seule vraie débandade de "Meet Jon Doe" est en fait à mettre au compte du 'Title Track' de 7L & Esoteric. En plus d'un beat assez quelconque, on ne peut s'empêcher de remarquer qu'Esoteric devrait sérieusement songer à une cure de jouvence. Si le concept d'egotrip basé sur un enchaînement de titres d'albums de rap pouvait plaire, l'exécution est vraiment plate et le flow d'Esoteric devient de plus en plus insupportable. N'est pas Gza qui veut…

Finalement, lorsqu'on fait les comptes, le meilleur l'emporte pourtant clairement et Jon Doe montre ici qu'il est un producteur sacrément doué et polyvalent. Précis dans ses cuts, inspiré dans ses choix de samples, créateur d'ambiances talentueux, il étale son savoir-faire sans trop en faire. Cependant, il s'éparpille parfois un peu trop et il est clair qu'à la fin de ce LP il nous est encore difficile de définir précisément la patte de Jon Doe ou de détacher un son particulier. C'est peut-être sa force mais c'est en même temps un petit bémol pour la cohérence de cet album. Hormis cette remarque et le fait que l'on aurait pu se passer aisément de quelques titres en demi-teinte (qui viennent casser notre enthousiasme), on ne boudera pas son plaisir une seule seconde et on poussera fort les nombreux grands moments de "Meet Jon Doe" tout en saluant sa volonté unificatrice du hip-hop US. On notera d'ailleurs l'investissement évident de chaque invité, un fait rare dans ce genre de projet et qui ne fait qu'ajouter au mérite de son initiateur. Cette occasion inattendue de rencontrer et connaître plus précisément Jon Doe, un producteur à l'avenir vraisemblablement assuré, s'avère donc pleine de bonnes surprises et constitue un premier essai plus que respectable. Rendez-vous est pris en Septembre pour le nouvel opus de Prophetix.

Cobalt
Juillet 2003
Par années... Par catégories... | Par ordre alphabétique... | Chroniques récentes... |
Label: Day By Day
Production: Jon Doe
Année: Juin 2003

01. Intro
02. Prophetix - Gotcha (We Ain't Gon' Let You Go)
03. MF Doom - The Mic Sounds Nice
04. 7L & Esoteric - Title Track
05. J-Sands - Strong Black Rebel Rap
06. Medaphoar - Let 'Em Know
07. Interlude Uno
08. Binkis - Anonymous
09. Count Bass D - Exit 273
10. C-Rayz Walz - These Bills
11. Supastition - The Signature (Rock On)
12. Interlude Dos
13. Count Bass D - Number 3 Pouncyil
14. Lost N Found Dept. & Grizz - Ain't Really
15. Scienz of Life - Hot Night
16. Rubix - Brave At The Heart
17. MF Grimm - Teach The Babies (Remix)
18. Declaime - Death Becomes You

Best Cuts: 'The Signature (Rock On)', 'Death Becomes You', 'These Bills'

Si vous avez aimé...

Dernières chroniques

Recherche

Vous recherchez quelque chose en particulier ?

Copyright © 2000-2008 Hiphopcore.net