Debmaster, le jeune et surproductif beatmaker d'Angers revient avec nous sur une année 2006 pour le moins chargée. Après avoir sorti l'excellent et revivifiant "Monster Zoo" sur le label Hip Notik Records, cet espoir de la scène française electro-hip-hop (qui a déjà partagé l'affiche avec Subtitle, Existereo et dDamage) nous explique son parcours. L'occasion pour Hip-Hop Core de connaître un peu mieux ce personnage attachant et de faire le point sur tous ses nouveaux projets et collaborations futures, mais aussi de dresser un état des lieux sommaire de la scène electro-hip-hop française.
Hip-Hop Core: Peux-tu nous parler un peu du début de ton parcours? De tes références?
Debmaster: J'ai commencé à toucher à la musique au collège en tant que batteur dans un groupe punk et ce n'était pas génial. Malgré tout, j'ai continué la batterie tout seul chez moi pendant pas mal d'années et vers le lycée je me suis mis a bidouiller des trucs sur mon ordinateur. C'est comme ça que j'ai commencé à faire plein de morceaux sans aucun but… Le mec d'Egotwister, bien avant la création du label m'a encouragé à continuer et finalement le label Hip Notik m'a contacté pour commencer un vrai projet, mon premier album "Monster Zoo"…
Pendant tout ce temps, j'ai écouté beaucoup de musique de tous les genres, du rock tordu, du brutal death, du grind, de la pop synthétiseur 3000, du hip hop "classic shit 90", du rap old school, de l'electro boogie smurf ou encore des trucs westcoast undeground. Beaucoup, Beaucoup : je suis un boulimique de mp3 et je n'achète plus que des vinyles…
Sinon pour citer quelques références : le Wu, les Shapeshifters, Peanuts & Corn, Plague Langage, Adlib, Inoe One, Sach, Sonic Youth, Add N to (X), Freezpop, Roger Manning Jr, Dying Fetus, Kap Bambino, dDamage, quelques trucs de la French Touch 98, des productions du label Ersatz Audio, Ladytron et pleins d'autres choses en fait...
HHC: Quelle est ta méthode de composition? Le sampling est-il important dans ce processus?
D: Je n'ai pas de méthode précise. Souvent je cherche des samples intéressants, je les découpe et ensuite je commence un truc avec. Je fabrique alors une rythmique, je rajoute des synthés puis des effets. Mais parfois je commence avec une rythmique seule et les idées me viennent naturellement. Je n'ai pas envie d'appliquer toujours la même recette. C'est le meilleur moyen pour bloquer, faire toujours pareil. Par contre, je ne fais plus de morceaux uniquement avec des samples. Je rajoute toujours des synthés, histoire qu'on ne comprenne plus s'il y'a des samples ou pas.
HHC: Tu utilises plutôt l'ordinateur, plutôt des machines, ou plutôt les deux pour créer ta musique?
D: Je n'utilise quasiment que l'ordinateur. Je travaille sur Fruity Loops, je m'y suis habitué après plusieurs années. Je m'en sers pour construire mes patterns avec des sons que j'importe. Ce logiciel a les pires banques de son du monde mais avec ses samples perso et des VST partout, il est très pratique. J'utilise aussi ma platine pour faire des cuts et un clavier midi E-MU Xboard 25 avec des contrôleurs pour gérer les effets. À l'avenir, je compte m'acheter des racks divers pour améliorer mon son : les compressions VST, c'est vraiment pas le top, car trop souvent, je trouve que mes sons sont un peu plats. Je dois me mettre à Sonar aussi, un jour.
HHC: On dit que tu es surproductif, j'en déduis que tu consacres tout ton temps à la musique. Quelle est ta journée type?
D: Je bosse dans un magasin de disque à mi-temps en début de semaine. Limite quand je rentre, je dis bonjour à ma copine, je vais faire de la musique puis je me couche... Je passe à peu près 3h à 5h par jour à composer. Quand je n'avais pas de boulot, je faisais régulièrement du son jusqu'à 8 heures dans une même journée. Je fais à peu près 100 morceaux tous les 2 mois, j'en jette 85% et je rebosse sur le reste. Mais bon, dans ma vie de tous les jours, je sors de chez moi aussi. J'ai des amis, je reste sociable quand même.
HHC: Peux-tu nous parler de ton label Hip Notik Records?
D: Hip Notik, c'est des mecs très bien et à peu près normaux. Ce sont tous mes potes maintenant. Tous les gens d'Hip Notik et d'Egotwister sont amis en dehors de la musique, donc on s'emmerde pas… C'est un peu comme la grande famille Institubes, on se fend la poire. (sur un ton ironique) Plus sérieusement, Hip Notik c'était d'abord le nom d'une émission "hip hop indé" qui a vu le jour vers 2000, sur Radio G (radio locale d'Angers). Les mecs étaient a fond sur les Shapeshifters, Adlib, Inoe One, etc et naturellement Hip Notik est devenu un label a côté de l'émission qui continue d'exister…
HHC: Comment as-tu trouvé le courage de te lancer dans un projet transatlantique comme "Monster Zoo", partant de rien ?
D: Je m'amusais avec des amis picards dans les champs avec des vaches et là je reçois un coup de téléphone d'Angers Town : un mec bizarre et super sérieux me demande alors si je suis tenté par l'idée de faire un album sur son label. Je ne pensais pas me lancer dans un truc transatlantique. C'est le mec bizarre du label en question qui l'a voulu. Il m'a donné le courage de croire à ce projet… allant jusqu'à menacer ma famille et mes amis.
HHC: Comment es-tu parvenu à avoir autant de featurings démentiels sur "Monster Zoo"?
D: Je pense que c'est en faisant des supers instrus... Pour les contacts, c'est Hip Notik encore qui m'a beaucoup aidé. Ils avaient fait pas mal d'interviews pour leur émission de radio depuis plusieurs années, donc ils avaient des contacts. A partir de là, l'enchaînement s'est fait tout seul, de manière assez dingue. Par exemple pour Sach, c'est Inoe qui m'a proposé de le faire rapper avec lui. Innaspace a proposé Existereo. Ils sont tous sympas ces mecs, demandez-leur de faire un feat, ils seront ok.
HHC: Peux-tu nous raconter comment s'est fait cet album? Restes-tu en contact avec tous les emcees qui ont collaboré avec toi sur "Monster Zoo"?
D: J'ai mis à peu près un an à le faire. Je bossais des titres, une soixantaine, on a fait plusieurs écrémages en accord commun avec le label pour arriver à 15 titres. Mais j'ai crashé un disque dur et j'ai dû tout refaire a zéro… Je suis le genre de mec qui ne sauvegarde rien. Heureusement dans un sens, car la première version de l'album était nulle à chier. J'ai réellement progressé en (re)faisant cet album. Les tracks avec les emcees ont été réalisées en dernier, sauf celle avec Bleubird qui datait de presque un an. Sinon, je reste en contact avec la plupart d'entre eux. On se tient au courant pour des dates en Europe. Avec certains, et notamment Existereo, la collaboration continuera sur mon prochain album, comme sur le sien…
HHC: C'est quoi le délire avec la pochette de "Monster Zoo"? D'où t'es venue l'idée de ce personnage et qui l'a réalisé?
D: Au départ je dessinais des monstres débiles et j'en ai parlé avec Laurent Fradet, le graphiste. On est parti sur pleins de mini monstres éparpillés sur la pochette, dessinés à la main, sans trop de détails. Un jour il s'est amusé avec de la pâte à modeler, il m'a envoyé un premier essai de pochette qui représentait des monstres enfermés sous la surveillance de soldats en plastique et finalement on a gardé que le seul monstre qui était parvenu à s'échapper… C'était un peu chiant de prendre la décision pour cette pochette. J'ai pas envie de donner trop d'explication sur le sujet. Il n'y a pas de message. Le titre "Monster Zoo" a découlé du choix graphique. Il est sorti du monstre en fait... Pour faire bien, on s'est dit "ouais c'est Deb qui s'est échappé du zoo". Mais bon, sur la prochaine, il y'aura 150 monstres sans explication et ça sera aussi bien.
HHC: Quelles sont tes sources d'inspiration en dehors de la musique?
D: Je sais pas… J'aime bien les gens, tous les gens m'intéressent, même les gros cons. Mais je sais pas si ça m'inspire en fait. L'herbe m'a un peu inspiré c'est sûr. J'ai pas trop de réponse à cette question… Si je fais souvent des morceaux sombres c'est juste parce que j'ai dû écouter beaucoup de musique sombre, pas parce que je suis quelqu'un de sombre...
HHC: Quel feedback fais-tu de ta première tournée (celle avec HN Records en avril)?
D: "C'était génial". J'ai eu de la chance de faire une tournée avec de grosses pointures comme dDamage, Exist et Subtitle : ils ont ramené des gens et m'ont permis de jouer dans des bonnes salles. Comme je n'avais jamais fait de vrais concerts (à part dans des groupes, plus jeune), j'avais un peu peur d'être une merde au milieu des autres. Mais finalement ça a plutôt bien fonctionné et a contribué à me faire connaître un peu plus. Depuis j'ai eu quelques dates de concerts. Un bilan parfait donc.
HHC: Subtitle et Exist sur la route, ça donne quoi?
D: Sub est le genre de mec, que tu aimerais avoir comme pote dans la vie de tous les jours. Il est trop gentil, même s'il parle sans arrêt. Il a de l'humour et parvient à être de constante bonne humeur. On l'a souvent perdu en route car il s'attarde dès qu'il trouve un moyen de discuter avec des gens. En fait, le seul moment où il ne parle pas c'est quand il dort. Les premiers jours quand je dormais, sa voix raisonnait encore dans ma tête, mon cerveau ne pouvait plus s'arrêter. Comme je ne suis pas très doué en anglais, c'était assez fatiguant, mais Subtee me manque vraiment… C'est inquiétant.
Exist était plus calme. Toujours respectueux de tous, malgré son apparence. Il est aussi sympa que Sub. Sur la route il branchait son iPod sur l'allume cigare. J'ai pu entendre trop de trucs de tueurs, mais impossible de tout connaître… Quand on lui demandait des noms, il faisait toujours semblant de dormir. Il est malin Exist.
HHC: Qu'est-ce qui t'as donné envie de faire un tour-CD "Pimp Up The Volume" pour tes premiers concerts? Peux-tu nous parler un peu de ce disque et de ce que tu as voulu y mettre?
D: En fait, j'ai fait pas mal de nouveaux titres lors de ces concerts car certains morceaux de "Monster Zoo" n'étaient pas vraiment appropriés. On s'est rendu compte qu'il y'avait assez de trucs neufs pour faire un CD-R en vente sur la tournée. On les a gravé au dernier moment : j'ai imprimé les pochettes 20 minutes avant d'arriver au Chabada d'Angers pour les balances. Du coup, il n'y a même pas de tracklist, même si les titres ont des noms... On n'a pas pu faire de mastering non plus…
HHC: Ce qui te plait et te déplait dans les deux scènes hip-hop et electro françaises et pourquoi?
D: J'adore Mr Oizo, ce mec défonce tout. Il ne fait pas de concessions débiles comme certains mecs d'Institubes. dDamage assurent aussi, leur album "rap" va tuer, c'est certain.
J'écoute très peu de rap français, à part Sefyu, La Caution (pas tout) les Gourmets (un groupe à voir en concert) et Donkishot. J'admire ce mec pour son courage. Il se fout de se faire détester par tout le monde et continue son calvaire comme Jésus. Sinon on devrait bientôt entendre parler de Junior Makhno. Ce mec va tout bousiller. Mais globalement, j'ai quand même un peu l'impression qu'en ce moment, c'est la mort, niveau rap français. En même temps, je suis sûr que je loupe un tas de trucs…
Pour en revenir à la famille Institubes, je trouve qu'ils ont un talent certain, mais dès qu'ils produisent un gros tube, qu'ils ont une recette efficace, ils l'utilisent et la réutilisent à fond. Et comme ils changent de trip à peu près tous les ans… Les albums contiennent généralement 2 ou 3 bons titres et le reste, c'est de la merde. Je ne parle ici que de musique, car je ne les connais pas personnellement. Mais sinon je reconnais qu'il y'a du bon chez Ed Banger. J'avoue complètement.
HHC: Quels sont les disques qui t'ont marqué cette année?
D: Beaucoup de disques m'ont marqué. Un peu trop en fait pour qu'ils me reviennent tous en mémoire. Citons, le Radioinactive, Curse Ov Dialect, Glue, le dernier Slumplordz (à fond de chez à fond), Otto Von Schirach, Nomad, "Terrain To Roam" de Subtitle et le nouveau dDamage.
HHC: Quel est ton point de vue sur le téléchargement illégal de musique en ligne? En tant qu'artiste, estimes-tu que ce système t'es plutôt favorable ou préjudiciable?
D: Je trouve ça bien. Je découvre des trucs et je les achète en vinyle si ça me plait vraiment. Ca m'a fait connaître plus de trucs. La plupart des gens qui ont mon album en mp3 ne l'ont pas acheté mais ils l'écoutent. C'est déjà fou… Et puis on a pressé 500 exemplaires de "Monster Zoo" et on a quasiment tout vendu. Il en reste 50 peut être. Donc ça va.
HHC: Vous allez faire un second pressage du coup?
D: Oui c'est possible, mais rien n'est sûr. A la base, c'était prévu, mais là, j'en sais trop rien. Hip Notik ont pas mal de projets (avec Thavius Beck ou dDamage entre autres) mais pas beaucoup de moyens... Sinon autre possibilité : rééditer "Monster Zoo" chez Subversiv Records en vinyle. On verra bien.
HHC: Au fait, êtes vous parvenus à distribuer l'album ailleurs qu'en France?
D: Je sais que "Monster Zoo" a été bien distribué en Allemagne. Des mecs comme Xndl de Subversiv Rec justement distribuent mon album et je crois d'ailleurs que c'est en Allemagne que le disque s'est le plus vendu. On a loupé la distribution US mais ce n'est que partie remise. Mon second album, on le sortira en étant sûr d'avoir des plans pour la distrib aux Etats-Unis, un peu à l'inverse de "Monster Zoo". Enfin, je sais qu'il y a quelques exemplaires du disque distribués au Japon, mais je n'ai pas encore reçu de lettre de fan... C'est assez dur d'être bien distribué quand on n'a pas fait d'album avant. Ca demande pleins d'efforts chiants... pour mon label. Pour moi, ça va.
HHC: A l'avenir, comptes-tu autant faire appel à des featurings ou envisages-tu de faire un album uniquement instrumental?
D: Pour mon deuxième album sur Hip Notik qui sera résolument hip-hop, je compte appliquer la même formule que sur "Monster Zoo". Je me sens à l'aise avec le format qui consiste à alterner titres instrumentaux et morceaux rappés. Cela correspond au genre d'album que j'aime écouter. Le travail réalisé sur un morceau destiné à accueillir la voix d'un rappeur n'est pas le même que celui que l'on est amené à faire sur un titre purement instrumental. Et moi, j'aime bien faire les deux. À la fois beatmaker et compositeur, si l'on veut. Mon second album sur Hip Notik avance tranquillement.
HHC: Peux-tu nous parler de tes autres projets?
D: Je bosse en ce moment sur plusieurs trucs à la fois… Quelques instrus par-ci par-là sur des albums de K-The-I???, Existereo, Subtitle, The Mole, Radioinactive et Bigg Jus. Je vais faire quelques dates avec Curse Ov Dialect. On verra ce qu'il ressort de tout ça. On a également envie de faire un album à 3, Existereo, Subtitle et moi mais ça reste encore au stade de l'idée...
Sinon je fais un album avec Wormhole, un rappeur hawaiien plus rapide que Lucky Lucke qui collabore aussi avec des mecs comme Noah 23 ou K The I. Le projet s'intitule "Pangaea". J'ai écouté les trucs récents qu'il a fait avec Demune. C'est complètement taré, il y a des morceaux trop fous : Wormhole rappe vraiment trop vite, il a une page de textes par syllabe, c'en est effrayant…
Je prépare également une grosse tournée avec Egotwister, le "Egotwister Battle Tournament", avec Guyom, Puyo Puyo et Amnésie (c'est vraiment énorme ce qu'il fait). On sera ensemble sur scène pour faire un super combat de malade avec des jeux sur écran géant… Il y'aura des tapis de danse magique qui font de la musique, des karaokés, des battles, il y aura des gentils et des méchants, des votes du public, une loterie et des milliards d'autres trucs. Le thème global, c'est les jeux vidéo, mais ne vous attendez pas à entendre de la musique 8-bit pour autant. On doit commencer la tournée en mars. Pour l'instant, on a bouclé une dizaine de dates, mais y'a pas mal de plans qui arrivent, donc on mise plutôt sur une vingtaine de dates, voire plus, en comptant les festivals… En tous cas, cela sera complètement différent de ce que je fais en ce moment. Je pense aussi sortir un autre album solo sortira sur Egotwister en vinyle un peu après. D'autres trucs me reviendront sans doute plus tard, mais là je sais plus trop…
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