Dépositaire d'un des albums les plus réussi de l'an passé avec "Vive La Vie", le Klub Des Loosers a enfin obtenu la reconnaissance méritée par l'ensemble de la critique. Il faut dire que Fuzati a fait fort avec cet album envoûtant qui nous plonge directement dans l'univers tortueux et surprenant de cet intriguant personnage masqué, tant au niveau musical que lyrical, assisté par Detect aux platines. Album qui vient confirmer tout le bien que l'on pensait du groupe depuis plusieurs années déjà et la sortie des maxis "Baise Les Gens" et "La Femme De Fer". En tournée dans toute la France, nous les avons intercepté à Reims avant leur concert et nous sommes entretenus un moment avec eux. Interview entre "loosers".
HHC: Tu as choisi un sample tiré du film "Cannibal Holocaust" pour le morceau 'De L'Amour à La Haine', est-ce simplement pour sa sonorité ou l'as-tu choisi pour ce qu'il représente, c'est-à-dire un film aux images crues, qui dérangent et qui donc font un clin d'œil aux paroles du morceau ?
Fuzati: Non j'avais grillé le sample avant même d'avoir l'idée du thème.
HHC: L'une des grandes qualités de ton album est l'homogénéité musicale qui s'en dégage. Comment es tu parvenu a éviter la redite tout en conservant le même type de sonorités tout au long du disque?
F: C'est parce que je n'ai pas écrit morceau par morceau. J'avais déjà tous les thèmes en tête et j'ai vraiment conçu ça comme un film. Il y a des redondances mais elles sont volontaires en fait, quand je parle deux fois du Viêt-nam ou que t'as des morceaux comme 'Pas Stable' ou 'Depuis Que J'Etais Enfant' qui n'amènent rien fondamentalement mais qui participent au sentiment d'enfermement du personnage dans la "loose". J'ai conçu l'album comme une espèce de gradation vers l'envie de suicide. Et je l'ai fait sur un an. Même si je n'ai pas travaillé pendant un an, j'ai vraiment pris mon temps et je voulais quelque chose de cohérent, et tant mieux si ça a réussi. Je ne voulais pas que ce soit une compilation de morceaux, je voulais que ce soit un album.
HHC: Ce que je trouve aussi très pertinent, c'est la façon avec laquelle tes beats sont en symbiose avec tes samples, comme s'ils avaient toujours été là. Tu vas me répondre que c'est une base dans la production mais dans ton album cela relève d'un naturel assez saisissant.
Detect: Bah ouais c'est le travail de production.
F: Je sais pas comment t'expliquer ça, sur le sample t'as un beat d'origine et tu le recouvres, ou t'en as pas et…
HHC: Justement, peut tu nous expliquer comment tu travailles sur les samples, avec quelles machines par exemple?
F: Alors pour "Vive La Vie" on a travaillé chez James Delleck. (A Detect) Je sais plus ce qu'il a comme sampleur…
D: Un Akaï S3000 ou S5000…
F: Ouais il a un 5000. Et maintenant j'ai une MPC. Et sinon la façon dont je travaille, c'est que j'écoute des disques toute la journée, tout le temps. Et je suis tout le temps en train d'acheter des disques à 1€ ou 2€, et de trouver des boucles. En un an j'ai du faire plus d'une centaine de sons, c'est l'amour de la boucle. C'est comme une espèce de drogue de tout le temps faire du son même si c'est que pour moi, même si le truc sort pas. Si j'entends un truc, il faut que je le boucle. C'est une espèce de maladie. Un type, il voit une fille il veut la baiser, ça c'est des Casanovas. Moi c'est la boucle que je kiffe, tu vois. J'aimerais bien sortir d'ailleurs plein d'albums instrumentaux mais je crois que ça n'intéresserait pas grand monde en France.
HHC: Bah si, pourquoi pas !
F: Je veux dire c'est comme ce que font des mecs comme Madlib ou MF Doom, c'est même pas pour se faire de l'argent. C'est genre tu fais tellement de sons toute la journée qu'à un moment t'as envie de sortir les boucles et de les faire partager aux gens. Et c'est vraiment une espèce d'amour, genre "Je kiffe ce disque, il y a cette boucle que je m'approprie parce que je la trouve trop belle, et je vous la fait découvrir par l'intermédiaire d'une autre boucle". Moi c'est comme ça que je vois le truc.
HHC: Tu es un fervent défenseur du vinyle. Peux-tu nous expliquer les raisons pour lesquelles tu as décidé de sortir le featuring avec MF Doom sur 'Depuis Que J'étais Enfant' uniquement sur la version maxi vinyle du titre?
F: C'est pour faire un hommage à Fondle'Em. Je trouve ça important. Nous, on a toujours acheté plein de petits maxis underground, et je voulais que ce soit un petit maxi underground justement. C'était aussi une façon de montrer aux gens que je bossais avec Doom pas pour son nom ou je sais pas quoi mais juste parce que je kiffe ce qu'il fait. Je voulais pas faire "Hey, j'ai eu MF Doom". Et puis, tu vois mon album est personnel et un couplet de MF Doom en plein milieu de "Vive La Vie" ça aurait fait bizarre.
D: Ca n'aurait eu aucun sens.
F: Ouais c'est exactement ça. Donc c'était une manière de bosser différente, et je suis content du morceau parce que je lui ai imposé un thème, de parler du looser qui est en lui, et c'est cool parcequ'il a collé au thème. C'était bien de l'avoir sur ce morceau.
HHC: Est-ce qu'avec ton emploi du temps chargé, tu as encore le temps de faire un peu de "crate digging"?
F: Oh oui tout le temps ! Tout le temps !
HHC: Et ici à Reims aujourd'hui tu as eu le temps?
F: Le problème c'est que quand t'es en tournée et que tu vas dans des villes, t'arrives en fin d'après-midi, et le temps que tu fasses le tour des shops c'est déjà fermé. Mais ne t'inquiètes pas qu'à Paris il y a énormément de bons disquaires. Et puis il y a un moment ou j'ai acheté un gros lot de disques d'un coup et je découvre encore des trucs chez moi.
HHC: J'aimerais savoir où s'arrête le récit des aventures de ton personnage pour laisser place à la partie autobiographique à l'intérieur de tes textes.
F: Bah justement on sait jamais et c'est ça qui est intéressant. Il faut juste se dire que Fuzati est un personnage. Après, moi, j'y mets beaucoup d'autobiographie dedans. Mais ça, ça ne regarde que moi. Les gens ne doivent pas chercher à savoir. C'est comme quand tu lis un bouquin, tu ne sais pas si l'auteur s'est inspiré de quelqu'un qu'il connaît ou de lui-même. On s'en fout, l'important c'est que ce personnage te parle.
D: C'est l'ambiguïté qui est intéressante aussi…
F: C'est ça ! C'est de se dire est-ce que c'est vrai ou pas vrai? Il ne faut pas trop chercher à savoir si ce qui est dit sur "Vive La Vie" est vrai, pour se dire "ah ouais mais en fait dans la vie…". Surtout que je raconte mon adolescence alors que je ne suis plus du tout adolescent. Donc forcément ce que je raconte là, c'est quelque chose que j'ai vécu mais avec lequel je ne suis plus forcément en phase aujourd'hui. Quand tu écris un album peut-être que ce que tu racontes est vrai à cet instant là mais le temps qu'il sorte t'as le temps d'évoluer, et c'est pour ça que c'est important de dire aux gens que, quand tu es artiste, t'es quand même un personnage. Dans "Vive La Vie" j'ai choisi de raconter plein de moments où tout bascule, où tu as envie de te suicider, 'De L'Amour A La Haine', des choses comme ça. Ce sont des moments qui me sont arrivés mais je ne me limite pas à ça. Par exemple sur "Vive La Vie", je n'ai pas pu tout dire, et sur mon prochain album il y aura un aspect peut-être plus drôle parce que je suis aussi un mec qui aime faire des blagues et tout. Cet aspect apparaîtra, et ça ne voudra pas dire que j'ai changé. C'est juste que tu ne peux pas tout développer sur un album.
HHC: Tu nous confiais récemment que "Vive La Vie" était construit autour des thèmes suicidaires qui ont fait ton "succès" mais que ce serait peut-être la dernière fois que ton travail serait aussi sombre. Dans quelles directions envisagent tu de travailler à l'avenir?
F: (rires) A chaque fois qu'on prononce le mot "succès" pour le Klub Des Loosers je rigole. Mais en fait c'est pas ça, c'est que je fais évoluer le personnage de Fuzati avec ce qui m'arrive dans la vie. Je suis un mec cynique, un mec qui a bien les pieds sur terre. Donc ça restera dans la même veine, mais il est clair que je suis moins suicidaire qu'à une époque et que, si j'avais dû me suicider je l'aurais fait. Il y a vraiment des moments où ça a failli se passer. C'est pas drôle, mais là je suis dans une période de ma vie où justement, parce que je sors des disques, parce que je fais des choses, parce que je suis sur la route, je suis moins triste. J'ai un fond suicidaire et il est possible que ça revienne mais en ce moment ça va. Donc comme c'est une période de ma vie où il n'y a pas cette envie, bah ça se retrouvera aussi sur le disque. Mais je ne me complais pas dans le suicide. Je ne me suis pas dit: "Ah le suicide c'est marrant, je vais en parler". Il y en a eu autour de moi, j'ai eu aussi envie et comme je te dis il y a des gens qui viennent sur terre avec la faculté de se suicider… Il faut quand même avoir des couilles, et moi je fais partie de ces gens là. Après, je ne te dis pas que je me suiciderais forcément. C'est d'ailleurs un truc contre lequel j'essaie de lutter car quand t'es suicidaire dès que ça va mal t'es un peu tendu, tu vois c'est pas quelque chose de drôle mais j'essaie de le développer. Cependant, je ne veux pas en faire une marque de fabrique, je ne vais pas me pendre à la fin de chacun de mes morceaux.
HHC: Dans "Vive La Vie" tu abordes beaucoup la question des sentiments amoureux. Dans un autre registre tes potes de TTC ont, dans "Batards Sensibles", réglé leurs comptes avec les femmes. Pourquoi ce désenchantement vis à vis des relations hommes/femmes?
F: Déjà, pour TTC, je ne vais pas répondre. Je pense que c'est un délire différent, c'est un délire club, de salopes en club et tout, donc ça n'a rien à voir. Moi, je sais pas, je raconte juste ma vie. Je suis un jeune romantique. Je mettais les femmes sur un piédestal, il se trouve que j'ai été beaucoup déçu. Donc de l'amour à la haine il n'y à qu'un pas et après tu les traites de putes parce que tu es déçu. C'est une espèce de protection, tu vois. "C'est vrai de toute façon ce sont toutes des putes", parce qu'en fait t'as pas réussi à trouver l'amour. Et je pense qu'on fait partie de cette génération de mecs qui ont été élevés un peu dans le respect de la femme avec plein de magazines féminins et avec cette espèce de présomption de culpabilité, "les mecs savent pas s'y prendre avec les filles, les mecs savent pas qu'il faut les préliminaires et tout". Donc on arrivait vers les filles avec cette espèce de pression genre "tu as intérêt à bien te comporter". Et finalement vers 15/16 ans, les filles sont un peu des sales gamines et n'attendent pas qu'on les respecte. Et justement, elles se tournent plus vers les mecs qui les font souffrir, un peu rebelles. Donc quand tu arrives en les respectant, qu'est-ce qu'elles font? Elles te brisent le cœur, parce qu'elles se cherchent et qu'elles testent leur pouvoir de séduction. Maintenant, quand je vois des petites fans de 19/20 ans qui viennent me voir et qui sont toutes excitées, ça me rappelle quand j'avais 19/20 ans et que des filles comme ça me brisaient le cœur… Alors maintenant, je les prends de haut et je vois juste en elles des filles qui apprennent à être femmes.
HHC: Comment expliques-tu toute l'intrigue, la passion autour de Fuzati? A-t-il un charisme fou qui fait tomber toutes les femmes? Est-ce le masque? Est-ce les textes? Est-ce les boucles, si joliment choisies? Est-ce le coté "looser" dans lequel chacun se reconnaît un peu? La soudaine médiatisation grâce à Canal+? Est-ce tout à la fois?
F: Je ne sais pas. Honnêtement, je ne me pose pas la question et tant mieux. J'essaie juste d'être moi-même, d'être vrai. Après, tant mieux si ça plaît. Peut-être qu'à des moments ça plaira ou ça ne plaira pas, je ne sais pas. Enfin, tu sais, je suis là pour faire de la musique. Je ne réfléchis pas aux raisons du succès, et puis qu'est-ce qu'un "succès" de toute façon? Tu sais, Frédéric François, il a des millions de vieilles qui le kiffent. C'est juste agréable d'avoir des gens qui comprennent ta musique en fait. Même pas qui l'aiment, mais qui comprennent. C'est cool. Limite, si quelqu'un dans une chronique me défonce, mais a compris le truc, je suis content. Plus content que quelqu'un qui m'encense alors qu'il n'a pas compris et qu'il m'a juste pris pour un rappeur rigolo.
HHC: Est ce que Detect est officiellement membre du Klub Des Loosers? Est-ce qu'il prend la place d'Orgasmic ou t'épaules-t-il juste en tant que DJ?
D: Nan, je suis juste le DJ du Klub Des Loosers, je ne remplace pas Orgasmic.
F: Orgasmic, ça correspondait à une époque. On était plus meilleurs potes qu'artistes ensemble. Finalement, on a fait très peu de morceaux ensemble. On traînait tout le temps ensemble et c'est plus pour ça que je voulais l'affilier au Klub Des Loosers. Mais Orgasmic n'a jamais été super membre du Klub Des Loosers dans le sens où il était déjà DJ pour TTC depuis qu'il avait 18 ans. Finalement, il n'avait pas un rôle de ouf dans le Klub. Enfin, il faisait les scratches et il participait un peu aux prods. Mais tout le délire du personnage, l'idée, l'esthétique et tout ça venait de moi. Donc le Klub Des Loosers, c'est Fuzati. Après au sens large, on pourrait dire que le Klub Des Loosers c'est aussi Detect et James Delleck parce que c'est la structure avec laquelle on avance. Il y a plusieurs sens. Il est clair que Detect amène aussi son avis sur les prods, ce qui est un travail, mais il intervient vraiment plus en tant que musicien. C'est le musicien avec qui je traîne le plus parce qu'il est plus important. C'est comme un duo de musiciens, tu vois la différence, on utilise les scratches comme un instrument. Sur scène, on est tout le temps ensemble mais après tout mon délire sonore, c'est vraiment le mien. (A Detect) Enfin, toi, tu te retrouves dans certains de mes délires, plus ou moins…
D: Ouais largement…
F: Mais ça vient de moi. On ne fait pas forcément les instrus ensemble. J'ai toujours été quelqu'un d'assez solitaire donc j'ai besoin d'être seul pour créer et j'ai aussi après besoin d'être avec d'autres personnes parce que ça crée une espèce d'émulation positive. Et je pense que dans un premier temps, c'est pas mal d'être à traîner chez toi, à faire tes sons, puis ensuite d'aller demander à des gens leur avis. C'est aussi une manière de communiquer via la musique.
HHC: Detect, ta sélection est largement plus éléctro qu'il y a quelques années, comment perçois-tu le rap à l'heure actuelle et quels sont les points qui t'ont motivé pour être DJ d'un MC et de faire une tournée?
D: J'ai toujours été plus ou moins DJ d'un MC. Dès mes débuts quand j'ai commencé à mixer en 95, j'étais avec mon cousin et on traînait avec L'Skadrille et un peu tout le monde. Mon cousin qui est un des rappeurs de Frer200…
F: (rires) Ca y est t'as lâché le dossier…
D: J'ai toujours été DJ dans des groupes de Hip-Hop, que ce soit dans des quartiers comme La Verrière ou Trappes, dans les Yvelines ou que ce soit avec Frer200. On avait fait des premières parties avec TTC en 1996/1997. Avant que je travaille avec Le Klub Des Loosers, j'étais DJ pour James Delleck, avant qu'il sorte son album en 2000…
F: La Caution aussi nan? T'as fait des scratches sur leur album…
D: Ouais, La Caution aussi…
F: Et c'est pour ça aussi que finalement, c'est dans la continuité. A un moment, on traînait vachement tous les trois avec Orgasmic qui venait à Versailles…
D: Avec Orgasmic, on faisait des mixtapes ensemble, on a fait beaucoup de soirées tous les deux …
F: C'était la même osmose et finalement c'est complètement dans la continuité. Je travaillais avec Orgasmic à une époque, mais si j'avais rencontré Detect avant j'aurais pu aussi travailler avec lui. Il se trouvait qu'humainement à un moment ça le faisait grave avec Orgasmic donc il y avait un plaisir à travailler avec lui. L'humain est important tu vois, et nous on s'entendait bien. Et puis on était dans la même vague de son donc ça collait parfaitement. On aurait tout à fait pu imaginer des concerts du Klub Des Loosers avec Orgasmic et Detect aux platines. Ca n'aurait pas été un truc aberrant, ça reste vraiment dans la continuité de gens qui aiment bien la musique, qui viennent du même milieu social. Genre des mecs de classe moyenne avec leurs petits sacs à dos dans les transports en communs, qui ont la même histoire.
HHC: Est-ce que justement cette formation sur scène (ou même sur disque) DJ/MC te tenait à cœur?
F: C'est super important. Tu vois c'est moi qui ai saoulé Orgasmic pour qu'il y ait un morceau de turntablism sur le premier EP (ndlr: 'Désintéressement Passioné' sur le maxi "Baise Les Gens"). Vu que c'est un mec qui n'a pas trop confiance en lui, il ne voulait pas forcément le mettre. Je lui ai dit: "Mais si, vas-y, mets-le c'est mortel"; et c'est vraiment ma volonté de toujours avoir un DJ, c'est super important. J'ai toujours kiffé le scratch. Je ne me suis pas acheté des platines parce que ça coûte très cher. J'ai mis mon argent dans les disques mais je pouvais pas m'acheter de MK2. Mais dès que j'ai l'occasion de scratcher un peu pour rigoler, j'aime bien le faire. C'est un peu un fantasme d'ado. Et puis ça fait partie du Hip-Hop. Je suis vraiment un amoureux du Hip-Hop, et je ne peux pas imaginer un morceau Hip-Hop… Enfin, il y en a où ça ne convient pas, mais le scratch peut rentrer en compte même si c'est juste pour un habillage comme sur 'Toute La Vérité'. Faut le faire même quand c'est une petite relance comme sur 'Dead Hip-Hop'. La musicalité de la platine, j'ai grandi avec et c'est cool que ça y soit tu vois.
D: C'est hyper important… Surtout que ça se perd vachement dans le Hip-Hop français et même dans le Hip-Hop en général.
F: Ouais voilà, même si tu dois faire un (Fuzati mime un petit scratch), juste ça tu vois. Ca peut arriver au bon moment sur un morceau et…
D: Faire la différence.
HHC: Detect, où en est ton nouveau projet électro ?
D: C'est un projet que j'ai fini depuis 6 mois. Je démarche pour essayer de le sortir autrement que dans le circuit mixtape parce que je pense que ça perdrait de l'intérêt. C'est une compilation de morceaux inédits de groupes français et étrangers Hip-Hop et électro. Donc il y aura entre autres TTC, Stacs Of Stamina, La Caution, Mr Oizo, Feadz… qui m'ont tous filé un morceau inédit. Et je voulais sortir une compile regroupant tout ça en fait. Donc je pense que je vais en faire un CD-R et le vendre sur un site Internet. Mais après, les circuits, les maisons de disques et tout ça font que si tu ne vends pas un minimum… C'est galère de sortir un truc.
F: Je crois que les gens ne se rendent pas compte à quel point c'est dur de sortir un disque. C'est-à-dire que moi si j'arrive demain dans une maison de disque, et que je fais: "Voilà j'ai fait trois nouveaux morceaux !", c'est pas pour ça qu'ils vont les sortir en maxi. Ils seront là genre: "Oui… c'est bien, mais tu sais un maxi vinyle ça ne vend pas aujourd'hui et on va investir de l'argent". Il faut se battre! Déjà quand tu sors ton disque t'es là: "(soupir de soulagement de Fuzati) ça y est, il est en bacs et il n'a pas été diffusé sur Internet deux mois avant". Les gens se rendent pas compte. C'est pour ça que souvent je parle mal des nerds. Parce qu'ils m'énervent ces petits cons à être là genre "hm, j'ai téléchargé ça…". Ils ne se rendent pas compte du boulot qu'il y a derrière. Faut se taper pour sortir un truc, vraiment, c'est un truc de malade.
HHC: Presqu'au même moment sont sortis "Vive La Vie" et "Batards Sensibles", deux styles bien différents tant dans le fond que dans la forme, comment te places-tu dans ce qui est facile d'appeler "la nouvelle vague du rap français"?
F: Pour moi c'est une appellation qui n'a pas de sens. A un moment on a tous été unis parce que c'était une époque, l'époque de L'Atelier, mais je pense que s'il y avait plus de rappeurs comme nous aujourd'hui, peut-être que le gens n'oseraient même pas assimiler TTC au Klub Des Loosers. Parce que ce sont des musiques qui n'ont rien à voir, de même que James Delleck n'a rien à voir avec le Klub Des Loosers. Après on s'entend bien, on peut collaborer ensemble sur des projets. Hier, on a fait un plateau (ndlr : à Rennes) où il y avait Cyanure, James Delleck et le Klub Des Loosers. Pour moi, c'était trois musiques différentes qui restent dans le Hip-Hop. TTC sont dans un style plus booty. Chacun fait son truc. Mais pour moi il n'y a pas de nouvelle scène. C'est des trucs de journalistes ça, tu vois. Ce sont des étiquettes.
HHC: Si tu étais un écrivain, auquel t'identifierais tu le plus ?
F: Je ne m'identifie à personne, j'essaie juste d'être moi. Mais après je peux te citer des écrivains que j'aime bien. J'aime bien Hemingway, j'adore Dino Buzzati, Italo Calvino ça défonce aussi. J'aime beaucoup la littérature italienne. Guy De Maupassant ! C'est incroyable de cynisme, c'est trop cynique… Il y en a tellement…
HHC: Même question si tu étais un cinéaste.
F: Je suis beaucoup moins cinéma, mais Fellini, David Lynch… (A Detect) Vas y c'est toi qu'est dans le cinéma…
D: Hm je ne sais pas, Chris Marker,… Et ouais moi le néo-réalisme italien je trouve çà très bien, Rossellini, Fellini…
F: Mais tu vois un mec comme David Lynch c'est vraiment un mec qui a un univers…
D: Ouais c'est de plus en plus rare, que ce soit dans la musique ou dans le cinéma…
F: C'est un mec qui est vraiment lui-même, c'est un artiste, et tu te rends compte quand t'as vu toute sa filmographie comment le mec a évolué et est resté dans son univers, parce qu'il y a vraiment des choses qui reviennent tout le temps. Mais c'est pas toujours la même chose, c'est un artiste. Quel que soit le style, que j'aime ou j'aime pas, je respecte toujours d'un artiste quand tu sens que ça vient des trippes et qu'il le fait vraiment sans démagogie, sans rien. C'est pour ça que je respecte un mec comme Francis Lalanne. Ca va paraître con mais voilà. Je sens que le mec ça vient des trippes, qu'il est à fond et qu'il fait son truc. Après, je n'écouterais pas forcément ses disques mais c'est vrai qu'il y en a de moins en moins des gars comme ça. Et la télé réalité forme des interprètes. C'est bien d'être interprète, mais il n'y a pas de mecs qui arrivent vraiment avec leur délire. Tu vois, moi, j'aime bien sentir qu'un mec n'arrive pas à se coucher parce qu'il n'a pas fait son morceau ou parce qu'il y a ce film qu'il veut réaliser mais qu'il n'arrive pas à trouver les fonds nécessaires. C'est vraiment le truc qui t'obsède tout le temps, ça te quitte pas. C'est pour ça qu'à un moment j'en pouvais plus, parce que tu rentres chez toi, t'allumes ta MPC, tu fais du son et à un moment tu fais tout le temps ça. C'est un peu bizarre tu vois mais ça ne peut pas te quitter.
HHC: Pour quand est prévu le prochain album? Y aura-t-il cette fois des invités et laisseras-tu la place à des producteurs extérieurs?
F: Les prods, tant que je peux les faire, je les fais. Si je dois poser sur d'autres prods, j'aimerais bien faire tout un album avec quelqu'un d'autre. Mais si c'est juste pour avoir une prod de quelqu'un d'autre, à moins que le truc me retourne la tête, ça ne m'intéresse pas trop. Parce que comme je te disais, j'en ai vraiment plein plein plein en stock. Donc "Vive La Vie" s'inscrit dans une trilogie. Il y aura encore deux autres albums qui seront la suite des aventures de Fuzati. Là je suis en train de bosser sur un album qui est quand même plus une série de nouvelles. C'est plein d'histoires et le personnage de Fuzati est moins présent. C'est plus Fuzati qui raconte des trucs un peu dans la veine des freestyles Grekfrites, de 'La Femme De Fer'… Mon côté écriture automatique sera plus présent. Et il y aura des invités mais je ne préfère pas t'en dire plus pour le moment… Ca sera "Le Klub Des Loosers présente…", plus que le Klub Des Loosers. Mais j'ai aussi envie de marquer une petite pause, pour que les gens n'arrivent pas trop vite à saturation du personnage de Fuzati, pour qu'ils prennent le temps de s'y attacher et qu'avec ce deuxième album des gens découvrent peut-être "Vive La Vie". Pour qu'après il y ait une cohérence, parce que j'essaie de progresser dans mon travail. Peut-être que je vais changer de point de vue, on ne sait jamais… Mais le but, c'est de coller un peu à la vie, de prendre la température de ton époque et d'essayer de la retranscrire.
HHC: Jonathan Lambert t'as mis en connexion avec Arthur, tu es ainsi passé deux fois dans son émission radio. Comment perçois-tu les phrases telles que "D'habitude j'aime pas trop le rap mais là", quand on est un rap lover comme toi?
F: Bah ça fait plaisir! C'est étonnant en même temps. T'imagines que je suis un rappeur et je viens rapper 'Perspectives' en masque à trois heures du matin devant Hélène Ségara. Je suis un rappeur Versaillais, et au bout de deux morceaux j'arrive à imposer le respect à des gens complètement cons, complètement plein de coke je suppose, bourrés au Champagne. Et j'arrive à créer l'espace d'un instant un espèce de silence genre "Ah ouais…"! C'est cool! Ca veut dire que je rappe pas que pour les rappeurs et qu'un mec comme Arthur qui ne s'y connaît forcément pas en Hip-Hop, ça l'a touché. C'est cool! Pas parce que c'est Arthur, mais parce que c'est un mec qui n'a rien à voir. Et je me dis qu'il y a une partie de la mission qui a à peu près réussie tu vois. C'était pas vraiment agréable d'être là-bas, c'était apocalyptique. T'es entre deux prostituées, Greg Le Millionnaire et des strip-teaseuses. Il est trois heures du mat, et moi vers trois heures du mat je suis fatigué en général. Et t'es devant Hélène Ségara et Julia Channel. Tu revisualises toutes les images où tu t'es branlé devant Julia Channel quand t'avais 14 ans (rires). Nan c'est vrai, il y a de ça, et là t'es en face d'elle en train de faire: "Où les filles font toutes du sexe anal" et là elle fait: "Oh nan pas toutes". Et là, toi, tu repenses à toutes les fois où tu l'as vue se faire enculer, il y a quelque chose de… C'est chelou, tu vois. T'es là et tu te dis: "Je suis sur Europe 2, avec Arthur". Après, j'étais à côté d'Estelle Halliday, tu vois, en masque. Et c'est tellement irréel que tu ne te dis même pas c'est le vraie vie, tu peux même pas te dire: "Ah ouais je me la raconte…", c'est juste irréel. Je parlais avec Air et ils me disaient qu'ils avaient gardé un peu leur point de vue d'enfants. Ils s'étaient toujours demandés comment c'est une émission de télé quand ça s'arrête, après le générique. Ils ont gardé ce point de vue là et du coup ils avaient kiffé leur célébrité pour ça. Pas pour se la raconter mais parce que d'un coup tout devient possible, genre: "tiens j'aimerais bien écouter les masters originaux de Gainsbourg… Allez, on les écoute". Tu vois c'est comme quand on t'offre un bonbon ou un magasin de jouets où tu peux te balader toute la nuit. Et je pense que c'est ça. Plus tu montes en succès, plus le magasin de jouets grandit et plus t'as un espèce d'éventail de possibilités de ouf que t'aurais jamais imaginé. Et si t'as gardé tes yeux d'enfants, tu te la racontes pas, t'apprécies juste. C'est comme là, je me dis qu'il y a des gens qui paient pour m'écouter rapper. Il y a 10 ans je rappais dans ma chambre et ma mère était là genre: "Ah tais toi, vas à table…". Si tu gardes cet état d'esprit, tu ne peux que kiffer.
HHC: Il est arrivé dans certains de tes concerts que certaines personnes du public qui ne connaissent pas ta musique t'adressent quelques injures et autres gestes. Est-ce que cela te conforte dans le fait que ta musique touche au but?
F: Ouais, mais le truc, quand tu fais de la musique ou de l'art, c'est de provoquer quelque chose. Sans faire de la provocation au sens gratuit, mais tu cherches à produire une réaction. Donc tant mieux, ça provoque le truc, et c'est pour ça qu'on m'a souvent dit que j'insultais les gens dans les concerts. Mais je n'insulte jamais gratuitement. Tu vois hier, j'ai fait un concert à Rennes. Ca fait au moins 3 ou 4 concerts que ça s'est bien passé. J'insulte pas les gens sans raisons, je suis pas là pour faire genre le mec punk à 2 balles. Mais quand quelqu'un se permet d'interrompre un concert parce qu'il a cru que c'était la fête, parce qu'il y avait un mec en masque ou je sais pas quoi, bah, je le remets à sa place parce que ça fait chier les autres. Il y a toujours le mec bourré qui est là ou alors le rappeur local qui est super jaloux qui se dit: "Ah de toute façon lui c'est nul ce qu'il fait, moi c'est mieux et je vais lui niquer son show". Ca peut arriver, tu vois. Bah, faut les remettre à leur place.
HHC: Pour finir, aurais tu un mot à dire pour les nerds qui liront peut-être cette interview ?
F: Arrêtez de vous branler sur Internet et écoutez de la musique putain… Arrêtez de parler de la musique, écoutez là.
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