De Raw Breed à KHM, Marc Live a su traverser discrètement plus d'une décennie de rap. Ayant connu les fastes des majors mais aussi l'indépendance la plus totale, ce emcee/producteur à part a su constamment se réinventer pour perdurer dans un rap qui perd trop souvent la mémoire. Proche collaborateur (et accessoirement cousin) de Kool Keith, ami d'Ice-T, Analog Brother méritant, Marc Live est sur tous les fronts tout en restant dans l'ombre. Ceux qui étaient présents au concert de Kut Masta Kurt et Motion Man l'an passé auront pourtant pu se rendre compte de son énergie débordante et de son magnétisme rare une fois le micro en main. Alors qu'il prépare sa première offensive solo pour le mois de Février sur Junkadelic Zikmu et que KHM annonce son retour avec "Clayborne Family", Marc Live a bien voulu s'entretenir avec nous pour revenir sur sa carrière et essayer de mieux cerner cette figure incontournable et changeante de l'underground actuel. English version
Hip-Hop Core : C'est dommage mais beaucoup de gens ne te connaissent pas encore vraiment. Histoire de bien mettre les choses en place, pourrais-tu te présenter ?
Marc Live : Marc Live Rockstar : ex-membre de Raw Breed, associé de Kool Keith; producteur, hype man, membre de groupe et affilié de longue date d'Ice-T.
HHC : Pour commencer, j'aimerais parler un peu du passé. Peux-tu nous dire quelques mots sur tes débuts dans le rap et sur la création du groupe Raw Breed ?
M : J'ai commencé en 1991. Kool Keith est un membre de ma famille depuis très longtemps ; c'est lui qui m'a donné ma première chance et m'a aidé à enregistrer ma première démo. Raw Breed est né en 1992 et en 1993, moi, Nick Swift et Alexander The Great, on était signé par les producteurs de BDP, D-Square et Sidney Mills!
HHC : Dès 1993, Raw Breed sortait "Lune Tunz". On peut dire que c'était un album et un artwork surprenants pour leur époque. Que vouliez-vous faire avec ce LP ?
M : On voulait juste faire quelque chose de différent et de nouveau, faire quelque chose d'original et mortel, quelque chose qui soit avant-gardiste et un peu timbré.
HHC : Je crois qu'à un moment vous avez été affiliés au regretté Jam Master Jay. Peux-tu m'en dire plus ?
M : Jay a été notre manager pendant 6 mois et ça a vraiment été la meilleure période de ma carrière. On avait des meetings au siège de Def Jam et on traînait avec Method Man et Onyx. J'avais le sentiment d'avoir enfin réussi. On était managé par un pionnier, c'était énorme! Mais après 6 mois, il est parti en tournée avec Snoop, Dre et Onyx et on n'a jamais signé de contrat avec lui. Il nous a dit que ce serait dur pour lui de se concentrer sur nous pendant environ 5 mois. Nous, on était au milieu de notre projet et on avait vraiment besoin d'une attention quotidienne. Du coup, nos chemins se sont séparés. J'ai été désolé d'entendre qu'il avait été tué. C'est dingue!
HHC : Comment êtes-vous entré en contact avec Ice-T et son Rhyme Syndicate ensuite ?
M : J'ai rencontré Ice-T et son manager pour la côte est des Etats-Unis à un concert de Body Count à New York! J'avais été présenté à Ice par les Ultramagnetic MC's (de Kool Keith) au New Music Seminar. Lorsque j'ai rencontré Ice, je me suis dit: "This is the realest nigga alive." Quand on a fait la vidéo de 'Rabbit Stew' avec Raw Breed, j'ai mis un t-shirt Body Count. Ice a vu la vidéo et a dit à ses gars de rentrer en contact avec nous pour qu'on apparaisse dans la sienne. On est allé le voir et tout s'est fait naturellement.
HHC : Cette affiliation vous a en quelque sorte permis de faire passer votre carrière au niveau supérieur en signant avec une major et en sortant 2 albums chez Warner Brothers, dont un "Blood, Sweat & Tears" produit en grande partie par TR Love des Ultramagnetic MC's (et salué par la critique en 1997). Quel était le but avec ce dernier album ?
M : On voulait montrer de la diversité et présenter un style de production qui sorte un peu des sempiternelles boucles de soul et du genre de trucs que Jay-Z et Roc-A-Fella font aujourd'hui!
HHC : Pourquoi avoir mis fin à l'aventure Raw Breed ?
M : À la fin de 1997, le groupe s'est séparé suite à la disparition de la division rap de Warner. On est parti chacun de notre côté. Peu de temps après, Kool Keith m'a demandé de rapper avec lui à la place de Sir Menelik (ndlr : ancien disciple de Keith, aussi connu sous les noms de Scaramanga et Cyclops 4000, auteur en 1998 du LP "Seven Eyes, Seven Horns"). C'est là qu'a commencé l'ère Black Elvis!
HHC : Avec un peu de recul, quel est pour toi l'héritage laissé par Raw Breed ?
M : On était là au début, en 1992. Avant que plein de groupes que tu entends aujourd'hui commencent même à rapper. On a fait des vidéos mortelles et des disques dingues. On a été le catalyseur pour des groupes comme le Wu-Tang et Onyx!
HHC : Au cours de ta carrière, tu as connu les majors mais aussi l'indépendance. Quel est ton sentiment sur les 2 ?
M : Les majors s'intéressent aux ventes, les indépendants à la qualité. Les majors sont pop, les indépendants underground. Les indépendants te laissent t'exprimer et être créatif! Tu n'as pas à t'y soucier des politiques de labels.
HHC : Pourquoi as-tu décidé de travailler avec ton cousin Kool Keith après la fin de Raw Breed ?
M : Il m'a d'abord demandé de faire des beats pour ses freestyles et puis il m'a dit: "Viens avec moi sur scène, tu as une énergie rock." Il trouvait que j'avais beaucoup d'énergie et c'était (et est toujours) une grande force. J'ai vu le monde entier maintenant et je le dois à Keith.
HHC : Parlons un peu des Analog Brothers avec qui tu as sorti l'album "Pimp To Eat" en 2000. Qui a eu l'idée du groupe et de ce trip "pimp du futur"?
M : C'est Keith qui a eu l'idée du nom et Pimpin Rex (connu pour sa participation au 'I'm Your Pusher' de Ice-T) a formulé le concept.
HHC : Après ça, quand avez-vous décidé de faire un album sous le nom de KHM, Keith, H-Bomb (ndlr: aussi connu sous le nom de Jacky Jasper et auteur de l'album "Keep My Shit Clean") et toi ?
M : En 2001, avant le Warped Tour, H et Keith m'ont dit : "Faisons un groupe." Je me suis dit que c'était parfait parce que nous pouvions commencer à faire monter le buzz pendant notre tournée en en parlant… Et c'est ce qu'on a fait!
HHC : Depuis que tu travailles avec Keith, ton style de production est devenue très digital et brut. Qu'est-ce qui t'a donné envie de t'orienter vers des sons plus synthétiques et minimalistes ?
M : Les synthétiseurs te donnent plus de contrôle que les samples. Ca te permet d'aller dans des endroits où une simple boucle ne peut pas t'emmener. De plus, l'exemple de Keith m'a montré qu'un son plus futuriste te donnait une audience plus large et un public plus "intellectuel"!
HHC : Quand tu rappes aux côtés de Keith et de Jacky Jasper, il est frappant de constater à quel point ton style vocal est différent des leurs. Tu approches les morceaux avec une énergie beaucoup plus brute "in your face" alors que les flows de tes 2 compères sont plus complexes et que leur imagerie est plutôt abstraite. Est-ce que cette diversité était une des raisons de la création de KHM ?
M : Ca s'est juste passé comme ça. Mes influences sont à chercher du côté de BDP, Redman ou encore Rakim, donc j'ai toujours été plus "street" et direct dans mes lyrics. Mais en tout cas, le mélange des styles dans le groupe est intéressant.
HHC : Tu as démontré que tu étais un producteur doué. Si tu devais choisir entre la production et le emceeing, on a tendance à penser que tu pencherais pour les machines, non ?
M : Tout à fait. J'aime être dans les coulisses et je suis en train de m'orienter sur cette voie. Je veux développer de jeunes talents et les voir se lancer dans le bain. Rapper, c'est super. Mais créer une star c'est mieux!
HHC : Le nouvel album de KHM "Clayborne Family" traîne déjà sur le net alors qu'il ne doit sortir sur Junkadelic Zikmu qu'en Février. Pour ce que j'en sais, les retours sur cet album sont plutôt bons et je pense même que je le préfère à "Game". Mais peux-tu nous dire quelques mots sur les raisons de cette mise en ligne impromptue de l'album ?
M : Et bien, mon ancien partenaire en affaire (Darrick Angelone) et moi, nous avons cesser de travailler ensemble… et il a décidé de faire un coup de pute en douce en lâchant l'album sur le net, histoire de donner un peu de crédibilité à son site. Mais "Clayborne Family" sortira bientôt de manière officielle afin que les fans puissent l'avoir pour de vrai.
HHC : Que penses-tu de ce nouvel album de KHM justement ?
M : Il est dope. C'est plus mon style de beats : urbain et brut. Il est plus en contact avec la rue que nos précédents projets.
HHC : Marc Rippin', Mark Moog et puis maintenant Marc Live… D'où te vient cette manie de changer souvent de nom ?
M : Je pense que c'est bénéfique de se réinventer de temps en temps. Ca te permet de garder une certaine fraîcheur vis-à-vis du public. D'autre part, ça élargit ton champ d'action et ça permet aux gens de mieux séparer les différents personnages que tu "joues" sur chaque projet.
HHC : On a évoqué Junkadelic Zikmu un peu plus haut. Comment s'est faite la connexion avec la structure de DJ Junkaz Lou ?
M : Je suis rentré en contact avec Junkadelic par chance. Ils sont venus en Hollande pour un concert de Kool Keith et ils lui ont donné leur carte. Keith m'a parlé de la "Kool Keith Space Tape" de DJ Junkaz Lou et m'a dit que Junkaz voulait faire des disques avec nous en Europe! Un truc de fou!! Ensuite, on en a discuté avec eux et ils ont fait bouger les choses pour que ça se passe. Ces gars ont la classe. Ils aiment la musique et travaillent dur pour faire avancer le hip-hop. Les beats de Junkaz Lou ainsi que son DJing déchirent. Il pourrait être riche aux Etats-Unis!
HHC : Cette automne, on a eu la surprise de te voir en concert au Nouveau Casino aux côtés de Kut Masta Kurt et Motion Man. Ca a été un grand plaisir et il est clair que ta présence scénique en a impressionné plus d'un. Mais comment se fait-il que tu sois monté sur scène ce soir là ?
M : En fait, j'étais à Paris en train de commencer mon album avec Junkadelic et j'ai entendu parler du concert. Je suis donc venu faire un petit show. Le hype man de Motion (ndlr: Lyrical C) m'a donné un micro, après mon set avec Junkaz, et il m'a demandé de monter sur scène avec eux pour qu'on déchire la salle tous ensemble. C'est ce qu'on a fait!
HHC : Penses-tu revenir en France pour un concert dans un futur proche ?
M : Oui. J'espère venir au début de l'année aux alentours de l'époque où mon album va sortir. Fin Février.
HHC : Comme on en vient des les évoquer, est-ce que tu comptes bosser avec Kurt ou Motion un de ces 4 ? J'ai entendu que Kurt devait produire des titres sur un de tes futurs projets…
M : Oui. Kurt a fait 'Street Music' sur mon nouvel album et nous comptons bien collaborer encore plus dans le futur.
HHC : En ce qui concerne ce nouvel album "Validation". Il doit sortir fin février comme tu viens de le dire. A quoi doit-on s'attendre ?
M : Et bien, ce projet aura mis du temps à aboutir mais je touche enfin au but. Il est très brut et rugueux. Il s'appelle "Validation : Attack of the Grunge"… Ca devrait te donner une idée du son. C'est sale et solide tout en étant vif.
HHC : Sur cet album, pourquoi as-tu décidé de travailler avec d'autres producteurs tels que Ariel "The Cartel" Caban, SA-RA Creative Partners et Larry Hutch ?
M : Ariel est un ami de longue date. C'était le road manager de Raw Breed et il est tout simplement devenu mortel au niveau de la production ces 3 dernières années... Ensuite, SA-RA est composé de 2 membres que je connais bien : SLJ (qui a fait les titres 'New Jack Hustler' et 'O.G. Original Gangster' pour Ice-T et est un ancien membre de Raw Breed) et Ommas (qui était l'un des producteurs principaux de "Blood, Sweat & Tears"). Enfin, Larry du crew Junkadelic avait fait un instru que je ne pouvais pas laisser passer : 'Rush'. Je me devais de rapper sur ce titre. Peace à Crazy Larry au passage!
HHC : Qu'en est-il de l'album "Rockstar", un des tes autres projets ?
M : "Rockstar" parle de l'époque où je fréquentais le milieu des soirées et de la drogue à Hollywood. Ca sortira cet été. Cet album fera dire: "Damn!" à Morrison.
HHC : Je sais aussi que tu comptes faire un album fusion rock-rap avec Ice-T et Body Count sous le nom PSK. Qu'en est-il ?
M : C'est toujours en phase de développement. C'est un peu la rencontre de Nine Inch Nails et Type-O Negative.
HHC : Puisqu'on y est, d'autres projets en vue ?
M : Ouais. L'album "Live Black: Black Silver" et mon propre album de 'rock-hop'. Très sauvage et fou!
HHC : Passons à des questions plus générales. Que penses-tu de l'état actuel du hip-hop underground ?
M : L'Europe me fait penser aux USA au début des années 90. Ils ont faim. Le hip-hop n'est pas un business; c'est un art et les européens l'apprécient en tant que tel. Je pense d'ailleurs que c'est le cas partout… sauf aux USA. Aux Etats-Unis, c'est une grosse entreprise avec du marketing, des vidéos utilisées pour véhiculer une image donnée, des contrats publicitaires avec des marques de boissons… La musique est perdue. Les jeunes rappers n'innovent plus pour essayer de faire avancer la musique. Ils copient Jay-Z et veulent conduire des Maybach. C'est triste. J'espère que les choses changeront mais, en attendant, le hip-hop prend du crack!
HHC : Quel genre de musique écoutes-tu quand tu n'es pas en studio ?
M : J'écoute Flowetry, Stoned Temple, The Doors, des vieux Michael Jackson, Ultramagnetic MC's et le "Greatest Hits" d'Ice-T.
HHC : Que sais-tu de la scène hip-hop française maintenant que tu es connecté avec DJ Junkaz Lou ?
M : Je sais que les français aiment le hip-hop. Ils sont au courant de ce qui se passe et écoutent beaucoup de nos trucs. Et ils connaissent aussi l'histoire qui se cache derrière! Mais bon, c'est comme pour tout, il y a encore une scène commerciale chez vous et beaucoup de gens pensent encore que la techno est funky… alors il y a encore des progrès à faire… mais ce n'est pas si loin que ça… De mon point de vue, Paris et les français sont dope.
HHC : Voilà, on arrive au bout de cette interview. Merci beaucoup.
M : Merci pour cet entretien. Peace. Marc Live 2004!
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