Quand le duo formé par l'anti-DJ Orgasmic et le MC hors normes Fuzati fit ses premières armes sur la tape fondatrice et indispensable orchestrée par Delleck et Tekilatex ("L'Antre De La Folie" pour les amnésiques anonymes), le Klub Des Loosers semblait représenter, au même titre que les "parrains" de TTC, une alternative séduisante au hip hop francophone et une des rares formations hexagonales semblant pouvoir échapper à la fosse commune. Entre dérision, dépression et inventivité, le KDL s'était fait une place et un nom, sans avoir accouché d'un véritable premier bébé et donc par le seul biais d'apparitions sporadiques ('L'Hymne', 'Baise Les Gens', 'Fuite En La Majeur'?,…).

En 2003, le deal avec Record Makers (label crée par le duo électronique Air) permet au duo versaillais de transformer un premier essai discographique avec l'excellent "Baise Les Gens EP", légitimant à lui seul les dithyrambes louées. L'incontestable qualité de ce premier effort, fruit d'une collaboration productive, n'empêchera pas l'apparition de divergences internes et le Klub Des Loosers annonce sa séparation, avant même de pouvoir partager les fruits d'une gloire naissante.

Fuzati, désormais homme-ochestre et membre unique, prend part à l'impeccable "Buffet Des Anciens Elèves" de L'Atelier et annonce un long format pour 2004. Orgasmic devient un membre à part entière de TTC et peaufine un successeur à "Orgasmic Le Toxicologue Est Secrètement Amoureux De Vous", ovni mixique atterri en 2002. Ce "Femme De Fer EP" s'annonçait donc comme un second hors d'œuvre, sorte de mise en bouche pour un premier LP attendu au tournant. Désormais épaulé par James Delleck (pour la réalisation), Fuzati se devait de confirmer qu'il était -au moins en partie- responsable de la qualité des beats du premier opus et de rassurer ceux qui avaient vu d'un œil inquiet le départ de son alter ego.

Mais là où le bat blesse, c'est que dès la première écoute du produit, l'absence d'Orgasmic se fait cruellement ressentir. Les productions sourdes et complexes, les beats mouvementés et savamment désordonnés de "Baise Les Gens EP" ont été remplacés par des compositions maladroitement "doomiennes", gravitant autour de boucles/potiches esseulées et de sonorités jazz tristement passéistes. Ainsi, la nouvelle version de 'L'Hymne' nous fait regretter l'instrumental de Mr Lif ('Farmhand') usurpé pour la première version du titre et la boucle jazzy servie s'avère anecdotique, paresseuse et hors-propos. Sur le titre éponyme, l'imposture va plus loin. La parodie proposée frise le ridicule, production candide et refrain guilleret au menu. L'adoucissement du contenu lyrical (les plus avertis se rappelleront de la virulente première version) ne fait qu'aggraver le verdict.

Les moins exigeants d'entre vous se contenteront sûrement des 2 titres qui achèvent le EP. Toutefois, même s'il devance largement les précédents, 'Une Minute à L'Ecran', qui voit l'intervention (remarquable) du MC Cyanure, n'est pas exempt de tout reproche. Certes, l'ex-artilleur du collectif ATK brille par sa vélocité, son adaptabilité et la qualité des rimes débitées, mais la production qui lui est offerte souffre une fois de plus de platitude et de facilité. Triste constat.

La dernière plage du EP est sans conteste occupée par le meilleur titre du disque. 'Baise Toujours Les Gens' est bien plus qu'un simple remix, les lyrics ajoutés ("Tu fais du rap, c'est bien. Moi aussi, ça tombe bien. J'ai une idée : soyons copains, n'aies pas peur, donne moi la main, essayons de partir ensemble dans ce pays magnifique qu'est le Hip Hop. Comment ? Tu n'as pas de billet ? Tant pis, allons à Chatelet…", les nouveaux samples et cuts introduits et un nouvel habillage sonore élégant (un beat puissant et caverneux, une boucle originale) permettent à l'auditeur de passer (enfin) un moment agréable. Cependant, permettez-moi d'émettre une réserve et de relativiser mon jugement : ce morceau date bien de l'époque (bénite) de la collaboration Fuzati/Orgasmic….

Médisants seront ceux qui prétendront que Fuzati a perdu de sa verve et qu'il a délaissé sa tonalité si marginale pour une attitude lyricale plus conventionnelle, il n'en est rien. Mais le problème est que les prestations microphoniques du rappeur s'avèrent le seul véritable bon point du EP (contrairement au "Baise Les Gens EP", qui célébrait l'union de la sémantique et de la rigueur sonique).

Au final, pour le public qui découvrira le Klub Des Loosers avec cette seconde mouture, "La Femme De Fer EP" se révèlera un bol d'air frais rappologique de bon accabit. Pour les autres, ce ne sera ni plus ni moins que la cristallisation d'une régression et le ciment d'une inquiétude légitime à l'approche du premier album.

Kreme
Octobre 2003